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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 00:16

Première partie / la nuit qui n’exista pas.

 

(Le Mont St Michel / 17 Janvier 1702)

 

La berline noire, tirée par 3 chevaux, soulevait d’immenses gifles d’eau. Les soldats de l’escorte étaient trempés et leur monture, exténuée, glissait sans cesse dans le bourbier des ornières.

 

4 jours, voila 4 jours que la berline et son escorte d’une dizaine d’hommes avaient franchi dans la nuit, l’octroi de la porte St Honoré. Prenant plein ouest, évitant les villes, l’équipage brûlait les étapes, sans ralentir dans les villages, en une course insensée, sous une pluie diluvienne.

 

Aux relais, il y avait toujours des chevaux qui attendaient. Personne ne descendait de la voiture, silencieuse, inquiétante, derrière les rideaux de cuir toujours tirés. A se demander s’il y avait quelqu’un à l’intérieur. Mais si l’aubergiste ou un gabelou s’approchait de trop près, un soldat s’interposait en disant « service du Roy ».

 

On mangeait en roulant ou en chevauchant, sans s’arrêter. Nulle halte pour dormir. Les hommes étaient exténués. On s’était arrêté à 3 reprises, au fond de forets désertes pour satisfaire aux besoins physiologiques des voyageurs. L’escorte et le cocher avaient été prévenus. Ils s’étaient éloignés à 200 pas avec interdiction de se retourner vers la voiture. Et puis la course avait repris Le cocher poussait ses chevaux à les crever. Il avait reçu l’ordre au départ d’arriver coute que coute avant la fin du 4 ème jour.

 

En fin d’après midi, les murailles d’Avranches se profilèrent dans le brouillard, au loin, mais, l’équipage quitta la grand-route pour s’engouffrer, à main droite, dans un sentier défoncé qui, entre haies et vergers, se faufilait vers la mer, vers la baie du Mont.

 

Sur le rivage, un gros soleil rouge d’hiver posait sur les flancs du Mont, une étoffe fragile, d’or et de cuivre et tout là haut, autour de l’Archange, une écharpe de mouettes virevoltait.

 

Un homme, cravache en main, les attendait, comme convenu, pour les guider dans la baie, jusqu’à la forteresse. Il faisait froid sur l’estran et la mer, blanche, grondait, retirée au loin. La pluie, mêlée au vent, gelait sur le poitrail des chevaux. Le guide, au grand galop, menait l’escorte, sans hésitation, vers les remparts sombres.

 

C’était la nuit lorsque la berline franchit la poterne et vint se ranger contre le portail fermé d’un bâtiment de pierre. Un homme, le gouverneur militaire de la forteresse, attendait. Il échangea 3 mots avec le guide. On fit reculer l’escouade et le cocher descendu de son siège, jusqu’au fond de la cour et la portière de la voiture s’ouvrit à toute volée. 2 ombres en jaillirent dans un bruit de tissu qui se déchire et s’engouffrèrent dans l’entrebâillement du portail vivement refermé derrière le gouverneur qui les suivit.

 

Les hommes descendus des montures commençaient à râler : ils avaient faim. Un jeune voltigeur s’approcha de l’adjudant qui croquait dans une carotte de tabac.

 

-       qu’est ce tu veux ?

-       Rien, mon adjudant, rien…

 

Le vieux lui tendit le tabac :

 

-       Tiens, croque là dedans : Ca coupe la faim…

-       Merci, mon adjudant, merci bien.

 

Il mâcha un petit morceau.

 

-       Toi, t’as quelque chose sur le cœur et t’ose pas parler… allez accouche…

-       C’est … c’est rapport aux voyageurs…

-       Quoi les voyageurs ?

-       Un surtout, le second à sortir…

-       Oui et alors ?

-       Vous n’avez rien remarqué ?

-       Ben à la distance ou j’étais et avec la nuit… non, ils sont sortis si vite, comme des diables hors de leur boite…

-       Moi j’ai vu… son chapeau a glissé…vous me croirez pas… son visage…

-       Ben quoi son visage ?

-       Justement, il en avait pas…

-       Pas de visage ?

-       Non, pas de nez, pas de bouche, juste deux yeux comme des trous blancs, tout le reste entre son chapeau et son col, c’était vide, noir comme l’enfer…

 

La conversation fut interrompue par un ordre qui claqua dans la nuit :

 

-       soldats, à cheval, nous repartons, formez l’escadron.

 

Les hommes protestèrent :

 

-       ah, non, chef… pas tout de suite, on est crevé

-       on a rien bouffé depuis 4 jours

-       vous vous reposerez plus tard, tas de feignants ! en selle ! 8 jours de cellule au premier qui ouvre sa grande gueule.

 

En grognant, ils remontèrent à cheval quand la voix du cocher éclata :

 

-       Ah mon cul, oui ! Moi, je bouge pas ! Vous, vous êtes des enfoirés de soldats, mais moi j’suis un civil, bordel, un civil… et le civil que je suis, il vous dit d’aller chier… y va dételer, y va monter la rue là pour trouver à boire et à manger et y va dormir, 2 jours s’il le faut… dit t’entends, enfoiré de gradé ! voila ce qui va faire le civil… il en a plein les bottes, le civil…

 

Et il commença à s’approcher de l’attelage. Il y eu un moment de flottement. Les hommes attendaient, sentant qu’il allait se passer quelque chose. L’officier regarda le guide et reprit :

 

-       Cocher ! Au nom du Roy…

-       Mes couilles, gradé, mes couilles, t’entend… le Roy, à cette heure là, y pionce le Roy

-       Cocher, je vais vous faire…

-       Mon cul t’entends… c’est plutôt toi qui devrait aller te faire….

 

Un coup de feu cravacha la nuit. Le cocher porta ses mains à son ventre, tomba à genoux et lança un regard d’enfant apeuré vers le ciel :

 

-       Ben, ben alors ça !..

 

Et il s’écroula d’un bloc, le nez dans le crottin de ses chevaux. Des hommes se précipitèrent vers lui. La voix du guide résonna, sèche, dans la cour :

 

-       Silence !

 

Il tenait ses 2 pistolets braqués sur le groupe :

 

-       il me reste encore une balle. Je la mets dans la tête du premier qui bronche. En selle, tous, vite …

 

Il regarda l’officier :

 

-       Et vous désignez un homme pour remplacer ce porc de cocher…

 

L’officier allait répliquer mais le guide avait un regard dur, acéré comme un silex… un regard de tueur…

 

L’instant d’après, l’escouade s’enfuyait littéralement vers la terre. Le guide mit un coup de pied au cadavre du cocher et rentra dans le bâtiment

 

Derrière, le Mont s’était fondu dans l’obscurité. L’escouade galopait à toute vitesse dans la nuit, dans le froid. Au début, ils avaient suivi leurs traces imprimées dans le sable. Et puis, dans le noir, ils les perdirent. Les chevaux, les premiers, devinrent nerveux, flairant le danger… ils ralentissaient, se dérobaient, hennissaient, des panaches de buée aux naseaux.

 

L’officier, inquiet, commanda la halte et fit allumer des torches. Le vent les souffla. Il eut tout de même le temps d’apercevoir le flot, livide, droit devant… il n’y comprenait rien… il envoya l’estafette en reconnaissance qui revint très vite confirmant que la marée était devant… ils avaient du tourner en rond dans la nuit. Il commanda de faire demi-tour. L’ordre fut exécuté à grand peine.

 

Ils firent quelques pas mais à nouveau, le flot leur barra la route. L’officier n’y comprenait plus rien… devant, derrière, l’eau était partout… et brusquement des cris, d’hommes et de chevaux, s’élevèrent… la berline, la berline s’embourbait… Elle était dans le sable jusqu’aux moyeux des roues. Les chevaux s’arc-boutaient sous le fouet maladroit du soldat… En vain, la voiture était comme soudée au sol…

 

On tenta de rallumer les torches… Dans cette lumière incertaine, le désastre apparu dans toute son horreur. Plusieurs hommes étaient dans la boue jusqu’aux cuisses, évitant comme il le pouvait les sabots de chevaux qui se cabraient pour fuir le piège, en vain. On grimpa sur le toit de la berline pour envoyer des cordes mais l’officier se rendit vite compte que pour la plupart de ses hommes, c’étaient trop tard.

 

Un cheval par miracle put s’extraire du bourbier et s’emballant, emmena son cavalier vers le flot, vers la mort…

 

Et les torches une à une s’éteignaient comme les vies des hommes et des chevaux qui mouraient dans d’horribles gargouillements, pathétiques et ridicules.

 

Il y eut de la lâcheté, il y eut de la bravoure, l’une comme l’autre inutile d’ailleurs. Le piège s’était refermé sur l’escouade et rien ne pu lui faire relâcher son étreinte.

 

Dans un dernier effort, l’officier, sur son cheval cabré, s’attacha une corde autour de la poitrine pour l’envoyer à son estafette qui avait déjà de la boue plein la bouche… mais une rafale de vent le déséquilibra et il tomba la tête la première dans la vase… sans un cri, il mourut… rapidement.

 

Peu à peu les clameurs se turent ; peu à peu, le silence revint sur l’estran. L’adjudant fut le dernier à se taire. Il était devenu fou :

 

-       p’tit bonhomme, p’tit bonhomme l’est pas en bois ta caboche, l’est pas en fer… l’a plus de caboche, l’a plus du tout de caboche…

 

Puis, ce fut le silence… rien que la mer qui grondait tout autour. Rien que la nuit… une seule torche restait allumée, par miracle, sur le toit de la berline, mais il n’y avait plus personne pour voir l’étrange spectacle de la lourde voiture disparaître tout droit dans le sable.

 

Puis, une poignée de pluie éteignit la flamme et l’obscurité permit enfin aux spectres de l’escouade qui rodaient alentour de trouver enfin un repos bien mérité.

 

La seconde partie de « l’homme sans visage » sera publiée la semaine prochaine

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

 

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commentaires

M
Bonjour Last Irokoi,Une plume avec un suspens époustoufflant, je pourrais lire la suite, je reviendrai, tu as ce don malgré la longueur du texte de nous tenir en halène et ça c est du bon... Dès le début, j ai imaginé la scène et en fin d après midi en ce repos cela fait du bien de revenir te lire, il y avait tellement longtemps...Bravo en tout les cas et j ai hâte d'aller lire la suite...A bientôtBises amicalesMaïlyse
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L
<br /> Bonsoir et merci pour ces compliments...<br /> <br /> J'ai tout rassemblé sur une page parce qu'autrement il faut reconstituer le puzzle est parfois complexe...<br /> <br /> J'espere que cela t'a plu...<br /> <br /> Bonne semaine<br /> <br /> très very cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
P
c passionnant merci !!!!
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L
<br /> c'est moi qui vous remercie et pour vos visites et pour vos compliments...<br /> Bonne semaine<br /> <br /> Très cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
hello grand sachem,Je me suis faite avoir, je croyais que c'était le 15 du mois de Juin...2009 s'entend ! Bisous je file , j'ai une méga tonne de choses extras à faire. Lady:-)
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L
<br /> hello Lady,<br />  Désolé du contretemps mais j'ai eu quelques pb urgents a regler mais.... l'homme sans visage est bien  à l'abri dans le grand mont il ne s'evadera pas...<br /> <br /> Je te souhaite un très bon week<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
Hugh Grand chef.Cela faisait bien longtemps.J'ai lu un petit bouquin qui m'a de suite fait penser à certaines de tes histoires."Salut et liberté" de Fred Vargas.Voila, inutile de te dire que c'est toujours un grand plaisir.Eric.PS J'espére que tes nouveaux venus se portent bien.Hurlent ils à la mort??
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L
<br /> Salut Eric...<br /> <br /> La comparaison est flatteuse... pour Vargas bien sur... (là j'imite Juppe)<br /> <br /> Merci<br /> <br /> Bébé loup va très bien... là elle dévore tout cru un caillou... d'habitude elle prefere les coton tiges ou les kleenex...<br /> <br /> Elle est vraiment mignonne<br /> <br /> Tres bonne semaine<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
Petit rappel pertinent : nous sommes le 15 héhé. J'attends au pied du tipee et...comme il pleut ce serait sympa d'ouvrir pour la lecture du jourBises de Lady :-)
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L
<br /> OK OK je suis le forçat du stylo...<br /> <br /> Très sympa en tout cas comme réaction... la preuve que l homme sans visage interesse encore du monde...<br /> <br /> très bonne semaine<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />