Du front, ce 3 septembre 1917
Mes biens chers parents,
Avant toute chose, chère maman, dis toi bien que je ne peux pas répondre à la question que tu me poses dans chacune de tes lettres : non, je n’ai pas le droit de te dire où je me trouve. Cela nous est strictement interdit et si je le faisais, les ciseaux de « dame censure » séviraient ; cela me vaudrait sûrement quelques jours de prison voire même pis que cela car actuellement, la justice militaire ne plaisante pas.
Apprenez seulement, mes chers parents, que je me porte bien. Après deux semaines au front, dans les tranchées d’où nous avons, à plusieurs reprises, repoussé, avec succès, l’ennemi, nous sommes, mes camarades et moi, redescendus à l’arrière, prendre quelques jours de repos bien mérités.
Je passe mes journées dans la cour d’une ferme, loin des batteries allemandes, à fumer bien tranquillement ma pipe en faisant sécher mes vêtements au soleil. Les gradés nous laissent en paix à discuter ou à jouer aux cartes. Et oui, ma pauvre maman, l’armée a corrompu ton fils qui s’adonne à l’enfer du jeu… rassure toi, rien de bien méchant ; de braves gars des Charentes nous ont appris à jouer à la coinché. Je m’ennuis tellement que tout ce qui peut me distraire et m’empêcher de trop penser à ce qui ce passe là haut est le bienvenue.
Bref, rassurez vous je vais très bien. Depuis quelques temps, on nous nourrit mieux ; j’ai même un peu grossi ; d’ailleurs, cela doit se voir sur la photo que je vous joins à cette lettre. Je reçois régulièrement les colis que vous m’envoyez. Je sais que cela ne doit pas être simple pour vous non plus ; aussi je ne vous en remercie que plus vivement. Apprend, douce maman, que la réputation de ta confiture de mûres a déjà fait le tour du bataillon.
Je suis devenu ami avec Marcel Thevenin qui est notre médecin major. Il a 5 ans de plus que moi. C’est un garçon très brillant : dans le même temps qu’il faisait sa médecine, il passait une licence de lettres. Il parle le grec ancien couramment et quand nous voulons un peu « snober » les autres, c’est dans cette langue que nous nous exprimons.
Si je vous parle tant de Marcel, c’est qu’il m’a fait une proposition et que je ne sais pas trop quoi faire. Voilà, il voudrait me faire muter auprès de lui en qualité de secrétaire, à l’hôpital où il opère, à l’arrière. Je dois avouer que ne plus avoir à remonter là haut, dans la boue et le danger quotidien, me tente ; mais d’un autre coté, laisser les camarades y retourner seul, je ne sais pas, ce serait comme si je les trahissais…dites moi ce que vous en pensez, sincèrement, oubliez un instant que je suis votre fils et donnez moi un avis impartial.
Je suis trop bavard. Je vais devoir poser la plume car bientôt le clairon va sonner l’extinction des feux. Je n’aime pas ce moment où je me retrouve seul, dans l’obscurité, sur ma paillasse. Si vous saviez les rêves horribles que je fais. Mais je ne veux pas vous ennuyer avec cela. Je sais que je ne fais que mon devoir en défendant la patrie, en repoussant l’allemand au dehors de nos frontières. Pourtant Dieu a dit « tu ne tuera point ». Ici, on me félicite pour ça…
Je suis fatigué. J’ai hâte de revenir à la maison. On reparle à nouveau de permissions. J’ai hâte de vous revoir et de vous embrasser, mes chers parents, de revoir la maison et le salon dans lequel je vous imagine sous la lampe, papa lisant son journal en bougonnant et toi, maman, tricotant en écoutant la TSF
Portez vous bien et donnez moi vite de vos nouvelles. Saluez bien de ma part tante Germaine. Je vous fais mille baisers affectueux autant que respectueux.
Votre fils,
Soldat de 1er classe
Jean Dupont
P.S. Avez-vous des nouvelles de mon amie Marie-Madeleine. Voici deux mois et demi que je n’ai reçu aucune lettre d’elle. Savez vous si elle reçoit convenablement mes courriers ? N’est elle point malade au moins ? Rassurez moi sur ces points. Son silence m’attriste un peu mais comme on dit : Ainsi va la vie… et si vous la croisez, surtout assurez la de mon bon souvenir et de mon amitié.
Plein de baisers encore à tous les deux
J.D.
Boston L.W, 2 juillet 2007
Mon bien cher fils,
Je réponds à ton dernier mail qui est arrivé hier au soir. Tu vois, ton père avait raison ; il vaut mieux utiliser Yahoo que Googles. Ton texte n’avait presque pas été coupé. Ils surveillent beaucoup plus les mails des soldats qui se servent de Googles. Je ne sais pas pourquoi.
Tu ne peux pas savoir combien je suis soulagée de savoir que pendant quelques semaines, tu seras dispensé de patrouilles et mis au repos, en sécurité dans le quartier américain, au centre de Bagdad. Profite en pour bien récupérer et te divertir un peu. Fait tout de même attention si tu joues au poker avec des soldats de métiers. Ce ne sont pas des enfants de chœur, ils savent tricher. Je sais ce dont je parle : quand j’étais jeune, je vivais avec mes parents près d’un camp de marines. Je passais des soirées à boire de la bière avec eux. Souvent, on finissait la soirée en jouant au strip poker ! Tu dois penser que ta mère est folle !
Je trouve que tu es très beau, très séduisant sur la photo que tu as envoyée en pièce jointe, surtout que tu as un peu maigri et que cela te va beaucoup mieux. Mon coach m’a dit que la nourriture de l’armée est beaucoup trop grasse et riche ; elle nous prépare des impotents et des cardiaques avant l’age ; vraiment, des 3 hommes de ma vie, Jack, ton beau père, toi et ton père, c’est vraiment toi le plus beau car le plus mince et le plus musclé. C’est toi que j’aurai du épouser ! J
Tu as raison, Bill Phil’s ton nouveau copain, est vraiment un type bien… et un beau garçon si j’en juge par la photo. Il est réellement docteur en informatique (ton père a vérifié) et sort de Harvard, il a monté 4 Start up cotées en bourse et pèse plusieurs millions de dollars alors qu’il n’a pas encore 25 ans. Il est parti par pur amour de la patrie… bel exemple !
Pour ce qui est de la proposition de ton copain Bill qui voudrait que tu travailles avec lui pour l’armée à Bagdad, ton père te fait dire qu’il faut que tu acceptes tout de suite car cela sera un vrai + sur ton Cv quand tu chercheras du travail à la fin de tes études. Jack, ton beau père est du même avis ; il faut dire « oui » car l’important, pour lui c’est de combattre le terrorisme avec toutes les armes possibles et si l’informatique fait parti de l’arsenal, y travailler, c’est aussi honorable que de risquer ses os sur le terrain.
Quand à moi, tu me demandes de te donner un avis impartial ; pourtant, tu es assez intelligent pour savoir que c’est impossible. Je suis ta mère et tu es mon fils unique. J’ai respecté ta volonté de t’engager quand tu l’as souhaité parce que je sais que notre devoir d’américains est de défendre partout dans le monde, la liberté contre la barbarie et le terrorisme. Mais je sais aussi l’angoisse qui me prend quand j’aperçois dans le quartier une voiture noire avec deux militaires à l’intérieur qui manifestement cherche une adresse. Je sais aujourd’hui qu’ils viennent, de plus en plus fréquemment, annoncer à une famille, à moi peut être, que leur enfant est mort héroïquement là bas, dans le désert.
Alors oui, si travailler pour ton copain Bill diminue, même un tout petit peu, le risque que tu as d’être haché vif par une de leur grenade, accepte, accepte mon fils. Peu m’importe ce que les autres penseront de toi. Si Dieu est à nos cotés je ne pense pas qu’il souhaite voir ses enfants mourir ainsi, si jeunes… et pour quoi en fait ? Quelques dunes de sable ? Quelques hectolitres de pétrole ? C’est absurde !
Je suis fatiguée. Je vais t’envoyer ce mail et me deconnecter. Je dois aller chercher les 2 filles de Jack à l’école. Ce sont toujours des petites pestes qui ne m’aiment pas beaucoup. Quelquefois je me demande si j’ai eu raison de me remarier. Je sais que tu m’en as voulu à l’époque ; que tu aurais souhaité continuer à vivre seul avec moi, rien que tous les deux, dans le petit studio au dessus du coiffeur. Mais jack est si gentil. Tu sais, tous les samedis matin, il sort ta voiture du garage pour la laver et faire tourner le moteur. Comme cela, dit il, elle sera comme neuve quand le petit rentrera. En plus, cela lui permet de parler de toi aux voisins qui passent à ce moment là et qui demandent de tes nouvelles. Il est très fier de toi. Je crois que tu es un peu le fils qu’il n’a jamais eu.
Je t’embrasse très fort mon petit et tout le monde, papa, Jack et tes demies sœurs se joignent à moi pour te dire : Revient, rentre vite à la maison.
Plein de baisers, mon petit.
Ta maman
P.S. je vais finir sur une note moins triste. Tu sais, la petite mary ? Mais si, nous l’avons salué ensemble au super marché lors de ta dernière permission ; tu as fais presque toute ta scolarité dans la même classe qu’elle. Et bien figure toi qu’elle est tombée enceinte d’un homme pas très recommandable qui a 20 ans de plus qu’elle. On croit qu’elle vit avec lui pas loin du quartier chinois. Une qui fait moins la fière, c’est sa mère, la Sara ; tu te rappelle combien elle était bigote. Elle avait fait courir des bruits sur moi quand j’ai divorcé. Aujourd hui, elle ose plus sortir de chez elle. Comme quoi, hein ! Ainsi va la vie !
Je t’embrasse très fort, mon John.
(Le caporal Jean Dupont est mort le 4 février 1918 du typhus à l’hôpital de Beauvais où il servait en qualité de secrétaire. Son père est décédé 2 mois après, foudroyé par la grippe espagnole. Sa mère s’est remariée en 1920 avec un homme de plus de 10 ans son cadet qui fut opéré en 1952 d’une tumeur hépatique, à l’Hôtel Dieu de Paris, par le professeur Marcel Thevenin. Cette opération lui sauva la vie.
Le sergent John W.Smith est rentré d’Irak en avril 2008. On l’a retrouvé pendu dans le garage de ses parents à Boston 3 semaines plus tard. La police a conclu à un suicide. Mary Artfield, la fille de Sara, a, 3 mois plus tard, déposé 2 recours en justice : le premier pour une reconnaissance en paternité posthume d’un enfant de 2 ans aujourd hui et qu’elle aurait conçu avec J.W.Smith lors d’une permission de ce dernier. Le second, contre l’armée américaine, responsable selon elle du suicide du sergent J.W.Smith. D’après ses avocats, il s’agit d’un préalable incontournable pour que l’enfant soit reconnu orphelin de guerre et qu’elle perçoive jusqu’à sa majorité, la pension qui accompagne cette reconnaissance. La mère du sergent J.W.Smith a déposé un recours auprès de la Cours Suprême pour empêcher que soit effectué le prélèvement d’ADN. qui attenterai selon elle à l’intégrité de la dépouille mortelle de son fils. Lors des obsèques, Bill Phil’s est venu et à rencontré toute la famille : la mère dont il est devenu l’amant, le soir même, Jack qui l’a trouvé sympa au point de lui proposer un week end de pêche au saumon à Cap Code et le père de John avec qui, aux dernières nouvelles, il projette de créer une multi nationale d’électronique militaire au Proche Orient dont Bill sera le directeur général et le père, président…Ainsi va la vie !)
LAST IROKOI © 2008 IN « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »