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1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 22:47

Le bruit de la portière roula longuement dans le parking. Je mis en route le moteur. L’ennui avec les «Citroën », c’est qu’on ne peut pas démarrer tout de suite. Il faut attendre qu’elles lèvent leur nez. Je l’ai regardé dans la lueur du tableau de bord. Elle avait épouvantablement maigri mais elle était toujours très belle. Elle ne disait rien, elle n’avait rien dit depuis qu’on s’était retrouvé dans mon bureau. Elle fixait le chiffre blanc de la place de parking sur le mur. Enfin, le voyant rouge s’éteignit. Je passais la première. Dehors, c’était la lumière dorée d’un midi d’été.

 

Je tournais la tête pour voir si le chemin était libre. Sa pâleur était effrayante.

- Tu veux manger ou ?

 Elle fit un geste pour dire qu’elle s’en moquait.

 -         Italien?

-         Pourquoi pas ?

 

La banlieue défilait, triste et déserte. Le silence était retombé dans la voiture. C’était tellement pesant que je n’ai pas pu retenir la question bête :

 

-         Alors, comment vas-tu ?

 

Elle eut un rire sec qui ressemblait à un sanglot.

 

-         Mal… Je vais mal. J’ai froid… J’ai toujours froid et j’ai peur… Tu ne peux pas savoir combien j’ai peur.

 

J’ai trouvé une place juste devant la pizzeria.

 

-         Et toi ?

-         Ca va

-         Toujours marié ?

-         Oui, toujours. On va manger ?

-         Si tu veux

 

La salle était presque vide. Nous avons pris une table dans le fond. Le garçon s’est précipité avec les menus à la main.

 

-         Tu bois l’apéritif ?

 

Elle haussa les épaules comme pour dire que c’était sans importance. On a vite commandé. Le garçon aussi semblait mal à l’aise.

 

-         Comment va ton fils ?

-         Bien, il est en Bretagne.

Elle alluma une cigarette et me regarda

 

-         Tu te rappelles ? C’est ici qu’on a décidé de rompre, il y a 2 ans… Tu l’as fais exprès ?

-         Non. C’est vrai. Excuse-moi.

 

A nouveau, le silence. Heureusement, le serveur est arrivé avec les verres. Elle a vidé le sien presque d’un coup, puis, elle a tiré une longue bouffée de sa cigarette et m’a regardé en murmurant :

 

-         Et en plus, je bois.

-         Ce n’est peut-être pas ce qu’il te faut

-         Oh ! Et puis, ça m’évite de trop penser. Je dors.

 

Elle fit un signe au garçon pour avoir un deuxième verre.

 

-         Il faut que je vise bien… entre les médicaments je veux dire. Et surtout, je ne dois pas commencer trop tôt ; autrement, je me réveille au milieu de la nuit… C’est là où j’ai le plus peur, la nuit.

 

Elle frissonna et ramena sa veste sur ses épaules. Elle prit une seconde cigarette et murmura en me regardant :

 

-         Au point ou j’en suis !

-         Arrête tes conneries !

-         Quelles conneries ? C’est une connerie de crever à 35 ans ?

 

Elle avait élevé la voix. Autour, les conversations s’étaient arrêtées ; les gens la regardaient. Elle baissa la tête. Ses yeux brillaient.

 

-         J’ai peur, tu sais. Le soir, je suis seule, je me pose des questions, plein de questions. Comment ça va se passer… et quand surtout, quand ?

 

Je lui ai pris la main. Je ne savais pas quoi lui dire. Elle poursuivit, presque en chuchotant.

 

-         J’ai peur d’avoir mal, j’ai peur de mourir, j’ai peur de tout, de tout… Pourquoi ? Mais pourquoi ? Pourquoi moi ?

-         Que t’ont dit les médecins ?

-         Les médecins !  Ils ne disent jamais rien les médecins ! Mais je le sais, je le sens, c’est foutu.

 

Ses derniers mots avaient claqué comme une gifle.

Long silence. Les autres tables étaient reparties dans leurs conversations feutrées. J’avais l’impression d’être dans une bulle.

 

-         Tout est bouffé à l’intérieur, tout. Moi qui avant avais toujours peur d‘être malade, je suis servie. Tu te souviens ? Ils se foutaient de moi. Même toi à la fin tu en avais marre.

 

Elle fumait et elle buvait nerveusement en parlant. Ses mains tremblaient.

 

-         Ce matin, c’est à peine s’ils m’ont parlé. Ils avaient le nez dans leurs dossiers, ces cons… D’ailleurs, maintenant, les gens se taisent quand je passe. Je les effraie. Ils comprennent tout de suite. Même toi, tu ne sais plus quoi me dire.

 

Elle me serra le bras.

 

-         Pourtant, avant, quand je n’étais pas malade pour de bon, quand j’avais seulement peur, il n’y avait que toi qui pouvais me rassurer. Tu ne sais plus ?

 

Je m’en suis tiré lâchement avec une pirouette.

 

-         Je ne peux pas, tu parles tout le temps.

 

Elle releva la tête. Je vis qu’elle pleurait. Alors, je me suis mis à lui parler doucement, bêtement, comme à une enfant.

 

-         Arrête, Ca ne sert à rien…Tu vas te rendre malade

-         Au point où j’en suis !

-         Tu n’as que ça à la bouche : au point où j’en suis. Tu te fais tout de même du mal.

 

Le serveur s’approcha avec les pizzas. Il vit qu’elle pleurait

 

-         Quelque chose ne va pas, signor ?

-         Non, ce n’est rien, un peu de fatigue.

-         Appelez-moi si je peux faire quelque chose.

-         Merci.

 

Il s’éloigna en hochant la tête

 

-         Mange ! Ca va être froid.

 

Elle eut un sourire triste et prit sa fourchette. Ses mains tremblaient toujours.

 

La fin du repas se déroula tout autrement. Elle se mit à parler vite, très vite, de toute sorte de choses : de son fils, de ses parents, de sa voiture qu’elle devait changer avant la fin de l’année. Une ombre passa devant son regard quand elle évoqua cette échéance.

 

Elle prit un café pendant que je réglais l’addition.

 

-         Viens, faisons quelques pas.

-         Tu n’es pas en retard ?

-         Non, je ne travaille pas l’après-midi. J’ai repris à mi-temps pour le moment. Tu me reconduiras au parking pour que je récupère ma voiture.

 

Nous avons marché en regardant les boutiques dans cette rue de banlieue. Elle m’avait prit le bras, silencieuse. Nous nous sommes arrêtés devant un fleuriste.

 

-         Maintenant quand je vois des fleurs, je pense à mon enterrement.

 

C’est à ce moment là que tout a basculé. Je l’ai attiré contre moi et je l’ai embrassé doucement.

 

-         Tais-toi. Tu n’en es pas encore là, non ? Je suis là, moi. Tu n’es plus seule.

 

Elle posa son front contre mon épaule.

 

-         Tu te souviens de ce que tu m’avais écris un jour ?

-         Oui, je crois. Je t’ai écris que si un jour tu étais malade, vraiment malade,je serai là, je viendrai vivre avec toi

 

Il y eut un silence. Elle attendait la suite, le front toujours contre mon épaule. D’une voix sans doute un peu blanche, je lui ai dit à l’oreille

 

-         C’est toujours vrai, tu sais. Si tu veux, je viens.

 

Elle m’a regardé. Je la sentais trembler comme une feuille.

 

-         Tu quitterais tout ? Tu viendrais ?

-         Oui…

 

Elle murmura :

 

-        Je ne serai plus seule ?

-        Non, je suis là, maintenant.

 

Elle n’a plus rien dit. Elle s’est serrée contre moi en fermant les yeux.

 

J’ai attendu lâchement, jusqu’au vendredi soir suivant pour annoncer ma décision à ma femme. Je lui ai tout dit de A à Z. Manifestement, elle s’attendait à notre séparation. Tout se passa tranquillement, sans heurt, Elle m’a simplement demandé si je demandais le divorce.

 

-         Je verrai lorsque tout sera fini. Par contre, si toi, tu le demandes, c’est OK

-         Je verrais.

 

On a vite réglé les détails matériels et financiers et je suis parti le samedi matin avec deux valises et ma guitare, lui laissant le soin d’expliquer ce qu’elle voudrait aux enfants.

 

Elle devait m’attendre derrière la fenêtre. Nous nous sommes retrouvés dans l’escalier. Elle s’est blottie contre moi.

 

-         Tu es venu ? Tu es venu ? Je ne croyais pas…

 

L’appartement n’avait pas changé, très clair, très net, très propre. Le balcon de la salle de séjour ouvrait sur la lumière. Au loin, les collines du Val d’Oise permettaient presque de se croire à la campagne.

 

Je me suis installé. Elle parlait sans arrêt, surexcitée, en m’aidant à défaire mes bagages.

 

Puis, nous sommes allés faire le marché. Il faisait un temps merveilleux ; le soleil tapait fort.

 

Je crois qu’à midi, c’est moi qui ai fait la cuisine.

Après mangé, elle s’est allongée pour se reposer un peu. J’ai fais la vaisselle, puis je l’ai rejoint dans la chambre.

 

Les stores étaient tirés. Une lumière douce jouait sur les meubles et sur le lit. Elle dormait, repliée, en chien de fusil, comme si même dans le sommeil, elle continuait à protéger son corps de la maladie.

 

Je me suis étendu près d’elle dans le silence.

 

La chambre non plus n’avait pas changé depuis 2 ans…

 

2 ans, cela faisait 2 ans que nous avions rompus…Auparavant, cela avait été 4 années d’une liaison clandestine, mal définie ; Je ne sais même plus exactement pourquoi nous nous sommes séparés.

 

Elle se retourna vers moi et retrouva la position qu’elle prenait toujours avant, les rares fois où nous avons passé une nuit ensemble ; son nez dans mon cou et un bras autour de ma poitrine.

 

J’ai du m’endormir moi aussi. Plus tard, lorsque j’ai ouvert les yeux, elle était réveillée et elle me regardait. Je l’ai embrassée.

 

-         T’es mignon quand tu dors.

-         Et quand je ne dors pas ?

-         Oui, aussi.

 

Elle s’étira et s’immobilisa, soudain triste.

 

-         Tu as su qu’ils m’avaient opéré ?

 

J’ai fais un signe affirmatif de la tête.

 

-         Ils m’ont …Ils m’ont… Enfin, je ne peux plus faire l’amour…

 

Sa phrase s’acheva dans un sanglot. Que répondre ?

 

-         Où est le problème ? Tu sais bien que je n’aime pas tellement cela.

 

Pour la première fois, elle éclata de rire.

 

-         Menteur ! Sale menteur ! Salaud !

 

Et son rire lui amena de grosses larmes.

 

-         Tu es idiote ! Je ne suis pas venue pour ça.

-         Mais et toi ?

-         C’est bientôt mon anniversaire. Tu m’offriras une poupée gonflable !

 

Elle m’a embrassé et on a parlé d’autre chose.

 

Plus tard, nous sommes allés faire un tour en forêt puis nous avons terminé la soirée à Montmartre.

 

Les mois de juillet et d’août furent à la fois calmes et fous.

 

Calmes parce que durant la journée, nous avions adopté un rythme adapté à son état de santé. Tous les matins, nous partions travailler ensemble. Nous mangions au self, le midi,. Puis elle repartait avec la voiture. Le soir, je remontais en train. Elle m’attendait à la gare.

 

Fous parce que les soirées et le week ends ne se déroulaient jamais de la même façon. C’était à qui aurait l’idée la plus originale, la plus bizarre, la plus saugrenue.

Prendre vers 18 heures l’autoroute du Nord pour aller boire un verre à Bruxelles, marcher des heures dans Paris pour trouver un restaurant aux tentures mauves ou oranges, manger des moules à Rungis, visiter les égouts… Elle était la plus déchaînée à ce jeu. J’essayais de la freiner un peu à cause de sa santé…mais elle souhaitait, elle espérait ce tourbillon si solidement ancré dans le quotidien.

 

Durant toute cette période, elle ne parla jamais de son mal. Je l’accompagnais tous les quinze jours à l’hôpital. Sa dernière chimio remontait à trois mois. Le médecin l’auscultait rapidement et lui prescrivait ses drogues comme elle disait, puis il nous renvoyait avec un :

 

-         Bon, c’est bien, tout va bien.

 

Et c’était vrai ! Elle allait bien ! Enfin, aussi bien que l’on peut aller avec un cancer qui se généralise. Elle perdait toujours du poids. Elle se pesait tous les samedis matins. C’était le seul moment où elle replongeait dans sa peur. Elle ne disait rien mais elle devenait blanche et muette en regardant les chiffres rouges du cadran. Mais autrement, même les soirs, rares, où nous restions à la maison, elle semblait avoir chassée sa frayeur… Non, c’est faux, elle faisait semblant d’avoir chassé sa frayeur.

 

Cette vie dura jusqu’au matin du 5 septembre. L’infirmière de la boite m’appela vers 10 heures. Elle venait d’avoir un malaise. Je l’ai retrouvé, allongée sur une civière, blanche, si blanche, respirant avec peine. Les pompiers l’ont évacuée sur l’hôpital.

 

SUITE
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commentaires

S
Des moments poignants. Que dire de plus sinon qu'être ému ?
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L
<br /> Merci beaucoup...<br /> <br /> Pardon de te repondre si tard mais actuellement je bosse pas mal.<br /> <br /> J'aime bien ce que tu fais sur ton blog...<br /> <br /> Je vais profiter du week end pour y aller à nouveau<br /> <br /> bonne soirée<br /> <br /> Lastirokoi<br /> <br /> <br />
M
Une histoire si émouvante, que l'on vit avec toi.
Répondre
L
<br /> Merci pour ton commentaire...<br /> <br /> et bonne soirée<br /> <br /> A bientôt<br /> <br /> <br />