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10 janvier 2009 6 10 /01 /janvier /2009 00:32

 

Il neigeait… il neigeait comme jamais je n’avais vu neiger… et pourtant je venais de loin, de si loin, bien après les royaumes de Savoie et du Dauphiné, bien après les marches de Provence. J’arrivais, avec mes frères en jésus Christ, d’une île en Méditerranée, de l’île de Lérins.

 

Nous marchions depuis 8 mois. Nous étions partis au printemps et quelques jours avant la Noël nous étions encore loin, si loin du but de notre voyage, la très sainte abbaye de Fleury, sur la Loire.

 

Depuis 5 jours, nous étions réfugiés dans cette humble masure, quelques pauvres planches recouvertes d’un chaume en lambeaux. Sur le sol de terre battue, quelle ne fut pas mon émotion de découvrir une table de pierre, un autel brisé, où la sainte croix gravée était toujours visible. Cette cabane était, à n’en pas douter, un sanctuaire où des offices étaient célébrés au temps jadis pour de pauvres charbonniers et leur famille. Quel meilleur refuge contre le froid et les loups pour 3 pauvres moines épuisés ? Que dieu soit loué !

 

J’avais réussi, avec un peu d’étoupe et combien d’efforts, à allumer, à même le sol, un méchant feu de bois humide qui nous réchauffait un peu. Nous mâchions de la neige mais nous n’avions plus rien à manger. Nous avions délayé, la veille, notre dernière poignée d’orge dans un peu d’eau tiédie sur le feu.  Quel serait notre repas de ce jour ? Que Dieu ait pitié de nous !

 

C’est vrai que nous étions pitoyable tous les 3. Jehan, le plus jeune d’entre nous, était allongé près du feu, brûlant de fièvre. Une mauvaise toux le cassait souvent en deux. Frère Roland, lui, était assis, un peu à l’écart, près de la porte, l’air absent. Il chantonnait sans cesse une comptine d’enfant en traçant, inlassablement, à l’aide d’un bout de bois, un réseau de traits dans la neige comme l’on fait avec sa cuiller dans la bouillie d’orge. Il était comme cela depuis le coup qu’il avait reçu sur la tête, dans les monts d’Auvergnes, en se battant avec des brigands qui voulaient nous détrousser. C’était encore moi, le plus vieux, qui était le plus vaillant, même si je sentais, jour après jour, mes forces me quitter.

 

Pauvre père Aygulf ou plutôt pauvre Ayoul le vénérable comme on t’appelait à l’époque, roide et glacé, dans ton sarcophage de pierre, voilà toute l’escorte qu’il te restait pour t’accompagner dans ta dernière demeure. 3 moines, 3 pauvres moines tremblant de froid, de peur, affamés, blessés ou malades…

 

Au départ, nous étions une quinzaine, choisis parmi les plus forts, les plus savants et les plus courageux du monastère dont 1 siècle auparavant tu étais le père abbé. Bâton en main, nous escortions d’un bon pas, le chariot tiré par 8 mules sur lequel on avait placé ton catafalque.

 

En cette année 850 du règne de notre seigneur Jésus Christ, ordre avait été donné de ramener ta sainte dépouille à Fleury comme toi un siècle auparavant tu avais ramené d’Italie, pour la plus grande gloire de notre abbaye, les reliques vénérées de saint Benoît. Pour te remercier de ce haut fait, tu avais été élu père abbé de Lérins où la mort, quelques années plus tard, t’attendait, Ayoul, martyr en Jésus-Christ, torturé et mis à mort par des pirates maures.

 

Nous n’avions ni ta vaillance, ni ta force. Tous les royaumes, tous les comtés, toutes les principautés que nous avons traversés étaient à feu et à sang. Partout, partout, nous avons trouvé le bruit, la violence, l’absence de pitié, l’enfer… que de villages brûlés, de carnages, de corps calcinés, de fosses communes mal comblées…  Et partout, partout, la faim, la misère, la maladie… les enfants maigres à faire peur, les femmes implorant du pain, prêtes à tout, sur notre passage…

 

Tous mes compagnons, un à un, sont morts, de maladie, de privations, dans des combats où le salut ne venait que de la fuite. Tous… sauf 2… en si piteux état.

 

Et à mesure que nous allions vers le nord, le froid et la neige recouvraient la terre à perte de vue…

 

Nos mules, une à une, sont mortes, parfois, de nos mains achevées car blessées ; les trois dernières ont été volées, une nuit. En un ultime effort, nous avions tiré le char sous cet abri et depuis, nous attendions… qu’attendions nous d’ailleurs ? Un miracle, oui, un miracle car je savais que seul, je ne pourrai haler le char même si la neige cessait ; je savais aussi que mes compagnons allaient mourir.

 

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Du temps a passé et plus le temps passe, plus je m’affaibli. Je n’ai plus la force de me lever. Jehan ne bouge plus depuis hier soir et Roland a cessé de chantonner. C’est le silence, l’immense silence qui s’est couché sur la forêt… Le silence, ce linceul implacable et glacé…

 

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10 jours plus tard, une famille de paysans fuyant la guerre et la famine est passée devant le sanctuaire en ruine. Le fils aîné est entré par curiosité. Il a trouvé les 3 moines morts. L’un était allongé, raide comme la pierre, près des cendres glacées d’un foyer éteint ; l’autre, assis près de l’entrée, fixait le vide, effrayante icône de la folie ; le 3ème, son bâton en main, le corps basculé,  semblait protéger un sarcophage de pierre.

 

Sans perdre de temps, les hommes de la famille ont creusé, dans la terre durcie, une fosse où ils ont aligné, à coté du sarcophage, le corps des 3 moines vêtus de leur seule robe de bure. Les femmes ont murmuré une prière et toute la famille a reprit sa route, se promettant de prévenir les autorités dès qu’ils arriveraient en terre amie.

 

Mais, au sortir du couvert de la forêt, une bande de brigands était là, affamée, désœuvrée.

 

Pour se réchauffer, ils ont pendu les mâles, violé et éventré les femelles, égorgé les enfants puis sont repartis vers d’autres massacres, d’autres horreurs…

 

Et la neige a continué de tomber jusqu’au printemps suivant, gelant l’immense forêt… et avec la neige, la paix et l’oubli ont enseveli le sanctuaire sous lequel reposaient, invisibles, Ayoul et ses 3 compagnons de voyage.

 

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Cette histoire est vraie. Aygulph (ou plutôt Ayoul) a connu ce court et tragique destin … la chapelle dans la forêt (au demeurant consacrée à Saint Médard) a réellement existée…

 

C’est 1 siècle plus tard, vers 950, que les premiers miracles se sont produits dans ce lieu. Des fidèles guérissaient ; Thibaud de Champagne, (le « Thibaud » des croisades) a eu vent de cela ; il fit creuser le sol : on retrouva le sarcophage du saint… et l’on construisit une église consacrée à St Ayoul, une vraie, en pierre, tellement solide qu’elle existe toujours… elle est située à 70 kilomètres, à l’est de Paris, en la bonne ville de Provins…

 

Comment ?

 

Vous vous demandez pourquoi le vieil indien que je suis, s’est intéressé à cette histoire ?

 

C’est très simple : aussi loin que je puis remonter dans ma tribu, tous les garçons aînés de la famille portent le même prénom : « Ayoul ».

 

Pourquoi ?

 

Je ne sais pas : Il me plait d’imaginer une lointaine, lointaine,  petite  arrière arrière arrière  grand-mère dont l’un des enfants est tombé malade en des temps où la Sécu n’existait pas. Je la vois dans cette église de Seine et Marnes implorant St Ayoul, lui jurant que si son enfant guérissait, tous les ainés de la famille seraient baptisés de son  prénom…

 

Ce fut le cas : Sauf pour moi

 

"Ayoul " ne plaisait pas à ma mère…

 

J’ai honte de l’écrire mais je lui en ai toujours un peu voulu…

 

LASTIROKOI © 2009 IN « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS » 

 

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commentaires

C
Bonsoir L.I.J'ai eu un peu de mal au départ, je me suis dis mais où il m'emméne avec ses moines et puis finalement je me suis laissée embarquer, je ne m'attendais pas à la fin, mais je crois que c'est un peu une marque de fabrique, non ? Un prénom n'est qu'un prénom après tout, s'il ne peut faire de bien, il ne peut faire de mal, je pense que de le donner en troisième était une sage décision. Merci pour la gentille visite
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L
<br /> Bonjour Caroline,<br /> <br /> Moi ce moine là j'aime bien... Dès que j'ai trouvé cette histoire en lien avec celle de ma famille, Ayoul pour moi cela a été un peu un cow boy, un aventurier... bon, c'est vrai, j'avais un peu "le<br /> nom de la rose" en arrière fond et encore plus "Caldfield" le moine herboriste dont j'adore autant les aventures écrites que les adaptation télé...<br /> <br /> Oui, c'est vrai j'aime bien les chutes, surtout quand elle nous prennent à contre pied... pour moi, le maitre es-chutes, c'est Boris Vian dans une nouvelles que je trouve sublime... les<br /> fourmis...<br /> <br /> Quand à Pierre, mon fils, effectivement, je pense qu'il est bienheureux de n'avoir ce prénom qu'en troisième position...<br /> <br /> Merci pour ce com' très sympa.<br /> <br /> A très bientôt.<br /> <br /> bon week...end<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br /> <br />
S
Et moi j'en connais un qui se dit qu'il a eu beaucoup de chance que son pere ne s'interesse pas plus tot a la genealogie familiale !!! ( Commentaire fait suite a la lecture de ta reponse datee du 16 Janvier a 19h20 )
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L
<br /> crois tu???<br /> <br /> mais je crois que l'heureux recepiendaire regrette aussi ...<br /> <br /> quoique....<br /> <br /> a +<br /> <br /> L.I.<br /> <br /> <br />
E
 et oui moi aussi je découvre ton blog grâce à ton gentil commentaire, j'aime beaucoup ton texte et merci pour l'info où trouver des mandalas!! je reviendrai te lire avec plaisir et moi aussi je vais te mettre en lien, heureuse te de te connaitre , à bientôt lastirokoi!! bon dimanche à toi et tous ceux qui se baladent dans ton bel univers!!! eveligne
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L
<br /> Merci,<br /> <br /> perso, j'ai mis ton lien dans la semaine...<br /> <br /> Je te souhaite un bon week end<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
Bonjour.La lecture de ce texte m'a fait penser au fait que l'on regarde souvent le present  tel un arbre. On ne pense pas aux racines. Je sais, c'est bateau comme idée,mais il est fait d'un bon bois!!!Au plaisir de te lire, sans politesse!!!Eric
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L
<br /> Salut Eric,<br /> <br /> Et merci à nouveau pour cette fidélité lectorale...<br /> <br /> Bien franchement, Ayoul le moine, m'est très sympathique... je l'imagine comme le moine de Rabelais en un peu plus sévére... mais tout de même bon vivant et puis c'est tout de même une belle<br /> légende...<br /> <br /> A très bientôt<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
A
merci encore pour tous tes encouragements et bonne année 2009 cher Lastirokoi, bises @+
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L
<br /> Merci au plaisir de te lire...<br /> Je vais aller de ce ... pas (clic) faire un tour sur ton blog<br /> <br /> Très bon week end... bises +++<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />