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1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 22:40

Dans les premiers jours de mars, un matin, j’ai appelé, sans rien lui dire, le toubib de Cherbourg depuis le bistrot. Il a accepté de me répondre :

 

-         Que voulez-vous que je vous dise ? Une prise de poids au stade où elle en est, c’est fréquent.

-         C’est signe de quoi ?

-         De rien…

 

Il s’est tu quelques instants comme s’il cherchait des mots simples

 

-         Comprenez-moi bien. Elle présente une forme assez rare de la maladie …Ca peut être n’importe quoi cette reprise de poids… Le dernier signe avant le grand plongeon comme le point de départ d‘une petite rémission.

 

J’ai entendu qu’il tournait des pages.

 

-         C’est vrai, ces analyses sont meilleures, les dernières sont presque normales… Mais ça ne prouve rien, ça ne veut rien dire…

 

Il soupira

 

-         Bon, si ça se confirme à votre prochaine visite, je l’hospitalise quelques jours. On y verra peut être plus clair… Mais jusque là pas un mot.

 

 

Mars passait lentement. Elle allait de mieux en mieux. Tout le prouvait : Son poids, son teint, … A nouveau, elle s’occupa d’elle. Elle passait de longs moments, le matin, devant le miroir, à se maquiller. Elle ne sortait plus sans bleu sur les yeux, sans rouge sur les lèvres. Elle fit de nouveau les magasins, achetant de nouveaux vêtements pleins de couleurs vives. Avec l’élégance, sa beauté, sa vraie beauté d’il y a deux ans, reprenait possession de son corps et de son visage et les gens se retournaient sur cette adolescente mal poussée mais tellement séduisante.

 

C’était une succession de vagues d’espoirs mal contenus au milieu d’une vie anachronique, hors du temps. Ni l’un, ni l’autre n’osions parler franchement de ce qu’en esprit en dépit de ce que m’avait dit le toubib, j’appelais déjà «guérison ». Nos lapsus, pourtant, étaient révélateurs. Les mots «demain », «bientôt », «année prochaine » firent leur apparition dans nos conversations. Et même si elle marquait alors, un petit temps d’arrêt, les nuages dans ses yeux étaient moins épais, moins longs à se dissiper.

 

 

Le mardi de la consultation à Cherbourg, arriva enfin.

 

Ce jour là, le médecin prit plus de temps pour l’examiner. Il nous fit asseoir et relu longuement le dossier. Il réfléchit quelques instants puis enfin, il s’est mis à parler en farfouillant dans son oreille avec une allumette.

 

-         Bien, madame, je vais vous demander de bien écouter, de bien comprendre ce que je vais vous dire.

 

Elle hocha la tête.

 

-         A votre arrivée, le pronostic de votre maladie était très mauvais. Vous le saviez ?

 

A nouveau, elle hocha la tête.

 

-         Aujourd’hui, c’est meilleur…Attention, hein! je n’ai pas dit que vous étiez tiré d‘affaire, mais c’est mieux, beaucoup mieux. Je me propose de vous hospitaliser une petite semaine pour vérifier tout ça. Vous êtes d’accord ?

 

Elle n’a pas pu répondre. Moi, non plus. Quelque chose nous serrait la gorge.

 

 

Elle n’a pas voulu que je vienne la voir pendant son séjour. Les infirmières répondaient à peine au téléphone. Je restais seul dans la petite maison. La lande se couvrait de primevères et de coquelicot. Le printemps arrivait

 

 

Elle n’est sortie que dix jours après. En allant la chercher, j’ai croisé le toubib dans le hall. Il s’est arrêté.

 

-         Ah! cher monsieur, C’est bien ce que je pensais.

 

Devant mon air interrogatif, il a précisé sa pensée

 

-         Une rémission, c’est bien une rémission, le mal a reculé…Attention hein ! Cela ne veut pas dire qu’elle est guérit… Mais elle a gagné du temps.. Et dans la forme qu’elle présente, c’est rare, très rare… tellement rare que je vais faire une présentation de son cas à la fac.

-         Combien de temps ?

 

Il m’a regardé d’un air interrogateur

 

-         Je veux dire : combien de temps elle a gagné ?

-         Çà, …Ne m’en demandez pas trop… C’est déjà miraculeux…

 

Et il est repartit à grands pas vers la sortie.

 

J’ai monté l’escalier 4 à 4. Quand je suis entré dans la chambre, elle était assise sur son lit. Elle m’a regardé sans bouger et m’a dit :

 

-         Tu te rends compte, je ne vais pas mourir tout de suite…

 

Elle avait l’air presque effrayé par ce qu’elle disait, une peur… superstitieuse.

 

-         Je vais vivre…Je vais vivre encore un peu, c’est dingue, non ?

 

Alors seulement, elle a éclaté en sanglots et elle s’est précipitée dans mes bras. Je la sentais à bout de nerfs. J’ai pris son visage entre mes mains

 

-         Tu vois, c’est jamais perdu d’avance.

 

Elle me serrait entre ses bras, ses bras qui tremblaient et pour la première fois depuis que nous étions à nouveau ensemble…Non, soyons sincère pour la première fois depuis que nous nous connaissions, elle m’a dit à l’oreille

 

-         Je t’aime, oh, que je t’aime !

 

L’infirmière est entrée, des draps propres dans les mains. J’ai pris sa valise :

 

-         Viens, sortons d’ici.

 

 

A midi, nous sommes allés manger au restaurant. Elle était surexcitée. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Elle parlait … Elle parlait sans arrêt. Elle parlait de tout, de voyages, de projets, de son fils qu’il fallait aller voir dès demain, de ses dessins. Elle voulait faire une exposition… Et elle buvait, elle buvait verre sur verre. Les fous-rires alternaient à présent, sans transition, avec les larmes. Elle essayait, dans son ivresse, de m’expliquer par ou elle était passé durant sa maladie. C’était touchant, tendre et pitoyable tout à la fois.

 

Pendant que je réglais l’addition, elle est sortie s’asseoir sur le trottoir. Elle pleurait, elle riait, elle chantait tout à la fois. Les gens s’arrêtaient pour la regarder. J’ai du la tenir pour aller jusqu’à la voiture. Moi non plus, je ne marchais pas très droit.

 

J’ai du m’arrêter quelques kilomètres après. Elle a été malade comme tout un corps d’armée à la fin d’une nuit de beuverie. Je l’ai couché en arrivant et comme moi aussi, j’avais un peu la tête lourde, je me suis allongé près d’elle dans le silence de la chambre.

 

Elle me réveilla en m’embrassant. Elle fronça les yeux, soudain inquiète :

 

-         Tu ne vas pas me dire que j’ai rêvé, au moins ?

 

Pour toute réponse, je lui ai tendu le certificat médical que j’avais posé sur la table de nuit en arrivant. Son arrêt de travail était prolongé jusqu’au 15 juillet et elle était ensuite autorisée à reprendre le travail.

 

Je me suis assis au pied du lit pour mieux la regarder. Elle était radieuse.

 

-         Que faisons-nous ce soir ?

-         Décide

-         Regarde, le soleil va tomber dans la mer. Tu viens le voir ?

 

L’océan avait prit la teinte d’un vieux métal travaillé. La plage déserte sombrait dans le silence bleuté, vrillé par le cri des mouettes.

 

Soudain, elle commença à se déshabiller.

 

-         Tu es folle. Tu vas prendre la crève. Arrête…

-         Tu viens avec moi. Il faut que je me nettoie après tout ça.

 

Entièrement nue, elle dévala la plage vers les flots, soulevant des gerbes d’eau sur son passage. Elle plongea dans une vague d’émeraude. Je l’ai suivi sans grand enthousiasme. L’eau était gelée. Elle est restée longtemps dans les lames déferlantes, nageant et virevoltant dans le courant.

 

 

Nous ne sommes pas allés voir son fils le lendemain. Elle avait 40 de fièvre et une angine qui la tint au lit huit jours.

 

 

Nous sommes restés encore près de quatre mois à Portbail. Trois mois étranges, plus étranges encore que les sept qui avaient précédé.

Elle ne tenait pas en place et elle changeait d’avis sans cesse. Un peu comme si elle voulait rattraper le temps perdu, comme si elle souhaitait vivre dix ou quinze vies différentes dans le même instant. Mais poursuivant tant de projets, elle n’en accomplissait aucun.

 

La première et seule visite qu’elle rendit à son fils montre bien ce que je veux dire. Nous sommes arrivés très tôt, vers dix heures. Toute la matinée, elle s’est comportée comme une lointaine parente accomplissant une corvée. Elle embrassa le gamin et d’un air détaché, elle lui posa de brèves questions, ne s’intéressant visiblement pas aux réponses du petit :

 

-         Ca va ?

-         Et l’école ? Tu travailles bien ?

-         Tu es sage ?

 

Puis, elle l’envoya jouer dehors, s‘énervant même parce qu’il n’allait pas assez vite. Ses parents non plus ne furent pas épargnés. Dès qu’ils voulurent lui parler de sa santé, elle est devenue agressive, méchante…

 

Après le repas, tout changea.

 

Elle en faisait presque trop. Elle étreignit son fils et pleura dans les bras de sa mère comme une gamine. A seize heures, il était convenu que nous repartirions après le dîner en emmenant le petit. Il terminerait l’année scolaire à Portbail.

 

En définitive, nous nous sommes sauvés à 19 heures sans manger et sans l’enfant qui n’y comprenait plus rien. Nous avons fait les deux cent kilomètres du retour sans dire un mot. Elle était sombre comme au pire des jours et dans mon esprit, c’était aussi confus que les sous bois de la forêt de Brocéliande que nous avons traversés dans le soir triste qui tombait.

 

 

C’était les mêmes hésitations, les mêmes voltes faces lorsque nous parlions du futur.

 

Un jour, elle me pressait de voir un avocat pour pouvoir divorcer afin de pouvoir «enfin » l’épouser. Le lendemain, elle se demandait si, en fin de compte, il n’était pas mieux de rester comme ça. Deux jours après, elle pensait qu’il valait mieux être chacun chez soi. La semaine suivante, elle avait le nez plongé dans un annuaire vieux de trois ans à la recherche d’un «bon » avocat ou d’une agence immobilière en région parisienne.

 

Avec elle, l’avenir fluctuait. Successivement, elle voulu que nous démissionnions de la boite pour rester ici vivre, elle de ses dessins et moi de mes écrits. Elle ne s’était même pas aperçue que je n’écrivais plus depuis longtemps. Puis ce fut la période «écolo ». Elle a lu tout ce qu’elle trouvait sur la cuisine végétarienne pour ouvrir un restaurant en Lozère. Il y a eu aussi la librairie dans le quartier latin, l’élevage de mouton au pays de Galles et plein d’autres choses encore. Elle n’avait aucune suite dans les idées, aucune stabilité.

 

 

Vers le 20 mai, j’ai fait l’aller retour à Paris pour déjeuner avec les enfants. Ils avaient grandi. Ils m’ont donné des nouvelles de leur mère. Elle venait de rencontrer un médecin, proche de la retraite, très sympa d’après eux. Bref, tout allait bien à la maison…Brusquement, j’ai eu l’impression d’être parti depuis dix ans. En fait, cela ne faisait pas dix mois.

 

J’ai repris le train de 18 heures à la gare saint Lazare. Elle devait m’attendre à 22 heures trente à Carentan, avec la voiture. Elle n’était pas là. J’ai appelé la maison, un peu inquiet. Elle m’avait oublié. Elle écrivait à une galerie de Concarneau pour son expo.

 

 

Et le temps passait. Les jours filaient. Dans moins d’un mois, nous devions reprendre l’un et l’autre le travail. Mais, elle n’avait toujours pas contacté la boite. Elle était perplexe. Que devait elle faire ? Revenir sur Paris ? Rester ici ? Aller ailleurs ?

 

Son état d’esprit m’inquiétait. Le médecin accepta encore une fois de me parler au téléphone.

 

-         Versatile ?

 

Il éclata de rire.

 

-         Elles le sont toutes mon pauvre ami. Regardez, ma femme par exemple, elle a divorcé d’un pauvre diable qui ne travaillait pas. Il était au chômage. Elle m’a épousé et deux ans après, elle m’a quitté. Vous savez pourquoi ? Parce que je travaillais trop…

 

Il riait encore quand il a raccroché.

 

 

Nous sommes rentrés à Paris le 8 juillet, juste une semaine avant de reprendre le travail. Son fils restait en Bretagne pour toutes les vacances. Elle était en pleine forme.

 

Nous nous sommes installés chez nous…En fin, lorsque je dis «chez nous », c’est une façon de parler. Je n’étais pas chez moi. Manifestement, je l’encombrais. De plus en plus souvent, elle me disait que j’étais dans ses jambes. Souvent, elle se réfugiait ostensiblement dans la cuisine ou dans la salle de bain et elle boudait des heures entières, le nez dans un annuaire téléphonique. Soudain, elle sortait et me demandait pardon en me sautant au cou. La crise était passée. Mais, ces scènes se renouvelaient de plus en plus souvent.

 

 

Tout éclata la veille de notre reprise de travail. Qu’avais je fais ? Je ne sais même plus. Ah si ! J’avais du casser un verre dans la cuisine.

 

Elle hurla tout ce qu’elle avait sur le cœur depuis plusieurs semaines et me traitant de tous les noms, elle me mit carrément à la porte.

 

Je n’ai rien répondu. Qu’y avait il a répondre ? Tout avait été dit. Mon rôle auprès d’elle était terminé. Je suis allé dans la chambre et j’ai fais mes bagages. Elle est rentrée comme une folle.

 

-         Que fais tu ? Tu t’en va ?

-         Oui.

-         Ou va tu aller ? Tu n’as pas encore d’appartement.

-         Il y a un hôtel près de la gare. Si tu as besoin de moi, je serai là en deux minutes.

 

La scène qui suivit fut effroyable, pitoyable. Je préfère l’oublier. Quand je suis parti, elle était effondrée sur le lit en larmes.

 

Je l’ai appelé deux heures après pour lui donner le numéro de téléphone de l’hôtel. Elle m’a remercié sans rien dire d’autre et elle a raccroché. C’était la dernière fois que je lui parlais.

 

Le soir, j’étais tout seul, comme un con, dans ma chambre d’hôtel, avec ma guitare sur mes genoux.

 

 

J’ai repris mon travail le lendemain. Je ne l’ai pas vu ni ce jour là, ni les jours suivants. Elle m’évitait. Jamais elle ne m’appela, jamais je ne l’ai vu à l’étage. Je pense même qu’elle changea ses horaires d’arrivée et de départ. Pourtant, elle travaillait. Sa voiture était au troisième sous-sol comme avant. Je n’ai rien fait pour rompre ce silence. Je le regrette aujourd’hui.

Très vite, je fus repris par le tourbillon fou que j’avais déserté depuis un an. Ses nouvelles m’arrivèrent tout de même par le bouche à oreille. J’ai appris ainsi qu’elle était toujours en pleine forme, qu’elle sortait beaucoup, qu’elle allait partir en vacances au Canada en septembre.

 

 

Août arriva …étouffant.

 

Je suis tombé malade. Une superbe angine : 40 de fièvre et dix jours d’arrêt. C’est pendant cette période que j’ai essayé de lui téléphoner à deux ou trois reprises. Je n’ai jamais pu l’avoir. Le téléphone sonnait mais personne ne décrochait.

 

 

J’ai repris le 17 août. J’étais dans un dossier complexe quand le téléphone sonna vers dix heures. C’était son père. Elle était morte ce matin, à 4 heures après une courte hospitalisation de 8 jours. Elle avait interdit à ses parents de m’appeler.

 

 

Je suis revenu à Portbail cinq ans après. Je ne sais pas trop pourquoi j’avais entrepris ce…ce pèlerinage. Il y avait un écriteau sur notre maison : « A VENDRE ».

 

La fille de l’agence ne m’a pas reconnu. Sur la chemise de papier jauni du descriptif de la maison, quelqu’un avait dessiné un gros crabe rouge.

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