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21 novembre 2008 5 21 /11 /novembre /2008 20:04

En revenant à moi, je n’ai pas tout de suite compris où j’étais. A cause du soleil qui m’éblouissait, j’ai cru que je m’étais endormi dans mon jardin, en lisant, après manger. J’ai ouvert les yeux. Je les ai vite refermé. Ca tournait trop. Juste eu le temps de voir que ce n’était pas mon jardin, trop d’arbres … trop hauts et surtout trop de bruit. Prudemment, j’ai ouvert à nouveau les yeux. Cela allait mieux... mais à mesure que le malaise s’éloignait, la douleur se réveillait et avec la douleur, les souvenirs… j’ai tout revu comme dans un film, un mauvais film.

 

Ce déplacement en Amérique du sud improvisé, il y a 5 jours, à cause de Grégoire, le chef du service « étranger, » cloué au lit par une sciatique. L’avion que je prends, le lendemain, nauséeux à cause des piqûres et des cachets contre le « palu » dont on m’avait bourré.. Cette ville, poisseuse de chaleur. Cette première réunion en espagnol ; on m’a adressé la parole ; j’ai répondu en anglais. Ils m’ont semblé hostiles. Jet flag : j’étais crevé.

 

Le soir, tout de même, ils m’ont invité au restaurant.

 

Au retour, le taxi a été arrêté par un barrage ; des mecs, en kaki, pistolet mitrailleur à la hanche. Le chauffeur a voulu discuter, ils l’ont assommé et moi ils m’ont traîné dans un 4 X 4, en ruine. Une banlieue sordide puis une sorte de « no man’s land »pelé et enfin la forêt, la grande forêt tropicale, effrayante.

 

On a roulé toute la nuit.

 

Un camp sous les arbres et une trentaine de personnes, en treillis, armés, autant d’hommes, sales  que de femmes, grasses.

 

Ils m’ont enfermé dans une cabane.

 

J’y suis resté 2 jours, seul. Une fois par jour, on me donnait à manger, une bouillie de céréales. Le garde qui venait, ne répondait pas à mes questions. Je ne sortais jamais. Je faisais mes besoins dans un coin. J’étais abruti de chaleur et j’étais sale, je puais ; la nuit, je ne fermais pas l’œil. Une forêt vierge, cela fait mille fois plus de bruit qu’une ville. Des  bruits, des cris, stridulants, énervants, angoissants… sans parler des moustiques.

 

Et puis tout à coup, la panique. Des coups de feu, pas loin, dans la foret, des bruit d’hélico, de moteurs. Ils sont entrés et m’ont lié les bras derrière le dos. 

 

A nouveau, le 4 X 4 sur une longue piste rouge, défoncée, coupant droit dans la foret, précédé par une jeep et suivi par un camion, hors d’age lui aussi.

 

C’est la jeep qui a trinquée. Elle s’est littéralement volatilisée dans une gerbe de feu ; des morceaux retombaient en flamme tout autour de nous.

 

Quelques secondes de silence stupéfait sous la forêt. Juste le grésillement du feu sur l’épave et une épouvantable odeur. Mes gardes sont sortis, laissant la portière ouverte, pour voir de plus près ; J’en ai profité ; j’ai plongé la tête la première dans les fourrées et j’ai couru droit devant moi, déséquilibré car mes bras étaient toujours liés dans mon dos.

 

Il faisait sombre sous les arbres ; je n’ai pas vu assez tôt le ravin ; le sol s’est dérobé sous mes pas et je me suis mis à dégringoler, de plus en plus vite. Une longue chute douloureuse ; Des branches me déchiraient ; j’ai entendu l’affreux craquement de mon bras, explosé contre un rocher et j’ai vu ma cuisse éventrée par des épines grosses comme des couteaux sur un arbuste. Je tombais, je tombais toujours.

 

Et puis ma tête a porté contre un arbre. Tout s’est arrêté ; noir absolu.

 

 

J’ai mal, j’ai soif ; j’ai chaud aussi, je suis en nage, je grelotte ; je dois avoir de la fièvre. Mon bras est insensible, ou plutôt je ne le sens plus, comme si j’étais amputé. Par contre, ma cuisse me brûle atrocement bien que le sang ne coule plus de la blessure béante ; je ne peux même pas la défendre contre les insectes qui se posent dessus. Dès que je bouge, je réveille la douleur insoutenable, qui me coupe le souffle ; alors je m’attache à rester immobile et les fourmis, les moustiques en profitent…

 

Je suis sous un arbre. Tout autour des fougères géantes et d’immenses fleurs rouge sang… et puis il y a  le bruit, un bruit assourdissant, qui me résonne dans la tête, dans le corps, qui va me faire devenir fou. Des cris d‘oiseaux, des crissements d’insectes, des frottements, des frôlements, des claquements. Les arbres craquent comme des mats et la forêt est un immense vaisseau qui dérive sur l’océan de ma peur.

 

Car j’ai peur, j’ai atrocement peur, une peur qui me tord les entrailles, qui m’empêche de respirer, de réfléchir .je suis loin de tout, de la route, d’un village, de toute présence humaine et la nuit, la nuit va arriver. Sans lumière, sans feu, je ne verrai pas l’aube se lever… je vais mourir.

 

Je peux à peine tourner la tête sur la droite. Impossible à gauche ; cela me fait trop mal. J’aperçois, à 20 centimètres de mon visage, une immense toile d’araignée ; architecture précieuse en fils d’argent, piège mortel mais si beau qui capture l’humidité en gouttes de soleil. Aucune trace de l’araignée. Elle reviendra silencieusement cette nuit, sûrement, elle sera à quelques centimètres de mon visage ; cette idée me donne des frissons … 

 

Il y a plus grave ; juste en face de moi, ce trou dans le rocher ; il y a ce que j’ai pris tout d’abord pour une liane… mais la liane s’est mise à remuer. C’est un serpent, pas bien gros, tout vert avec deux yeux noirs, méchants, cruels. Je l’aperçois distinctement maintenant. Si je ne me trompe pas, c’est l’un de ceux que j’ai vu sur un hebdomadaire dans l’avion… un tueur d’homme.

 

Je m’applique à rester immobile, à ne plus penser, à être insensible, à me rendre invisible, à ne faire qu’un avec le bois de l’arbre ; que dis je ? Je suis l’arbre, je suis le bois ; je suis matière, matière, tu m’entends, serpent ?

 

La nuit arrive, du moins je crois. J’ai perdu toute notion du temps, mais je crois, j’ai l’impression que tout un coin de la foret devient de plus en plus sombre ; il y a de moins en moins de lumière.

 

Juste assez pour voir le serpent qui sort de son trou, qui arrive vers moi, vers ma jambe malade.

 

Je suis en eau, j’ai envie de crier, de hurler, je suis mort de trouille.

 

Il ne faut pas bouger, il ne faut pas penser, je suis bois, serpent, je n’ai aucune odeur, aucune saveur.

 

Il est monté sur ma jambe et s’est lové contre mon genou.

 

Je suis fatigué... mort de fatigue... mais impossible de dormir … si je dors, fatalement, je bougerai et si je bouge…

 

Sans que je le veuille vraiment des images se forment sur ma rétine, dans mon cerveau ; je pense à ce salaud de Grégoire qui doit être chez lui, peinard, en convalescence… Et puis à ma femme, à mes enfants ; que font ils, savent ils que j’ai été enlevé ? Peut être ont-ils déjà été interviewé par la télé? Et mes collègues ? Peut être vont-ils former un comité de soutien, faire des manifs, des marches dans les villes pour exiger ma libération ? Je vais devenir célèbre ! On m’aurait dit cela il y a une semaine, je ne l’aurai jamais cru…

 

Je pense brusquement qu’ils vont avoir du mal à trouver une photo de moi. A la maison, c’est toujours moi qui les prenais…je n’étais donc jamais dessus ; la plus récente remonte au moins à 6 ou 7 ans ; j’ai du changer.

 

Putain que j’ai mal !

 

Et brusquement, je me souviens ; si, il y a bien une photo de moi ; c’était pour la fête du bureau ; le seul problème, c’est que j’avais un petit chapeau pointu sur la tête et un gros nez rouge…

 

Je me demande si c’est celle là qu’ils mettront sur la façade de l’hôtel de ville à Paris.

 

Un fou rire me prend, j’ai oublié le serpent.

 

Un qui s'est bien trompé, c'est mon prof. au lycée - il y a si longtemps- comment l'appelait on déja?- Il disait  que  le rire était le propre de l'homme . Objection: Juste avant la morsure, j’ai  vu , distinctement, le serpent découvrir ses crocs : il riait.

 

Ou alors c’était un rictus…

 

Sûrement…  

 

Mais comment l'appelait on déja,?

 

Tiens, il fait nuit.

 

Ah oui, "binocl.......

 

LAST IROKOI © 2008 IN « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS » 

 

(En hommage à Boris Vian, l'auteur , le merveilleux auteur des "fourmis"...)

 

 

 

 

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commentaires

H
Merci, L.ITu as raison, maintenant, je sais tout et plus encore plus.Dis-moi, c'est loin le Portugal?Amitiés.Un ex indien. 
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L
<br /> Ex indien, salut à toi...<br /> <br /> Le portugal?   2500 kilometres environ... de chez moi...oui, surement<br /> <br /> Bonne soirée<br /> <br /> a +<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
H
Bonjour, L.I.Superbe et très fort, ton texte, comme d'habitude.Je viens de voir que tu m'avais laissé un commentaire, et l'on me répond commentaire supprimé.Avec ce que je publie en ce moment, je me demande si ce n'est pas le KJBI qui me met au placard!Toute mon amitié.patrick.
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L
<br /> Salut Pat,<br /> <br /> Merci pour ce com' très sympa comme d'hab..<br /> Non, pour le commentaire c'est de ma faute... j'ai répondu sur un com que tu avais laissé sur un très court texte écrit et publié  pour tenter d entrer en contact avec des internautes qui<br /> traduisent mes textes en portugais... je trouve cela très sympa et je voulais savoir d une part si le traducteur automatique ne fonctionne pas trop mal et ne cassait pas trop les textes et<br /> aussi pourquoi cette démarche...<br /> <br /> Et puis j ai détruit ce texte et le com est parti en même temps;..<br /> <br /> Tu sais tout...<br /> <br /> bonne semaine<br /> <br /> L.I.<br /> <br /> <br />
M
Boris Vian fut parmi ceux qui ont éveillé mon adolescence, est-ce par la lecture de leurs mots, ou parce qu'ils étaient en nous que nous sommes ce que nous sommes ?Bon week-end à vous ?
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L
<br /> Bonsoir Marie Claude,<br /> <br /> Il est de livres coup de poing des livres qui nous collent à la peau... vian en a écrit de ces livres ramassés comem des galets...<br /> mais aussi steinbeck dont des souris et des hommes est peut être l'exemple type de ce que j appelle livre coup de poing...<br /> une journée d'Yvan Denissovitch.... également...<br /> <br /> et tant d'autres<br /> <br /> bonne soirée<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
M
"la guerre, c'est pas bon pour les dents" ...un texte que je devais lire en effet !merci .
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L
<br /> Bonsoir...<br /> <br /> Je suis très content que ce texte vous ai plu...<br /> <br /> Moi je l'ai découvert il y a aujourd hui une trentaine d'années  et je l'ai pris en pleine figure... <br /> la chute est ... horrible...<br /> <br /> Bon week end<br /> <br /> LAST IROKOI<br /> <br /> <br />
M
si ce texte est de Boris Vian, j'avoue ne pas le connaître, mais patate, il m'a fait entrer en transe ...
Répondre
L
<br /> Bonsoir,<br /> <br /> Je me suis mal exprimé: j'ai écris ce texte en hommage à Boris Vian et en me souvenant d'un texte, d'une nouvelle qui s'appelle "les fourmis" dont le texte intégral est au bout de ce lien...<br /> <br /> http://www.coacoacoa.net/sep03/lesfourmis.asp<br /> <br /> J'espere que vous prendrez autant de plaisir à le découvrir que j'en ai eu moi même il y a plusieurs années.<br /> <br /> Merci de votre fidélité lectorale<br /> <br /> Bonne soirée<br /> <br /> Last Irokoi<br /> <br /> <br />