Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 00:00

De ma fenêtre, sur le quai de Boulogne, j’aperçois l’incendie que l’automne allume dans les arbres du parc de Saint Cloud. C’est presque l’hiver et je suis une vieille femme, seule.

 

Personne à qui parler ; alors écrire pour ne pas devenir folle ; écrire ma vie, ma vie déchirée d’un seul coup, brûlée, calcinée comme un parchemin trop sec ; Ecrire ce lundi où tout à basculé.

 

C’était il y a 8 ans ; ce matin là, il ne m’avait pas appelé. Je ne me suis pas inquiétée ; parfois, il ne le pouvait pas…

 

La nouvelle m’est arrivée vers 10 heures. Il avait fait un AVC dans la nuit. Il était en « réa » à Beaujon…

 

Il, c’était lui, l’homme que j’aimais depuis 5 ans sans aucun droit à l’aimer.

Parce qu’il était marié, parce qu’il avait 3 enfants, parce qu’on travaillait au même endroit, dans le même service et qu’il était mon chef…

 

5 ans, 5 ans ou, à l’euphorie des premières semaines où l’on prenait tous les risques, avait succédé au fil des mois une liaison quasiment matrimoniale… Il n’avait jamais été question qu’il divorce et que l’on vive ensemble… Il n’avait jamais parlé de moi à sa femme et nous communiquions clandestinement au téléphone, par mail ou par sms. Nous n’étions jamais parti ensemble en voyage et les nuits où j’ai dormi dans ses bras se comptaient sur une seule main.

 

Une ou deux fois par semaine, on allait chez moi, le soir ou même le midi… c’est tout et cela nous suffisait

 

Il n’était ni particulièrement beau, ni riche ni très intelligent ; mais je l’aimais, oui, je l’aimais, tout simplement.

 

Un temps j’ai pensé avoir un enfant de lui… il n’y était pas opposé et puis on a abandonné l’idée.

 

J’étais bien avec lui… cela aurait duré… longtemps… et puis il y eu ce lundi…

 

Ce lundi qui m’a coupé de lui, isolée, comme le naufragé sur son île voyant couler son navire… lui, mon refuge, mon amour, lui aussi avait sombré…

 

Qui n’a jamais vécu l’attente devant un téléphone, l’écran vide d’un ordinateur qui reste muet ne connaît pas le silence, ne sait pas ce que c’est d’attendre…

 

Les premières semaines, je ne dormais plus, j’étais épuisée… j’ai voulu m’arrêter en maladie mais seule chez moi, bien vite j’ai compris que le seul lien qui me restait avec lui, c’était le bureau. Là seulement je pouvais avoir des nouvelles, voir des collègues qui pouvaient appeler l’hôpital…

 

C’est là que j’ai réalisé que les gens, dans leur grande majorité, sont gentils… tous savaient mais ils ne pouvaient pas m’en parler directement… alors ils annonçaient à forte voix dans le bureau qu’ ils avaient appelé l’hôpital, qu’il allait mieux, qu’il allait s’en sortir…

 

J’ai été lâche, je m’en veux un peu mais peut être aurait il voulu que j’agisse ainsi… j’aurai pu, moi aussi, appeler l’hôpital et même aller le voir… mais rencontrer sa femme, voir ses enfants peut être, c’était, je l’avoue,  au dessus de mes forces. Oui, je ne me vois vraiment pas demander à son épouse, des nouvelles de mon amant.

 

2 ou 3 fois, le samedi soir, j’ai osé … j’ai décroché le téléphone et d’une main tremblante, (d’autant plus tremblante que je venait de boire 3 ou 4 whiskys pour me donner du courage), j’ai composé le numéro de l’hôpital pour raccrocher, le cœur battant, dès qu’une voix répondait.

 

Une seule fois, un soir, j’ai osé… ce devait être un interne, très jeune,presque encore un adolescent… alors j’ai osé, j’ai osé demander de ses nouvelles….

 

Il m’a dit ce que je savais déjà : il ne remarcherai plus jamais, il ne reparlerai pas, non plus, seul son bras droit fonctionnait. Il ne manifestait plus aucun sentiment car son visage était paralysé…en d’autres termes, on ne savait pas s’il avait des sentiments, des souvenirs… mais il était stabilisé, il pouvait vivre ainsi des années. Il rentrerait chez lui dans 3 ou 4 jours…

 

L’ai je seulement remercié ? Je ne sais plus… j’ai raccroché et j’ai fondu en larmes.

 

Il allait rentrer chez lui. Je ne le reverrai plus jamais, il ne pourrait plus jamais me parler, me prendre dans ses bras. Il était vivant mais loin, si loin de moi…se souvenait il encore de moi, de nous ?

 

Cette nuit là, je l’avoue, j’ai failli en finir une fois pour toute avec ma souffrance. Pourquoi ne l’ai je pas fait ? C’était si facile ? Bien plus que de souffrir comme je souffrais… je crains qu’une fois de plus, ma lâcheté ait prit le dessus

 

Les jours, les semaines, les mois ont passé.

 

Ce qui me faisait mal, c’est qu’au bureau, on ne parlait presque plus de lui ; on l’oubliait. Quelque fois, j’ouvrai un dossier et je tombais sur un rapport signé de sa main… je fondais en larme comme je me suis écroulé le jour où je me suis aperçu qu’on l’avait remplacé par une jeune intérimaire.

 

C’est le soir du réveillon de la saint Silvestre que, pour la première fois, j’ai osé passer devant chez lui… peut être, pour être plus proche de lui, ce jour là,  Il habitait dans le XVème arrondissement, au second étage d’un vieil immeuble, face à une petite place, devant un square.

 

Je me suis assise sur un banc, dans la nuit et j’ai fixé cette fenêtre, celle de sa chambre. Il m’avait décrit sa maison une fois et c’était comme si je la connaissais depuis toujours. Je suis resté assise là presque jusqu’à l’aube, bien après que la lumière de la pièce soit éteinte.

 

Je suis revenue, au début une puis deux fois dans la semaine et bientôt tous les soirs. Je regardais sa lumière ; c’était comme si j’étais près de lui, avec lui ; c’est idiot, non ?

 

Plusieurs fois, j’ai vu son épouse sortir à la nuit tombée… même s’il ne m’avait pas montré une photo d’elle, je l’aurais reconnu : elle était rousse comme l’enfer. Pourquoi est ce que j’écris cela? je ne lui en veux pas, je ne lui en ai jamais voulu. En fait, nous étions proche l’une de l’autre ; nous aimions le même homme ; simplement, elle avait eu la chance de le trouver avant moi. A 2 reprises, j’ai aperçu ses 2 fils aussi, 2 adolescents mal poussés qui partaient faire la fête, sûrement.

 

Cela est arrivé un soir comme les autres et pourtant différents des autres. Son épouse a quitté la maison plus tôt que d’habitude. Ou pouvait elle aller ? Ensuite, ce furent ses fils qui sortirent. Il était seul là haut dans la chambre. Là aussi, j’ai été lâche ; j’aurai pu monter et sonner à sa porte… mais comment m’aurait il ouvert? J’étais là à regarder de tout mes yeux sa lumière…

 

C’est alors que cela se produisit… sa lumière se mit à clignoter… lueurs et obscurité se succédant suivant un rythme ordonné ; Eclairs longs et brefs s'alternant…toujours selon la même séquence : court, deux longs, court, un long et deux courts… comme cela pendant peut être un quart d’heure. Et puis la nuit s’imposa dans sa chambre. J’attendis encore une heure… plus rien… alors je suis rentré chez moi… triste et étonnée.

 

Je n’ai pas été surprise lorsque, le lendemain, le directeur en personne m’a appelé. Je m’y attendais inconsciemment. Il m’a donné, lui catholique pratiquant, rigide dans sa morale comme dans sa vie, la plus belle preuve d’amour qu’un homme puisse donné à un autre être humain, à moi, femme entretenant une liaison coupable avec un homme marié.

 

Avec quelles précautions, quelle gentillesse m’a-t-il annoncé ce que je savais déjà, qu’il était mort dans la nuit… avec quelle délicatesse m’a-t-il proposé de venir avec tous les collègues du bureau à son inhumation ? C’était un brave homme… et c’est grâce à lui que cette nuit là, je n’ai pas ouvert le gaz pour en finir avec cette douleur horrible.

 

C’est le lendemain que je me suis effondré dans ma salle de bain. Trop de nuit sans sommeil, trop de repas évités, trop de peine tout simplement. Je suis tombé sur mon carrelage et cela a fait tant de bruit que la concierge s’est inquiétée.

 

J’ai passé presque 3 semaines à l’hôpital et pour ma convalescence je suis parti en Bretagne, chez une lointaine cousine, ma seule famille, près d’Ethel.

 

Elle m’accueillie à bras ouvert et j’ai tenté de me reconstruire dans cette famille ou deux garçons d’une dizaine d’année mettaient une animation tonique.

 

C’est grâce à eux que j’ai su.

 

Un soir, il y avait du bruit et des rires dans leur chambre; j’ai frappé et ils m’ont dit d’entrer. Il faisait noir. Ils jouaient avec des lampes électriques, alternant les éclairs brefs et longs. Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient… ils jouaient à s’envoyer des messages en morse avec leur copains dans la ferme d’à coté.

 

Le cœur battant, j’ai pris la table de transcription qu’ils avaient découpé dans un vieux dictionnaire…

 

Court, deux longs, court, un long et deux courts… Deux lettres, deux simples lettres : WL « with love » : c’était notre code, notre code rien qu’à nous, que nous mettions un peu partout, à la fin de nos sms, de nos mails, sur nos lettres et même sur les « post it » que nous échangions dans nos dossiers…

 

J’ai froid ce soir. Des frissons courent le long de mes jambes et remontent le long de mon corps jusqu’à mon cœur. A tout hasard, avec la lampe électrique qui ne me quitte plus, j’envois vers le ciel, au dessus de la Seine et bien après le parc de Saint Cloud, dans la nuit, nos deux lettres : W.L, W.L, W.L...With love, mon amour…

 

Last irokoi ©2008 in « histoires de la vie de tous les jours »

Partager cet article
Repost0

commentaires

M
Tes mots vont très loin dans le coeur , jusque dans le pays des larmes...
Répondre
L
<br /> Oui... une idée fixe que j'avais il y a longtemps qui me faisait peur et que je ne voulais pas faire vivre ou risquer de faire vivre à celle que j'aimais... alors, je suis parti vivre  avec<br /> elle et très vite, on s'est marié....<br /> <br /> Bon week end<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
J'aurais pas du...j'ai lu quand même.Forcément ça appuie là où ça fait mal.Mais qu'est ce que c'est bien écrit ! Ces petits mots qui font les grandes histoires. Dommage que les grands sentiments s'inscrivent si souvent dans une part de douleur.Bon hé on ne va pas se sapper le moral, ils annoncent grand beau pour ce week end et je crois qu'avec mes 3 hommes on va en profiter un maximum.Bon week end à toi Lady ;-)
Répondre
L
<br /> Que te dire my lady...<br /> <br /> Si ce n'est qu'a un moment de ma vie, ce genre de chose aurait pu m'arriver et surtout arriver à la femme que j'aime...<br /> <br /> Alors pour que cela n'arrive pas en tout cas pas comme cela, j'ai fais ce qu'il fallait... je suis venu vivre avec elle et je ne l'ai jamais, jamais regretté...<br /> <br /> Cela valait bien une petit histoire pour exorciser cette peur retrospective... non?<br /> <br /> Bon week...<br /> <br /> très cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
Ce sera peut être le seul que je ne pourrai pas lire...Bisous grand siouxJe n'ai pas pu...Lady :-)
Répondre
L
<br /> J'ai vu la suite et j'ai vu que tu l'avais lu....<br /> <br /> <br /> <br /> bonne soirée<br /> <br /> L.I.<br /> <br /> <br />
L
J'ai cliqué au hasard sur cette date, n'ai vu que les deux dernières lignes du texte et les comm qui suivent.J'hésite à lire....Peur que ça réveille de trop belles choses...Allez je me lanceLady;-)
Répondre
L
<br /> <br /> <br /> L.I<br /> <br /> <br />
S
Je ne saurais traduire en mots ( mais en maux si...) ce que cette histoire a (r)eveille en moi...Alors justeMerci.Bisous.P.S : si quand meme, faut que je te le dise, un de tes plus beaux texte selon moi ....Comment ca je ne peux pas etre objective ??
Répondre
L
<br /> Toute histoire fais resonner (et non pas raisonner) en nous quelque chose de secret et de personnel... c'est d'ailleurs le but du créateur: emouvoir, etonner, faire rire....<br /> <br /> Il faut prendre les mots de cette fable pour ce qu'ils sont et rien que pour cela: une histoire, le produit de l'imagination, le pur produit de l'imaginaire, de ce qui aurait pu arriver, de ce qui<br /> aurait pu m'arriver si... et justement le plus important c'est le "si"...<br /> <br /> Bonne soirée et bisous<br /> <br /> <br /> <br />