Cher ami,
Déjà, je commence mal car tu ne m’es ni cher, ni ami.
Alors qu’es tu ? Il y a dix ans j’aurai dis un cancrelat, une vermine, un scorpion que j’aurai écrasé sous mon pied avec plaisir, avec hargne, avec rage ; mais aujourd’hui, aujourd’hui alors que j’arrive au but? …je ne sais pas, je ne sais plus… peut être es tu ma douleur sourde, lancinante ou plutôt l’obsession de ma douleur car j’ai tellement peur de rouvrir cette plaie au demeurant toujours mal refermer ?
Pourtant je ne veux pas, je ne peux pas te laisser mourir idiot… et ce n’est vraiment pas une façon de parler !
Résumons nous, tu es, toi, citoyen français, quelque part aux USA, dans un pénitencier, au fond et à droite du couloir de la mort. Demain matin, on va te tirer de la cellule éclairée jour et nuit pour t’asseoir sur la chaise électrique. Heureusement l’Etat où tu te trouves n’a pas encore aboli la peine de mort. Tu n’as aucun sursit à espérer. J’ai payé qui il faut pour que, quoiqu’il se passe, le fonctionnaire appuie sur le bouton à 6 heures précises
Tu te demandes qui je suis ? Un fou ? Un sadique ? Oui sûrement, je suis tout cela mais j’ai une excuse ; si je suis un fou et un sadique, c’est à cause de toi.
Donc tu es toi, assis dans ta cellule à lire une lettre à laquelle tu ne comprends rien, une sueur d’angoisse au front car tu sais maintenant que demain matin tu va mourir d’une mort pénible ; mort à laquelle tu as été condamné voila bientôt cinq ans pour un meurtre dont tu te dis innocent…et là, vois tu, là, c’est le seul point sur lequel je suis d’accord avec toi. Tu n’es pas coupable du meurtre dont on t’accuse. Tu n’as pas tué cette jeune femme dans la chambre de ce motel où on t’a retrouvé, un matin, à ses cotés, ivre mort et couvert de son sang. Non, de ce meurtre là, tu n’es pas coupable puisqu’elle était déjà morte ou presque, quand on l’a fourré dans ton lit, deux heures avant que les flics n’arrivent.
Mais tu es coupable d’un autre meurtre pour lequel il y a quinze ans tu n’as pas été condamné.
Te rappelle tu cette petite route de campagne, à l’est de Paris ? Tu roulais à combien… 150… 160… dans ta petite voiture de sport quand tu l’a percuté? Elle n’est pas morte tout de suite. D’après le légiste, cela a prit toute la nuit dans ce fossé ou, au matin, on l’a retrouvé. Tu ne t’es pas arrêté, tu n’as prévenue personne et tu es rentré chez toi, peureusement, lâchement…
Les gendarmes sont venus t’arrêter trois jours après ; papa est intervenu. On t’a libéré le lendemain et six mois après tu es passé devant un tribunal qui t’a condamné à deux mois avec sursis et à quelques billets d’amendes… et tout le monde, toi compris, est reparti à ses occupations en oubliant bien vite l’incident de cette petite. Tout le monde sauf moi.
Non, je ne l’ai pas oublié cette gosse, pas très belle, c’est vrai, pas très riche non plus et sans aucun parent… je n’ai pas oublié car je l’aimais, je l’aime toujours et je l’aimerai jusqu'à ma mort.
Je t’ai haï, je t’ai détesté comme, je pense, on ne peut pas plus haïr et détester. J’ai pensé t’attendre au coin d’une rue et t’abattre d’un coup de fusil comme un chien. Et puis j’ai réfléchis. Elle méritait mieux et plus que cela. Oui, elle méritait qu’un tribunal proclame au monde entier que tu étais un assassin et te condamne pour cela.
Dois je continuer ou as tu compris maintenant?
La peine de mort n’existait déjà plus en France. Donc il fallait que je t’entraîne là ou elle existait encore. Mon choix s’est fixé sur les Etats Unis.
Le reste a été un jeu d’enfant : le concours sur Internet ou tu as gagné un séjour tout frais payé aux Us, tu ne pouvais pas perdre car tu étais le seul participant et j’en étais l’organisateur. Cette jeune femme qui t’a abordé le 3ème soir de ton séjour au bar, qui t’a fais visiter la ville et s’est montré avec toi au théâtre, au restaurant et puis au motel ou elle t’a fais boire, c’est moi qui l’ai payé. Rassure toi ce n’est pas celle là, qui est morte. Ta « victime » était déjà dans le coma d’une over dose quand elle a été ramassée près du port par les hommes de l’organisation que j’avais recruté; il lui restait au plus 2 heures à vivre quand ils l’ont couché dans ton lit et qu’ils ont fait ce qu’il fallait… je pense que si cette gosse l’avait su, elle aurait été heureuse de savoir que sa fin pitoyable vengeait en quelque sorte celle d’une gamine aussi vulnérable qu’elle
Voila tu sais tout. Ah, si : deux choses encore :
Il n’y aura personne pour assister à tes derniers instants. Tu l’as sûrement remarqué : voila deux ans qu’on ne t’écris plus. Ta femme a refait sa vie avec un médecin de Meudon. Ton père est mort dans un accident de voiture et ton avocat a été rayé du barreau : c’est fou ce qu’on peut faire avec des billets verts. Le télégramme qui doit leur annoncer ton exécution imminente n’arrivera jamais. Ils l’apprendront par les journaux ou la télé comme tout le monde. De toute façon, ils s’en foutent. Il veulent très vite oublier tout cela comme toi tu as rayé de ta vie la petite que tu as écrasé
Et surtout, ne compte pas sur cette lettre pour prouver ton innocence… tu as du remarqué que certains caractères, certaines lignes commencent à s’effacer ; dans quelques instants tu auras une feuille de papier vierge entre la main. Je l’ai écris avec une encre spéciale … sympathique non ?
Je ne te dis pas « adieu » mais plutôt « au diable » car c’est là, en enfer, qu’on se reverra… je pense que Dieu lui-même ne peut pas comprendre…
© 2008 L.IROKOI IN « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »