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20 février 2009 5 20 /02 /février /2009 18:18

J’ai refermé la porte de l’auberge, derrière moi, avec difficulté, à cause du vent qui s’était levé sur la plaine, vers midi. Il m’avait suivi jusqu’à cette auberge dont il faisait grincer la chaîne de l’enseigne « Au lion rouge ». La salle commune était déserte

 

J’ai posé, contre le mur, mon arbalète, cet engin de mort qui, à 500 pas, clouait son homme contre un arbre, qui heurtait mon honneur d’archer. Je regrettais mon arc de bois clair qui, au moins, laissait sa chance à la cible, humaine ou animale. Avec ses ferrures et ses engrenages, l’arbalète était une monstruosité qui rendait la guerre encore plus laide, la guerre dont je rentrais, meurtri, abîmé et las. Jusqu’où ira la folie des hommes ?

 

Je me suis approché de l’âtre où des braises rougeoyaient. Sur le comptoir, la flamme d’une chandelle se reflétait sur les cruches de terre vernie. Dans le fond, la salle silencieuse entre les rafales de vent, était froide et humide.

 

J’ai appelé « quelqu’un » à haute voix et il se passa longtemps avant qu’une voix bougonne « qu’on arrivait ».

 

C’était un homme gras et court, sans âge. Il remontait de la cave, essoufflé, un panier plein de bouteilles poussiéreuses au milieu desquelles il avait planté une bougie pour éclairer ses pas.

 

Il est passé devant moi sans me saluer et commença à ranger ses bouteilles derrière le comptoir. Je me suis approché pour lui demander si je pouvais souper et avoir une chambre pour la nuit. Un moment, je me suis demandé s’il m’avait entendu. Enfin, sans cesser de travailler, il se décida :

 

Ø  Vous êtes point d’ici.

 

Ce n’était pas une question, plutôt une constatation, une évidence. Je lui ai dit que j’étais un voyageur fatigué qui cherchait un refuge pour la nuit.

 

Il ne répondit pas mais sortit d’un placard, une bouteille de vin entamée et un gobelet, un morceau de lard, un autre de fromage et une tranche de pain. Il apporta le tout sur une table près de la cheminée.

 

Ø  Voila, étranger, tu manges et tu files… le plus vite et le plus loin possible

 

Il m’avait dit cela sans menace, sans violence ; c’était un conseil tout au plus.

 

Ø  Que se passe t il, ici, aubergiste ? est-ce la coutume de renvoyer le voyageur qui demande asile ? je peux payer. Si tu manques de chambres, un coin d’étable…

Ø  Oh, non… toutes mes chambres sont libres.

Ø  Et bien alors !

Ø  Alors, rien, il faut que tu partes.

 

Toujours le même ton, calme, affable. Une étincelle sauta dans l’âtre d’un bruit sec. Le vent secoua la porte à 2 ou 3 reprises.  Tout en mangeant, j’ai changé de conversation :

 

Ø  C’est étrange ce vent… depuis ce midi, il saute, comme un démon, d’un coin à l’autre de l’horizon. On dirait qu’il est en colère

 

L’aubergiste s’approcha de ma table :

 

Ø  Ecoute moi, l’ami… tu es trop curieux. Il ne se passe rien d’étrange dans cette ville, rien qui ne te regarde…

 

Silence. Même le vent semblait attendre ce qui allait suivre.

 

Ø  Seulement, bientôt, ce sera nuit noire, l’heure où l’on ferme les portes. Tu ne pourras plus sortir… et si tu restes ici, cette nuit, tu risques ta peau… tu entends, c’est de ta peau qu’il s’agit ; Alors, finis ton repas et file, c’est le conseil d’un vieux soldat.

 

Il ne plaisantait pas. A sa voix, j’ai senti qu’il y avait quelque chose qui me dépassait, qui nous dépassait. Alors je me suis levé et j’ai voulu payer mon repas.

 

Ø  Non, ce soir, on ne paye pas

 

Dans le geste de refus qu’il fit, j’ai vu qu’il lui manquait une main.

 

Ø  La guerre ?

Ø  Oui, la guerre…

 

Un silence, dans une rafale plus forte encore que les autres.

 

Ø  Tu es sûr que je ne peux pas t’aider ? entre soldat…

Ø  Non, tu ne peux pas. Dépêche toi : les portes vont être fermées et tu seras fait comme un rat.

 

J’ai repris mon arbalète en murmurant :

 

Ø  Comme tu le veux… adieu… et bonne chance, je ne sais pas contre quoi, mais bonne chance…

 

J’ai fais quelques pas vers la porte. Elle était secouée par des rafales de plus en plus en colère :

 

Ø  Attend…

 

Je me suis retourné…

 

Ø  Attend, tu es capable de garder un secret ? Je ne sais pas pourquoi je vais te raconter cela… mais jure moi de ne jamais rien dire.

 

Je protestais de mon honnêteté

 

Ø  Jure sur le Christ.

 

J’ai juré. Alors, il me fit signe de me rasseoir, posa un cruchon et deux gobelets sur la table et s’installa en face de moi en me demandant.

Ø  Connais tu la date d’aujourd’hui ?

Ø  Oui, nous sommes en novembre.

Ø  Oui, en novembre… nous sommes le 24 novembre. Dans un mois exactement ce sera la Nativité

 

Il remplit les verres

 

Ø  Et bien, tous les 24 novembre, vers midi, le vent, une vraie tempête, se lève sur la plaine et toute la journée sautant du nord au sud et d’est en ouest, il va hurler et assiéger la ville. Tu entends : tous les 24 novembre et cela depuis la nuit des temps. Je suis né ici et bien, je peux te jurer que pas une seule année n’y a dérogé.

Ø  C’est étrange.

Ø  Tout dans cette histoire est étrange, maléfique. Et pourtant, je ne suis pas comme ces vieilles bigotes superstitieuses, j’ai voyagé, j’ai fait la guerre, j’ai vu des pays… mais cela je ne l’ai jamais vu, ni entendu autre part.

 

Il but une gorgé d’alcool et reprit à voix basse :

 

Ø  Tu n’as du voir personne en arrivant.

Ø  Non, tout est désert dans ta ville.

Ø  Normal, ils ont peur. Les vieux disent que ce jour là, ce sont les portes de l’enfer qui s’entrouvrent et que cela fait un énorme courant d’air. Ils pensent qu’il y a une porte sur l’au-delà, après le marécage.

 

A mon tour, j’ai avalé une gorgée de son tord boyau.

 

Ø  Les vieux, peut être, mais toi qu’en penses tu ?

Ø  Moi, rien, je constate c’est tout. Mais attend, tu ne sais pas tout.

 

Il y eu une saute de vent qui semblait protester.

 

Ø  Cela souffle jusque vers minuit et brusquement tout s’arrête… alors dans le silence, on entend un bruit sourd, soudain ; ce sont les portes de la ville qui s’ouvrent à la volée…

 

C’est à cet instant là qu’il y eu dehors un bruit également sourd qui résonna dans toute la ville.

 

Ø  Ça, ce sont les portes de la ville que l’on ferme. Je te l’avais dis : c’est l’heure… tout à l’heure, elles se rouvriront et dans la nuit, chacun derrière sa porte, le cœur battant, pourra entendre le bruit d’un chariot grinçant et des chevaux qui le tirent.

 

Il cessa de parler. Le vent semblait s’être fait une raison ; il feulait à voix grave.

 

Ø  Tout le monde sait qu’il doit s’arrêter, qu’il va s’arrêter devant une porte et que son cocher va en descendre, un fouet à la main, son capuchon rabattu sur les yeux. Dans le silence, il frappera à la porte et appellera par son nom de baptême, l’un des habitants de cette maison, homme ou femme, jeune ou vieux, aïeul ou enfant, c’est selon. Comme hypnotisé, celui ou celle qui aura été appelé, se lèvera bien docilement, ouvrira la porte et montera dans le chariot qui reprendra son chemin. On ne reverra plus jamais celui ou celle qui aura été désigné et l’on ne retrouvera jamais son corps

 

Dans le silence et l’obscurité, malgré moi, j’ai frissonné. J’ai avalé une gorgée d’alcool. Sans le vouloir, j’ai murmuré :

 

Ø  C’est absurde…

Ø  Oui, et encore plus que cela.

Ø  Personne ne s’est jamais rebellé, aucune… victime, aucun parent… ?

Ø  Non, pas même moi…

 

A son tour, il bu une gorgée et continua :

 

Ø  J’avais une femme de 10 ans ma cadette, elle était belle et gentille. On attendait un enfant…

 

Il hésita.

 

Ø  Il y a un an, c’est devant chez nous que le chariot s’est arrêté et c’est son nom à elle qui a été prononcé… mais je n’ai rien fait, rien dit pour la retenir, je n’ai pas bougé, tu entends, pas même le petit doigt.

 

Il releva la tête et me regarda.

 

Ø  J’étais mort, mort de peur… toi seul, toi seul peux comprendre. Tu as vu la mort en face sur les champs de bataille, tu sais ce que l’on ressent dans ce cas là… et bien là, dis toi que c’est cent fois, mille fois pire quand la voix résonne dans la nuit. On comprend que c’est fini, aucun recours, aucune pitié… plus d’espoir.

 

Silence. Il reprit la voix cassée

 

Ø  Allez file à présent

 

Je le regardais sans comprendre :

 

Ø  Les portes…

Ø  Sont fermées je sais… en sortant, prend à main gauche jusqu’à la muraille d’enceinte. Un boulet l’a éventré. Tu pourras passer par là. Tu verras un petit pont de briques jaunes. Franchit le et prend à gauche, à gauche tu entends. A 5 jets de pierre, une chaumière. Si tu frappes sans dire que tu viens de ma part, on t’ouvrira.

 

Il me regarda en souriant.

 

Ø  C’est ma sœur, on est fâché depuis 20 ans : tête de mule mais bon cœur. Là bas tu ne crains rien, c’est en dehors des murailles.

 

Avant de sortir, je me suis retourné :

 

Ø  Pourquoi tu ne viendrais pas avec moi ?

 

Il sourit mais ne dit rien : j’avais compris, il attendait le chariot.

 

J’ai été accueilli par une brave femme aussi grasse que son frère.  Je n’ai pas dormi de la nuit. Le vent s’est effectivement arrêté de hurler vers minuit mais j’ai eu beau tendre l’oreille, je n’ai entendu ni chariot, ni chevaux ; je me suis même levé pour aller guetter, sous la lune, l’ombre menaçante de la ville : je n’ai rien vu.

 

J’ai repris ma route vers le sud, le lendemain. C’est à la mi journée que j’ai croisé, inquiet tout de même, un chariot, un chariot tiré par 2 chevaux noirs et mené par un homme en bure sombre, la capuche rabattue sur la tête.

 

C’était un brave homme qui m’a demandé un morceau de pain. C’était le vidangeur de latrines, celui qui cure la merde dans les égouts de la ville…

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS » 

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commentaires

C
Waoh, c'est incroyable, en remontant sur le texte suivant, je viens de m'apercevoir que c'est le rouge et pas l'auberge qui m'a fait penser au fameux film avec Fernandel, mais je n'ai toujours pas le titre complet.
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L
<br /> Hello Caro,<br /> <br /> c'est "l'auberge rouge", ce film, un film de claude Autant Lara avec Fernandel et une chanson d'Y Montant... dans les acteur il y avait Caussimon. (je crois qu'une version + moderne est sortie il y<br /> a peu... avec Jugnot !!!)<br /> Voila le résumé que donne un site internet du film original<br />  "<br /> <br /> En 1883, sur un plateau d'Ardèche. Le père et la mère Martin tiennent une auberge à Peyrebeille. Par cupidité, ils assassinent les malheureux voyageurs fourvoyés dans la nuit d'hiver. Ainsi un<br /> colporteur, qui montrait dans les foires une guenon déguisée, vient de passer de vie à trépas. Un domestique noir, Fétiche, aide ses patrons dans leurs sinistres besognes et la fille des Martin,<br /> l'adorable Mathilde, semble ne se douter de rien.<br /> Un jour, un moine et un jeune novice, Jeannou, frappent à la porte de l'auberge auprès de laquelle monte la garde un grand bonhomme de neige. Ils trouvent dans la salle un groupe de voyageurs en<br /> panne de diligence. Des scrupules tourmentent l'aubergiste. Elle exige que le moine entende sa confession. Se saisissant d'un gril à châtaignes derrière lequel elle parle, elle avou "tout" au<br /> moine épouvanté : cent trois cadavres dont quelques-uns ont servi de nourriture aux cochons !<br /> Peu après, le moine trouve son compagnon dans le plus doux tête-à-tête avec Mathilde, et cette dernière, très amoureuse de son Jeannou, refuse d'écouter les avis de ses parents et les conseils du<br /> religieux. Il faut les marier sur-le-champ, en présence de témoins choisis parmi les voyageurs somnolents.<br /> Le moine, tenu par le secret de la confession, a réussi à convaincre les voyageurs, qu'il sait menacés de mort, de reprendre la route, mais le bonhomme de neige, mal placé, empêche le départ de<br /> la diligence; on le crible de boules de neige, il se craquelle et en s'effondrant découvre, gelé, le cadavre du colporteur.<br /> Le couple infernal et Fétiche prennent la direction de Privas, à pied, entre les deux gendarmes à cheval. Mathilde et Jeannou suivent de loin. La diligence repart; le pont où s'était engagée la<br /> voiture se rompt. Les desseins de la Providence sont insondables..."<br /> <br /> <br /> bonne soirée et merci pour tes com'...<br /> <br /> (Oui je crois qu'on peu se tutoyer)<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
C
Me revoila pour repondre a la question et je suis bien contente de voir que je peux le faire directement apres la votre, c'est vraiment merveilleux. Ouh la, je ne sais plus si on se tutoie ou on se vouvoie, pardonnez moi si j'oublie de temps en tempsAh oui cette auberge, c'est drole parce que je l'ai lu il y'a bien quinze jours je crois et en le lisant, j'ai repense a un vieux film que j'ai decouvert grace a un ami qui comme moi aiment les vieilleries, c'etait avec Fernandel, il y'avait auberge dans le titre mais je suis pas capable de me souvenir du reste du titre. Je pense n'y avoir penser qu'a cause du titre, parce que j'ai plutot ri dans ce film alors que votre nouvelle m'a fait agreablement peur comme j'aime, et puis j'ai beaucoup aime le choix de l'arme un peui old fashion justement pour ca, j'aime la fin qui laisse planer le doute et tout, j'adore ce genre d'histoire qui ne dit pas tout. Si je devais choisir la fin qui m'aurait le plus plu c'est celle que tu proposes en trois, la machiavelique parce que justement j'aime bien me faire peur avec les fantomes, les extraterrestres et tout ca, mais j'y crois pas en vrai donc pour moi j'imagine toujours une chute super simple un peu comme dans le chien des baskerville, j'ai adore la fin parce que Doyle nous embarque bien et nous ramene a la fin. (Je parle toujours de cinema)
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L
<br /> Je connais mal le ciné mais effectivement les scenes les plus effrayantes sont celles que l on pourrait vivre dans la vie de tous les jours...<br /> <br /> je me souviens de la première fois où j'ai vu "massacre à la tronçonneuse" et bien même pas peur car on s'attendait à du gore, à du sanglant... l'effet de surprise n'a pas joué.<br /> <br /> Bon dimanche.<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
C
Et de deux L.I.Je prends mon deuxieme texte et j'aurais fais mes provisions de lecture pour les prochains jours. La par contre le titre me laisse un peu sans voix, rien ne me vient, peut etre que c'est mieux comme ca, je verrais bien. agreable week end
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L
<br /> Bonsoir Caro...<br /> <br /> j'ai pris ce titre car au moment de mettre l'histoire en ligne impossible de me souvenir du titre de la pièce de theatre que j'avais débutée (mais jamais terminée ) sur le même sujet...<br /> <br /> J'èspère que tu as eu autant de plaisir à lire ce texte que moi à l'écrire...<br /> <br /> Très bonne soirée<br /> <br /> <br /> very très cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
A
j'adore ce texte!!! quel suspence... on s'y croirait! bises @+
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L
<br /> Bonjour Angamaya...<br /> <br /> Et merci pour ton commentaire...<br /> <br /> Les ambiance médiévale comme celles ci sont celles que je prefere... un peu comme ce qui existe dans le theatre de Michel de Guelderolde...<br /> <br /> Bonne semaine<br /> <br /> A +<br /> <br /> Bien cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
M
Totalement embarquée d'un bout à l'autre dans cette histoire captivante ! C'est tout un art que de savoir ainsi faire retenir son l'haleine au lecteur. Visiblement, vous le tenez !!
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L
<br /> bonsoir, Marianne<br /> <br /> Et merci pour votre appreciation très flatteuse pour moi...<br /> <br /> La première version était sous forme theatrale... j'étais parti pour 3<br />  actes qui tous se déroulaient dans l'auberge...<br /> <br /> J'ai écris le premier puis la moitié du second et je me suis arrêté faute de temps.<br /> <br /> Cette forme d'histoire courte m'a permis d'aller jusuq'au bout de la trame...<br /> <br /> A très bientôt<br /> <br /> Bonne soirée<br /> <br /> Bien cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />