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28 novembre 2008 5 28 /11 /novembre /2008 22:50

Souvent, mon oncle racontait cette histoire qu’il avait vécue au début des années 60.

 

Il était garçon de café et, comme il terminait souvent très tard, il devait prendre le dernier métro. Et tous les soirs, seul dans le wagon, il s’endormait pour se réveiller juste avant d’arriver à Saint augustin.

 

Cette nuit là, ce fut le chef de train qui le tira du sommeil en le secouant, bien avant sa destination : « il faut descendre monsieur. Un incident technique empêche cette rame de poursuivre son service… »

 

Mal réveillé, il jeta un coup d’œil dehors. C’était l’obscurité ; le métro ne s’était pas arrêté dans une station. Mais le chef de train le rassura :

 

- Mais si monsieur ; On est bien à quai, à « Saint Martin » ; d’habitude on s’arrête pas : la station est désaffectée depuis 1939[1] mais elle est encore très bien. Et puis une rame de secours va venir vous prendre dans quelques minutes ».

 

Et mon oncle fut propulsé dehors par le contrôleur.

 

Le métro redémarra laissant mon oncle seul, personne d’autre n’étant descendu, dans la pénombre de cette station fantôme.

 

Il était gelé et pour tout dire, pas très rassuré. De l’eau suintait des voûtes et des rats couinaient sur les voies. Les couloirs qui menaient aux sorties ou aux correspondances étaient plongés dans l’obscurité.

 

Il prit sur lui et fit quelques pas. Bien qu’éclairé chichement par des quintets poussiéreux, on voyait que depuis 20 ans, rien n’avait bougé. Des distributeurs métalliques proposaient toujours leurs bonbons à la menthe et sur les voûtes de faïence, les réclames pour « Banania » ou pour les cigarettes « Virginie » étaient toujours là ; ce n’était pas des affiches en  papier mais des bas-relief de plâtre colorié[2]

 

C’est en arrivant presque au bout du quai qu’il prit conscience d’une présence. Il y avait là un homme, debout, immobile, dans l’ombre, presque invisible.

 

En hésitant, mon oncle s’approcha assez pour voir que l’inconnu était correctement vêtu, tout en noir et qu’il tenait une lourde serviette de cuir à bout de bras. Il devait être relativement âgé, car il portait un chapeau ce qui, déjà en 1960, était assez rare.

 

Arrivé près de lui, mon oncle le salua de la tête ; l’autre lui répondit, distant.

 

Pour dire quelque chose, mon oncle tenta d’engager la conversation : « je me demande s’ils vont nous faire attendre longtemps ? »

 

L’homme ne daigna pas répondre ; peut être un haussement d’épaules, fataliste…

 

Ses yeux s’habituant à l’obscurité, mon oncle vit distinctement l’inconnu. Il était maigre, très maigre, d’une maigreur d’ascète et autant qu’il puisse en juger, pâle, très pâle, livide.

 

Son examen fut interrompu par un bruit de tonnerre qui s’élevait au loin, dans le tunnel. Cela enfla jusqu’à ce qu’une vieille motrice tirant un wagon plein de sable en débouche et passe en trombe sans même ralentir, ni tenir compte des gestes et des appels de mon oncle. Elle disparu très vite. Mon oncle était furieux.

 

Prenant à témoin son compagnon d’infortune, il parlait de porter plainte contre la RATP qui n’était chacun le sait que des « jean foutre » et des fainéants.

 

Puis il se calma ; à nouveau, le silence peuplé du goutte à goutte de l’eau et des couinements des rats. Parfois, loin, depuis d’autres tunnels, parvenaient jusqu’à eux les grondements des trains de services qui circulaient sous Paris.

 

Sur l’instant, cela ne l’avait pas marqué, mais il était presque certain qu’au moment où la motrice était passée, l’homme s’était reculé le plus loin possible, vers le mur, dans l’ombre, pour ne pas être vu.

 

Il attendit avec son drôle de compagnon, silencieux.

 

Il commençait à désespérer quand enfin, une rame, la fameuse rame de secours, entra en station et s’arrêta. Les portes s’ouvrirent. C’est alors que l’inconnu prit mon oncle par le bras et lui chuchota à l’oreille : « faites attention, jeune homme, vous n’êtes pas assez discret, cela n’est pas prudent. Ils sont partout…Mais je suis confiant : la libération approche, les américains sont à Dunkerque, à Dunkerque vous entendez. Alors soyez prudent, le combat continue »

 

Mon oncle s’est dégagé et est monté dans le wagon laissant l’inconnu sur le quai.

 

Le métro est reparti…

 

Unanimement, la famille pense que ce soir là, comme tous les soirs, l’oncle avait un petit coup de trop dans le nez et qu’il avait rêvé tout cela…

 

Car enfin, un combattant ignorant, 15 ou 20 ans après, que la guerre est terminée, c’est pas possible…

 

Ou alors dans les îles du Pacifique ou dans la Jungle birmane, loin… et encore, ce sont des japonais… fanatiques.

 

Mais en plein cœur de Paris… c’est impossible…

 

Non ?

 

Last Irokoi © 2008 in « Histoires de la vie de tous les jours »



[1] Authentique

[2] Authentique également ; malheureusement, elles sont aujourd’hui mangées par l’humidité et taguées

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commentaires

H
Jour, Last.Viens de me prendre un an d'un coup il y a une heure; je me suis regardé dans la glace: pas trop de cheveux blancs.Tu me diras, pas trop de cheveux non plus!Où est-il, le temps ou je les avais jusqu'aux fesses?Remarque, l'on ne peut pas être et avoir tété.Moi, je fume trop. De plus, le cerveau en rajoute. De capricorne, je vais finir cancer ou anévrisme.Amitiés.Pat
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L
<br /> Salut Pat,<br /> <br /> Ben alors avec du retard: Bon Anniversaire...<br /> <br /> Bon moi je suis de 1951 et les cheveux commencent à prendre leur envol mais bon encore assez pour faire illusion... et puis je regrette pas trop le temps ou j avais la coupe beatnick... j'étais<br /> ecorché vif et très mal dans ma peau...<br /> <br /> Pour le tabac, j'ai arreté mais c'est un coup de chance en fait... il n y avait pas de tabac à cette époque là près de chez moi et un vendredi soir j ai eu la flemme de redescendre en ville...<br /> cette flemme a continué tout un week end et ... le + dur était fait...<br /> <br /> Bon fait gaffe tout de même aux deux signes du zodiaques dont tu parles c'est pas génial ... même si mon grand pere est mort à 80 ans en fumant du gris qu'il roulait à raison d'un paquet par<br /> jour....<br /> <br /> Autre temps etc etc<br /> <br /> Bon week end<br /> <br /> Très cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
H
Je t'envoi juste un nuage de fumée.A+Pat.
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L
<br /> Salut pat,<br /> <br /> Désolé, même le calumet de la paix, j'ai arrêté, cela me faisait trop tousser...<br /> <br /> Sérieux je me suis aperçu l'autre jour que depuis 20 ans je n'avais pas touché à une clope ou à mon rateleier de pipes... et oui, j'ai arrete quand ma 3ème fille est née et elle a eu 20 ans en<br /> decembre...<br /> <br /> Purée qu'est ce que jevieilli actuellement !!!!<br /> <br /> Bon week end<br /> <br /> L.irokoi<br /> <br /> <br />
H
Bonsoir, L.IToujours ces textes d'atmosphère, envoûtants, dans lesquels l'on se demande où se situe la frontière entre le rêve et la réalité, si ligne de démarcation il y a vraiment.Je te remercie de m'avoir mis en lien sur ton site , cela me touche, et je considère ton geste comme un honneur.Je te souhaite plein de nouvelles plumes pour cette année à venir.Amicalement.P.H.2n (j'ai repris mon nom de na-guerre!)
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L
<br /> bonsoir Patrick,<br /> <br /> J'aime beaucoup le rêve ou le fantastique au quotidien et j aime quand tout se mele à ce que j ai vraiment vécu...<br /> <br /> Ces stations fantomes existe vraiment et lorsque j'étais jeune me flanquaient une frousse enormes qaund je passais devant.<br /> <br /> Bon Week end<br /> <br /> Last Irokoi<br /> <br /> <br />
M
J'autorise ! ... Mais en retour, excuse-moi de ne pouvoir le faire, mon site d'hébergement skyrock ne me permet pas de joindre en lien ceux qui lui sont étrangers ! tu parles de sélection ...amitiés .
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L
<br /> merci...<br /> <br /> c'est fait<br /> <br />   a +<br /> <br /> L.I.<br /> <br /> <br />
M
quelle étrange rencontre, dans une gare désaffectée, que seuls quelques rats fréquentent, il fallu cette panne pour qu'un homme d'aujourd'hui fasse la connaissance d'un homme d'hier aux aguêts d'un futur à venir ...ps j'ai bel et bien été visiter le site évoquant la vie et les oeuvres d'Yves Tanguy, j'y ai beaucoup appris et j'ai aimé .
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L
<br /> Bonsoir marie claude<br /> <br /> Je te remercie pour ce com et je te prie de m'excuser de répondre si tard...<br /> je suis très content que l'ambiance de cette histoire t'es plu...mais je crois qu'on arrive bien à partager ce qui nous a marqué dans l'enfance ... parce qu'on a ces souvenirs très presents très<br /> vivants à l'esprit...<br /> <br /> Je te souhaite un très bon week end<br /> <br /> LAST IROKOI<br /> <br /> PS M'autorise tu à mettre un lien de ton blog sur le mien?<br /> <br /> L.I.<br /> <br /> <br />