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7 mars 2009 6 07 /03 /mars /2009 19:01

 

Marie, en sortant de sa douche, sans même se sécher, s’examina dans le miroir, au dessus de la vasque du lavabo. Elle se trouvait mauvaise mine. Elle se regardait rarement ; elle s’était toujours regardée rarement, trouvant son visage…quelconque, ni beau, ni laid. Mais là, elle était pâle et ses yeux étaient soulignés de cernes, de rides qui n’étaient pas là, elle en était certaine, il y a quelques semaines. Oui, ce matin là, elle s’était trouvée… vieille. Vieille ? Est-on vieille à 59 ans ?

 

Elle se retourna et se regarda, en pied cette fois là, dans le miroir long et étroit de la porte. Il y avait bien longtemps qu’elle ne s’était pas regardée ainsi, entièrement nue… et ce qu’elle vit ne lui plaisait pas. Sa silhouette s’était… comment dire…affadie. Elle n’était ni grosse, ni maigre ; elle n’avait pas bougé de poids depuis sa grossesse, il y a … combien ? Mon dieu, 35 ans déjà… elle n’était ni laide ni difforme mais ce corps blanchâtre, aux formes molles, sans tonus, lui semblait … obscène.

 

Elle passa très vite un peignoir d’éponge orange en se demandant, presque anxieusement, si un homme pourrait encore avoir envie d’elle…

 

Décidemment, elle n’allait pas très bien.

 

Pourtant, c’était un matin comme les autres. Levée à 7 heures, elle était tout de suite entrée dans la salle de bain, avait allumé la radio pour écouter les infos. Aucune nouvelle particulièrement alarmante, aucun fait divers sordide qui vous marque pour la matinée voire pour la journée entière. C’était le journaliste habituel dont la voix chaude et rassurante peuplait le silence qui régnait dans le 3 pièces. Rien pour expliquer ces idées tristes, moroses.

 

Elle passa dans la chambre pour s’habiller puis dans la cuisine pour faire chauffer l’eau du thé et griller ses tartines. Par habitude, elle alluma la télé pour regarder la météo et l’horoscope du jour. C’était la petite présentatrice brune, celle qui avait failli être renvoyée car elle avait été surprise, par des policiers, très occupée dans sa voiture avec un producteur …

 

Marie s’assit à sa table de cuisine pour beurrer ses tartines en se demandant depuis combien de temps elle n’avait pas fait l’amour. Son fils avait 10 ans quand elle avait divorcé et en 25 ans, elle n’avait connu que deux aventures; la première, d’une nuit, juste après sa séparation, un peu par vengeance ; la seconde qui avait duré un peu plus longtemps, un mois environ. Et puis elle s’était désintéressée de la chose. Cela ne lui avait pas manqué et de toute façon aucun homme ne s’était intéressé à elle.

 

A 8 heures pile, elle était dans l’ascenseur qui l’amena d’une seule traite au – 2. Quand les portes s’ouvrirent, la machine l’informa qu’elle était au niveau « parking » et lui souhaita une bonne journée.

 

Cela commençait mal. Elle du attendre plusieurs minutes avant de pouvoir sortir de sa rue à cause des éboueurs qui s’arrêtaient devant chaque porche.

 

En arrivant sur le périphérique, le GPS l’informa que Porte de Levallois, 5 km plus loin, un accident occasionnait un bouchon de 2500 mètres. Il lui proposa un itinéraire de remplacement qu’elle accepta. D’une voix métallique, il la guida durant les 20 minutes que dura son trajet.

 

Elle arriva à 8 heures 35. Sa place de parking était au niveau – 5. C’était sombre et presque désert. Seules les prises électriques pour recharger les véhicules hybrides, luisaient faiblement.

 

Comme tous les matins, l’ascenseur la conduisit, sans escale, au 18e étage et tandis que les portes s’ouvraient dans un soupir, une voix de synthèse lui souhaita une bonne journée comme ce soir, au départ, elle lui souhaiterait une bonne soirée.

 

Elle travaillait dans un open space de 25 ou 30 postes de travail. Elle avait connu, il y avait longtemps, ce bureau bourdonnant comme une ruche et puis, avec la crise, la société américaine qui l’employait, basée en Floride, n’avait conservé que 2 salariés en France : elle et un vieux type un peu sale qui s’installait le plus loin possible d’elle. Ils ne se parlaient jamais même pour se dire bonjour et elle n’avait aucune idée des fonctions qu’il occupait. Tous les autres, au fur et à mesure du temps, avaient été licenciés. Chaque lundi, 2 ou 3 d’entre eux trouvaient dans leur boite électronique, un message leur signifiant leur congé et le montant du cheque qu’ils recevraient. 5 minutes après, leur micro était désactivé : ils n’avaient plus qu’à partir. Elle n’avait pas compris pourquoi elle et le vieux avaient échappé aux charrettes.

 

Elle ouvrit son micro et prit immédiatement connaissance de ses mails. Ce jour là, elle avait 3 notes de synthèse à rédiger et à envoyer avant 17 heures sur des articles relatifs au commerce de la graine de couscous en Océanie et une recherche à effectuer sur les droits de douanes entre l’Irlande et la Mongolie.

 

Elle se mit au travail et vers 10 heures, elle avait déjà terminé la première note qu’elle envoya. On ne lui répondait jamais, jamais on ne lui demandait de précisions. Son travail devait être apprécié car tous les 6 mois elle recevait de la DRH un mail la remerciant de sa contribution aux résultats de l’entreprise et l’informant du montant de la prime qui lui était allouée.

 

Elle alla à la machine à café devant les ascenseurs. L’« automat » lui demanda si elle souhaitait un café long ou court, avec ou sans lait, avec ou sans sucre. Exceptionnellement, ce matin là, il ne lui demanda pas de faire l’appoint et lui rendit sa monnaie.

 

A midi, elle avait déjà largement entamé la 3ème note et elle s’arrêta pour grignoter la bricole qu’elle avait amenée de chez elle. Il y a bien longtemps qu’elle ne sortait plus le midi pour aller manger. Il y avait trop de monde dans les « Fast food » et elle détestait la déco et la musique de ces endroits. Alors, elle mangeait rapidement devant son micro en lisant les nouvelles sur « Yahoo ».

 

L’après midi ne passa ni lentement, ni rapidement. Le travail était facile et il n’y avait rien qui pouvait distraire son attention. Elle était loin des fenêtres qui, de toutes les façons, ne pouvaient pas s’ouvrir, climatisation oblige et l’horizon était bouché par la façade d’une tour qui, à moins de 10 mètres, en face, offrait au regard un mur lisse, sans ouverture. Cela mangeait la lumière et le ciel dont elle n’apercevait, en s’approchant de la fenêtre, qu’un minuscule triangle tout là haut. Souvent, les variateurs électriques s’enclenchaient pour allumer les néons dès 14 heures en hiver.

 

Le seul événement notable, cet après midi là, se déroula vers 16 heures. Le vieux type sale éteignit son micro, se leva, passa sa veste et alla prendre l’ascenseur à l’autre extrémité du bureau. Pourquoi partait il si tôt ? Elle imagina qu’il avait une maladie quelconque et qu’il avait rendez vous chez son médecin.

 

Pendant 2 heures, elle resta seule dans le grand bureau et termina sa recherche sur les droits de douane. Puis, elle prit l’ascenseur, regagna sa voiture et démarra.

 

Avant de lever la barrière, le portail électronique lui signala, en français puis en anglais, que les piles de son « bip » commençaient à faiblir et qu’il convenait de les changer. Il lui précisa qu’il s’agissait de pile de type « R 69 » et qu’elles étaient disponibles au magasin « Auchan » proche de son domicile au prix de 15 euros 75.

 

Son retour se passa sans encombre. Elle longea la Seine en écoutant la suite pour violoncelle de Bach.

 

Elle s’arrêta chez « Auchan », trouva les piles qu’elle régla à une caisse automatique ouverte qui scanna le code barre sans problème. Elle en profita pour faire le plein à la station libre service juste après la sortie du centre commercial.

 

A 18 H 15, elle était chez elle et alluma tout de suite la télé plus par habitude qu’autre chose car il n y avait rien qui l’intéressait à cette heure là. Puis elle alluma son micro pour lire ses mails, espérant un courriel de son fils qui travaillait à Dubaï. Mais non, il n’y avait rien d’autres que des spams. Son fils lui écrivait une fois par an pour Noël. Elle n’avait jamais vu son petit fils qui était né 2 ans auparavant.

 

La soirée se déroula longue et courte à la fois. Elle dîna devant les informations. Elle reçu un appel d’un répondeur téléphonique qui lui proposait de lui envoyer un technicien pour un diagnostique d’ondes électro acoustiques. Elle raccrocha sans écouter les arguments scientifiques que la machine débitait.

 

Enfin, elle se programma un film. C’était un navet quelconque qu’elle regarda en mangeant un paquet de caramels.

 

A 22 H 30, elle alla se coucher avec un livre qu’elle traînait depuis plus d’un mois. Elle lut 3 pages, vérifia que son radio réveil était bien réglé sur 7 H 00 puis prit son comprimé pour dormir et enfin, éteignit la lumière.

 

Une heure après, elle ne dormait toujours pas. Les questions, l7es angoisses du matin étaient revenues, plus fortes, plus aigues encore. Tout cela tournait dans sa tête comme un écureuil tourne dans sa roue.

 

Elle ralluma la lumière et son radio réveil lui signala d’une voix nasillarde qu’il n’était pas encore 7 H 00 du matin. Cela accru encore un peu plus son malaise. Elle avait même du mal à respirer. Elle étouffait, elle était en nage. Elle se leva pour aller boire un verre d’eau dans la salle de bain. Elle se regarda dans le miroir du lavabo. Elle avait une plus sale mine encore que le matin. Elle retourna s’asseoir dans son lit et là, brusquement, elle fut prise d’un violent malaise. Elle avait envie de vomir…Sa tête tournait et son cœur battait à lui faire mal. Au comble de l’angoisse, elle se sentait partir, elle se sentait mourir.

 

Elle décrocha le téléphone et hésita un petit peu : qui appeler ? Son fils ? Il était si loin ; sa nièce en Bretagne ? Elle ne se souvenait peut être même pas d’elle… pas d’ami, aucune relation, personne, personne à appeler…. Son vertige s’accélérait. Elle voyait « noir »; tout s’obscurcissait.

 

Il y avait sous le combiné une plaque de métal qui rappelait les n° d’urgence. Elle composa d’une main mal assurée le 15, les urgences médicales.

 

Cela sonna longuement puis cela décrocha et elle entendit : « Par suite d’un nombre important d’appels , tous nos urgentistes sont en ligne. Veuillez réitérer votre appel ultérieurement. »

 

Et la machine raccrocha.

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

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commentaires

C
Tiens, tiens, hugh grand chef.Je me rends compte que je n'avais pas signaler que j'imprimais ce texte pour le lire. Tans pis, j'etais surement pressee et au bord de me faire mettre a la porte du cyber sans douteEnfin, voila je l'ai lu dans la meme periode que les deux autres, et la c'est celui qui m'a le plus fait peur parce que c'est plus proche d'une certaine realite que je connais et d'une fin qui m'effraie vraiment pour le coup plus que la visite annuelle de la mort, etre seule comme un chien abandonnee, terrible, cette nouvelle m'a vraiment glace. Bravo LI, je reste fan et je continue.A bientotCaro
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L
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Tu es sous mon teepi chez toi et tu imprime ce que tu veux...<br /> <br /> J'espère simplement que ce que tu lis te plais...<br /> <br /> Et oui, tu as raison; ce texte là n'est pas très loin de la réalité... Un matin, j'étais autour du périf. en retard pour une reunion, dans une circulation totalement caramélisée... et en plus mon<br /> GPS m'engueulait parce que je voulais pas sortir..." veuillez rejoindre l'itineraire conseillé"<br /> <br /> C'est là où je me suis dis que les machine étaient effrayantes quand il n'y avait qu'elles qui parlaient...  <br /> <br /> Bon dimanche<br /> <br /> très cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
Bonjour grand chef.Cela fait une paire de lunes que je n'ai pas franchi le seuil de ta tente.Je voyais toujour au loin la fumée de ta cuisine litteraire mais il  a des chemins parfois difficiles, même pour un bon repas.J'aime ce plus qui remplace le communément pas du titre du plat du jour.Le probléme est peut être là, dans ce plus. On croit que la solitude n'existe plus grace au teléphone, au net, etc etc.Tout cela nous leurre, jusqu'au jour ou.......on sort faire l'amour avec le premier venu....ou la premiére...au risque de se sentir  encore plus seul...mais au risque de toute relation...au risque de la vie.PS/ Merci pour cette nourriture spirituelle.Eric
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M
Quel portrait émouvant et realiste...La solitude existe malheureusement !Amitiés
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"
Je trouve que l'histoire s'arrête au bon moment. Pour le lecteur tout est possible. Soit il croit en une bonne âme qui viendra au bon moment, avant qu'il ne soit trop tard. Soit, et ce serait la suite logique du récit, dans son esprit en tout cas, les minutes passent, ses forces s'amenuisent et quelques jour plus tard, dans la rubrique faits divers des journaux on lira qu'une dame est retrouvée seule chez elle allongée sur le sol, le combiné à la main avec le 15 comme dernier numéro qu'elle aurait tenté d'appeler. La solitude se voit partout dans sa vie: du côté familial, affectif, amical, professionnel, social... Ne restons pas ainsi, sachons nous entourer, ne prenons pas le risque de nous retrouver seuls au milieu de la foule. Belle histoire à leçon Lastirokoi.Charly...
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M
une voix humaine, un sourire, une présence ... même si la mort est au rendez-vous, que ce ne soit pas seule ...  
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