Rouges sont mes nuits,
La bas, loin, chez moi, en Arizona
Quand, entre rêve et sommeil,
S'incline doucement le soleil
Sur les sables du désert.
Alors s'illumine la lanterne de verre,
Disque de lune aux rayures de mystère.
C'est ici que Dante, encore aujourd'hui,
Emprunte à la soie des nuages,
Un peu de pourpre, un peu de mirage
Pour créer dans ce labyrinthe d'ombre et de lumière,
Quelques arpents de son enfer.
Oui, rouges sont mes nuits
Dans le désert de Zabriskie.
Rouges, aussi, mes nuits,
Loin de chez moi,
Dans les faubourgs d'Osaka
Quand le soleil s'éteint.
Là, du crépuscule au matin,
Cocaïne, gin et vodka
Accrochent aux galaxies, des néons
qui éclairent la façade des maisons.
Des filles de plexiglas
Ouvrent leurs cuisses d'anorexiques
Aux regards des garçons.
Ce sont des gamines, des lolitas de vitrines
Qui jouent à la putain, debout au fond des impasses.
Parfois, on les retrouve au matin,
Poupées livides, étranglées sur le pavé
Et les flics impavides
N'essaient même plus de les ranimer.
Rouges aussi mes nuits,
Loin de chez moi,
Dans les faubourgs d'Osaka,
Rouges du sang de ces enfants là.
Rouges enfin ces sanctuaires
Reflets dans le miroir gelé
d'étangs où tant de rivières
viennent se jeter.
Rouges ces cathédrales de bois
Où l'on vénère, de Bouddha,
l'énigme d'un sourire, le geste d'une main.
Rouges ces navires immobiles
qui pourtant voyagent sans escale
Sur des abysses de silence et de prières.
Ils emportent au fond de leur cale
des morts, les âmes fragiles
jusqu'aux portes des cimetières.
J'ai vu, une nuit,
Arriver l'un de ces cortèges.
Sans lumière comme sans bruit,
Ils marchaient dans la neige.
Deux rangs de samouraïs
Chevauchant l'étalon noir
Entouraient le sarcophage
Rouge incrusté de coquillages.
Derrière, d'improbables geishas, concubines vieillissantes,
pathétiques et gémissantes,
pleureuses qui se tordaient les mains
Puis ce fut un orchestre de tambourins
Muet,immobile dans le défilé,
Figé dans l'obscurité.
Enfin, arriva un homme, en habit noir
Chapeau sur la tête, les yeux creusés
Maigre, hagard, essoufflé.
Un moine murmurait les prières du deuil;
Je lui ai demandé: « Qui est ce?»
« Mais c'est le mort, étranger,
Le mort qui court après son cercueil.»
Rouges sont les sanctuaires d'Osaka
qui accompagnent leurs morts
à leur dernière demeure,
sous la neige et dans le froid.
Rouge est le ciel que j'aperçois
Dans l'avion qui me ramène chez moi,
En Arizona.
Rouge est le ciel et tristes, mes pensées
J'ai, dans mes bagages,
la mélancolie de ce pays, son odeur et ses images,
Mais je sens déjà son âme m’échapper.
Rouge est le ciel comme rouge est le soleil d'Arizona
qui demain, pour moi, bâtira de sable et de poussière
un temple et Dante, pour une fois,
effacera son enfer.
Il bâtira de ses mots,à la frontière du désert
un petit paradis solitaire
Pour le repos des petites putains d'Osaka.
in «THE NIGHTS OF OSAKA»
LAST IRAKOI © 2010
SEVRES 21 AOUT 2010