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5 juillet 2009 7 05 /07 /juillet /2009 01:45

3ème partie / LA LIBERTE DANS LES MAINS

 

Je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. J’ai lu et relu les passages de ce livre de médecine et au-delà, je me suis remémoré toutes mes lectures savantes où il était question de cette maladie. A deux ou trois reprises, j’ai soufflé mes chandelles pour m’allonger et me reposer un peu mais, dans l’obscurité, je voyais sur le mur, s’inscrire en lettres de feu, les symptômes du mal de l’enfant et surtout la façon de le guérir… car c’était écrit dans les livres, un geste, un simple geste pouvait lui sauver la vie… et je me demandais tout simplement si j’aurai le courage de faire ce geste…

 

Eusèbe arriva enfin. Il avait l’air sombre et fatigué. Je lui ai demandé des nouvelles. Sans me répondre, il a secoué la tête… ça allait mal. Alors, je lui ai posé des questions sur le mal de l’enfant, sur ses symptômes… au fur et à mesure qu’il me répondait je retrouvais mot pour mot ce que j’avais lu cette nuit… la fièvre, les plaques rouges sur le thorax, l’apathie et surtout les ganglions tout autour du cou, la respiration sifflante et ces peaux grisâtres dans le fond de la gorge qui l’étouffaient, qui l’étranglaient.

 

Cela confirmait ce que je pressentais : je connaissais son mal et surtout la façon de le soigner, de le sauver…

 

Eusèbe allait prendre congé plus tôt que d’habitude pour revenir plus rapidement près de son fils. Il fallait que je me décide…

 

Il avait encore la main sur la clé dans la serrure quand je lui ai dit :

 

-          Attend…je sais ce que c’est, je sais ce qu’il a ton fils…

 

Eusèbe a relevé sa tête cherchant mon regard de ses yeux d’aveugle. D’une voix que je ne lui connaissais pas, il a dit :

 

-          Toi… médecin ?

-          Non, mais je sais…

 

Il n’a pas posé d’autres questions… comme s’il me faisait immédiatement confiance… alors je lui ai dis de se dépêcher, d’aller chercher de la lumière, plein de lumière, de l’eau, beaucoup d’eau chaude et des couvertures, autant qu’il pourrait et surtout, un couteau fin, très aiguisé, le plus fin et le plus aiguisé qu’il pourrait.

 

Sans poser de question, il est remonté comme un fou… pendant ce temps, j’ai tiré mon bureau dans le sas… piètre table d’opération !

 

Il est revenu très vite avec tout ce que j’avais demandé. On s’est installé comme on a pu. Quand tout a été en place, nous nous sommes regardé… alors, je lui ai dit d’aller chercher son fils mais surtout, surtout de ne rien dire à sa mère et surtout de lui bander les yeux, de ne pas me poser de questions mais de lui bander les yeux de telle façon qu’il ne voit pas mon visage… et de faire vite, le plus vite qu’il pourrait…

 

A nouveau, je me suis retrouvé seul dans ma cellule, avec ma peur… car, oh oui mon dieu, combien j’avais peur… peur de tuer cet enfant… je ne suis pas croyant… j’ai refusé dans toutes mes épreuves, le prêtre que l’on me proposait mais à cet instant précis, mon dieu, que j’aurais souhaité avoir un curé avec qui parler… mais non personne… que mon angoisse. Alors pour la première fois de ma vie, je crois bien que j’ai prié…

 

Il est enfin redescendu avec son précieux fardeau enveloppé dans des couvertures. Il est entré dans le sas et a posé l’enfant sur la table que j avais préparé.   Maréchal, lui, est resté en dehors du sas.

 

J’ai ausculté l’enfant. Il fallait faire vite. Il était inconscient, son pouls était capricieux et il respirait avec un énorme bruit de forge. Je ne pouvais plus reculer. Il fallait que je fasse ces gestes que mille fois j avais fait en pensée… mais j’avais peur, j’avais si peur. Je sentais mes mains qui tremblaient et la sueur, une sueur d’angoisse comme celle du Christ sur le Golgotha, coulait sur mes joues, sur ma poitrine… la panique comme une immense vague s’emparait de moi…. Et puis, brusquement, tout se calma. Je regardais ce petit enfant… il ne pouvait compter que sur moi, rien que sur moi. Alors, j’ai respiré un grand coup et j’ai pris le couteau dont j’ai passé la lame dans une flamme…

 

Ce fut long, très long… Je devais agir avec tant de précautions pour ne pas trancher dans la chair vive. Son père le tenait sur la table, la tête basculée et la bouche grande ouverte et moi je venais trancher au fond de sa gorge, ces immondes peaux grisâtres qui l’étouffaient qui l’étranglaient…  

 

Et peu à peu, l’air, la vie revenait en lui ; au fur et à mesure que je le libérais, il respirait mieux, il passait du coma profond à un sommeil apaisant…

 

Longtemps, longtemps après, quand j’ai reposé le couteau, je ne sentais plus ni mes bras, ni mes jambes… je me suis mis à trembler et, sans le grand coup de cognac qu’Eusèbe me passa, je crois bien que j’aurai vomi, bêtement…

 

J’ai encore eu la force de rédiger pour l’apothicaire la formule d’une potion à base de racines d’orties et de mures que j’avais relevé dans mon précieux livre… Eusèbe a remonté l’enfant encore endormi dans ses couvertures, j’ai rangé le sas, éteignant les chandelles chancelantes et je suis allé m’écrouler sur mon lit…

 

J’ai dormi longtemps, longtemps… je me suis réveillé complètement abruti de fatigue et courbatu. Au même instant, Eusèbe arrivait.

 

Son fils n’avait plus de fièvre. Il avait fait 2 bains de gorge et s’était assis dans son lit. Il crachait encore de gros caillots de sang mais il respirait normalement. Je lui ai dit de le surveiller et de continuer les bains. Eusèbe m’avait amené un gros morceau de rôti de biche et une bouteille de vin de champagne.

 

Les jours et les nuits passèrent et peu à peu, l’enfant se remettait complètement. Il pouvait manger normalement et voulait repartir jouer avec ses copains sur l’estran de la baie.

 

Nous reprîmes nos habitudes avec le geôlier et surtout nos parties d’échecs mais je lui trouvais l’air triste, sombre… tellement qu’un jour, je lui ai demandé ce qui se passait. Sa réponse me laissa sans voix :

 

-          Pas juste… toi sauver mon fils mais toi prisonnier…

 

Je ne savais pas trop quoi dire… si ce n’est que ce n’était pas l’important, que l’essentiel était que son fils soit sauvé, qu’il ne savait pas tout, que surtout il ne devait pas savoir… mais j’avais beau parler je sentais bien qu’il ne m’écoutait pas car il était têtu le bougre…

 

Plusieurs jours passèrent encore où souvent il faisait allusion à l’injustice de ma captivité et peu à peu à ma liberté…

 

Jusqu’au jour où il arriva avec une pioche et une lanterne en main et une corde autour de la taille.

Il pénétra dans le sas puis dans ma cellule et alla droit au mur du fond.

 

Il se mit à défoncer la muraille et ouvrit une large brèche. Cela donnait sur un large conduit, un puit ou une cheminée qui s’enfonçait vers les profondeurs du Mont.

 

Il me tendit la lanterne et l’extrémité de la corde en me disant :

 

-          toi partir…

 

J’ai hésité quelques instants mais comment dire, sa voix était tellement pressante… j’ai pris le bout de la corde dont il attacha l’autre extrémité, aux grilles du sas.

 

Il y eu un grand silence dans ma geôle. J’étais pris d’un vertige, au bord de la liberté que je n’avais jamais connu comme d’autres le sont au bord d’un gouffre.

 

L’un et l’autre nous gardions le silence… et puis il eu ce geste qu’ont les aveugles pour reconnaître ceux qu’ils aiment : il voulu toucher mes traits de ses mains, de ses doigts… pour me voir…

 

Avant que je puisse m’écarter, il m’a effleuré et, tout de suite, il a sursauté en retirant sa main…

 

-          Toi, porter masque ?

-          Oui, ami ; j’ai un masque… depuis toujours ; un sacré putain de masque de fer… mais surtout n’en parle pas, n’en parle jamais, tu entends… à qui que ce soit… surtout pas à ta famille….

 

Sans lui laisser le temps de répondre je me suis engouffré dans la brèche du mur et passant la lanterne autour de mon cou, j’ai commencé à me laisser descendre dans le vide noir et angoissant, peuplé de courants d’air glacés. J’ai commencé à me laisser descendre vers ma nouvelle vie de liberté tandis que la voix d’Eusèbe m’arrivait dans un écho :

 

-          bonne chance, masque

-          bonne chance aussi à toi Eusèbe… soit béni mon ami…

 

Suite et fin dans le quatrième épisode de « L’Homme sans Visage »

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

 

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commentaires

M
L'histoire a beau être connue, je ne voulais pas y croire ...Pourquoi ? 
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L
<br /> Bonsoir...<br /> <br /> Oui elle est connue et à fait couler beaucoup d encre...<br /> <br /> je ne suis pas certain que sa captivité dans les geoles du mont soit authentique mais quand j ai lu quelque part cette version (peut etre dans un prospectus touristique d'ailleurs) je n ai pas<br /> resisté au cadre...<br /> <br /> Bon week end<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
T
Bon c'est pas marrant,moi aussi j'avais pensé au même.Bon tant pis ,je repars.Bien écrit.Continuez.
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L
<br /> Bonsoir et merci pour votre visite...<br /> <br /> ben c'est normal qu'entre homme de la prairie, qu'entre un irokoi et un trappeur il existe des rencontres d esprit...<br /> <br /> D'ailleurs je suis passé sur votre site et j ai vu que nous avions des gouts musicaux extremement proches... nous devons etre d une meme generation (Ah "my generation" des who!!!)<br /> <br /> encore merci pour votre visite,,<br /> <br /> bon week end<br /> <br /> tres cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
Youpiiiiiii j'avais trouvé !!!!!! Preuve s'il en est que tu as très bien retranscrit l'ambiance de cette sordide histoire et surtout les traits de caractère de ce personnage.Bravo L.I quel don pour l'écriture. J'ai vraiment l'impression que je viens de vivre cette scène, c'est bluffant !Bon dimanche à toiLady N ;-)
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L
<br /> HELLO MY LADY,<br /> <br /> Juste pour une semaine chez moi a Royan, entre un bain de mer et un bain de soleil un petit coucou pour bien montrer que j oublie pas les copines bloggueuses...<br /> <br /> Et oui Lady tu avais deviné... le masque de fer d'après la légende a été enfermé au mont dans les horrible cachots du Mont... je profite de ces quelques jours de congé pour ecrire la fin...<br /> <br /> Merci pour tes visites et tes... compliments.<br /> <br /> A bientôt my lady et bonne semaine...<br /> <br /> Bisous<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />