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19 avril 2009 7 19 /04 /avril /2009 16:56

Je me souviens. On attendait l’autobus devant un disquaire. En vitrine, la pochette d’un 33 tours m’a épaté. Un chanteur, microphone en main et mèche en bataille, était debout sur son piano.

 

C’était en juillet 63. J’avais 11 ans. C’était la première fois qu’on ne partait pas en vacances au bord de la mer et que j’avais un premier contact – visuel – avec le rock’n roll.

 

Comment décrire en quelques mots « Royat », station thermale proche de Clermont Ferrant et limitrophe de Chamalières.

 

Royat, c’est avant tout une avenue bordée d’hôtels « où le curiste est le bienvenu », de restaurants « avec des menus spécialement étudiés pour nos amis curistes», de cabinets médicaux « agrées par l’établissement thermal », de pharmacies où l’on trouve « tout pour le curiste », de salons de thé, de chocolatiers et de boutiques de souvenirs et de pierres « semi précieuses » (- 10 % sur présentation du forfait de cure).

 

L’avenue se love autour du parc thermal, vrai centre névralgique de la ville où, d’après une réclame de l’époque, on trouve :

 

- Un hôpital thermal conventionné par la Sécurité Sociale et les meilleures mutuelles

- un établissement thermal (pour les soins ambulatoires dans et hors forfait).

- 12 sources différentes abritées sous de petits chalets de bois où « vous viendrez prendre une eau adaptée à votre pathologie (servie par des infirmières souriantes et compétentes) ».

- un casino proposant des manifestations culturelles pendant la saison thermale… (Je suis injuste c’est là que pour la première fois j’ai vu Claude Nougaro)

- des ruines de thermes romains montrant que le curiste d’aujourd’hui est l’héritier d’une tradition multi séculaire.

 

En un mot, Royat vit de son eau putride remboursée par la Sécu à de vieux malades comme Lourdes vit de ses miracles et Amsterdam, de ses putains. Et comme, il ne faut rien faire pour effaroucher les vieux ou fatiguer les malades (qui ne sont pas forcement les mêmes), Royat est une ville où l’on s’ennuie profondément surtout quand on a 11 ans…

 

Mon père avait ses soins thermaux tous les matins et faisait sa sieste tout l’après midi. Ma mère devait s’occuper de mon père et de mes deux jeunes sœurs. Pour la première fois de ma vie, j’ai bénéficié d’une certaine liberté. On m’a laissé aller me promener, seul, à la découverte de la ville.

 

Ce fut vite fait.

 

Le matin, je partais, bravement, à pied, direction le Puy de Dôme qui barrait l’horizon. J’arrivais rapidement, à la sortie de la ville, en orée de forêt où naissait la «Voie Romaine », où plutôt ce qu’il en restait, quelques dalles moussues qui pourtant faisait galoper mon imagination car il parait qu’elle allait jusqu’à Rome.

 

L’après midi, je tournais en rond dans le parc. Aucun jeu, aucune distraction pour les enfants ; Certains, les pauvres, cloués sur des chariots d’hôpital ; les autres, sous la garde sévère ou débonnaire de leur grands parents qui avaient tous en bandouillère, l’incontournable insigne du curiste : le petit panier d’osier contenant le verre gradué indispensable « pour prendre les eaux ».

 

Et puis j’étais timide…

 

Heureusement, il y avait sous le casino, juste à coté du bureau « tiers payant » de la Sécurité Sociale, la bibliothèque thermale. Je m’ y suis inscrit le 2ème ou 3 ème jour et je me suis installé sur un banc, avec mon livre, tout au bout du parc, à coté des ruines romaines, dans l’humidité et l’odeur de l’eau qui était partout, juste en dessous du viaduc du chemin de fer où passait tous les jours à 17 h 15, le train thermal qui arrivait directement de Paris (seulement en saison).

 

C’est là que, grâce à Bond, James Bond, pris au hasard sur un rayonnage de la petite bibliothèque, je me suis fait un ami, le seul du séjour, un ami que je n’ai jamais oublié de ma vie.

 

Lui aussi lisait sur un banc, en face du mien, un gros livre relié de cuir noir. Costume clair (blanc ?), canotier et canne posés à coté de lui, c’était un vieux, un très vieux monsieur à la chevelure blanche, immaculée qui m’a impressionné.

 

Perdu dans mon livre, je n’ai plus fait attention à lui : j’étais dans un train international avec une espionne russe aux yeux verts (je viens de vérifier : dans « bons baisers de Russie », l’espionne n’a pas les yeux verts !)

 

C’est sa voix qui m’a tiré du récit, sa voix et son ombre. Il était debout à 3 ou 4 pas de mon banc, son vieux livre relié sous le bras.

 

-          Flemming… c’est un bon choix ; c’est très bien écrit. Cela vous plait ?

 

Je lui ai dit que c’était génial. Il a sourit :

 

-          Génial peut être pas…

 

Il a réfléchi :

 

-          Moi, je connais un livre génial qui parle d’aventures, de bagarres et… de femmes aussi.

 

Il me parlait comme à un adulte. Cela m’a plu.

 

-          C’est Cyrano, Cyrano de Bergerac. Ils l’ont à la bibliothèque. Vous verrez, ça c’est génial… Bonne soirée et bonne lecture.

 

Il porta sa canne à son canotier et se dirigea vers la sortie.

 

Il avait une belle voix grave. J’ai hésité entre homme politique ou acteur… à la retraite. En tout cas, il n’était pas curiste : il n’avait pas le petit panier d’osier.

 

J’ai filé à la bibliothèque. Il était temps : cela allait fermer.

 

J’ai dévoré « Cyrano » en une soirée.

 

C’est étrange : à la première lecture, la tirade des nez ne m’a pas marqué… mais la scène de la pâtisserie et celle du duel avec Christian m’ont fasciné ; les mots, l’humour étaient étourdissants.

 

Je l’ai relu une seconde fois, dès le lendemain matin, dans la forêt, assis sur un tronc d’arbre, près de ma voie romaine, me surprenant à lire à haute voix, certains passages :

 

« Pas bien haut peut être mais tout seul. »

 

Il était déjà sur son banc, l’après midi quand je suis arrivé au parc. Il m’a fait signe d’approcher.

 

-          Cela ne vous gène pas si nous parlons ici ? Comme cela, je peux surveiller la fenêtre en même temps…

 

me dit il en désignant le second étage d’un hôtel en face.

 

Agent secret… il était agent secret.

 

-          Vous comprenez, ma femme se repose ; mais si elle a besoin de moi, elle me fait signe et je remonte tout de suite…

 

Et il enchaîna en me demandant si cela m’avait plu…je lui ai dit que cela était génial. Il a rit

 

-          Décidemment, vous n’avez que ce mot là à la bouche… mais là, je suis d’accord avec vous… c’est vraiment génial.

 

Et il me parla de Cyrano comme plus jamais de ma vie, je n’en entendis parler : avec fougue, avec passion, avec amour. Il me faisait revivre chaque scène ; il était tour à tour De Guiche, Le Bret, Ragueneau, Cyrano lui-même et Roxane aussi…

 

Il me parla d’histoire ; il me parla de théâtre, il me parla de littérature, de cent auteurs, de cent livres que je devais absolument lire… Jules Vernes, Balzac, Hugo, Saint Exupéry et tant d’autres…

 

Mais, et c’est sûrement le plus important, il me parlait de tout cela avec humilité ; oui à moi qui n’était qu’un gamin, il demandait mon avis sur ce qu’il disait. Il y avait un véritable respect de sa part non pas parce qu’il me vouvoyait mais parce qu’il m’écoutait et qu’il prenait en compte mes remarques :

 

-          Oui vous avez raison… vous avez parfaitement raison… mais alors ne pensez vous pas que…

 

Quand il se leva pour regagner son hôtel, je n’en revenais pas, je n’avais pas vu le temps passer. Il porta sa canne à son canotier et me dit :

 

-          j’ai passé un très bon moment en votre compagnie ; je vous en remercie. Bonne soirée et… bonne lecture

 

Je me suis précipité à la bibliothèque qui allait fermer et j’ai pris « les 3 mousquetaires ».

 

Le lendemain après midi, encore attristé par la mort de Constance, assassinée par la perfide Milady (une espionne aux yeux verts ?), je suis arrivé au parc mais le vieux monsieur n’était pas là.

 

Tout l’après midi, j’ai guetté la porte du parc en relisant certain passages de Dumas. Il n’est pas venu. Le soir, je suis passé à la bibliothèque pour rendre le livre et en prendre un autre. La bibliothécaire m’a reconnu :

 

« Ah, c’est vous le jeune homme qui avez emprunté Cyrano avant-hier…

 

Sans me laisser le temps de répondre, elle a farfouillé sous son comptoir et en a ressorti le vieux livre relié de noir que j’avais déjà reconnu.

 

« Tenez, votre grand père est passé ce matin. Il a laissé cela pour vous. »

 

Dans le livre, il avait une lettre. Je suis revenu m’asseoir sur le banc pour la lire.

 

« Mon jeune ami,

 

Déjà, pardon de m’être fait passer pour votre grand-père. J’en ai l’age ce qui en m’en donne pas le droit… mais je crains fort que cette brave femme ne se serait pas chargé de ma commission sans ce petit subterfuge.

 

Je ne suis point venu au parc cet après midi bien que, j’en suis certain, vous avez emprunté et lu Dumas pour que nous en parlions ensemble. Vous voyez, je suis moins fidèle en amitié que Cyrano ne le fut en amour : Bien que blessé, il n’aurait manqué pour rien au monde son dernier rendez vous avec Roxane.

 

Malheureusement, ma pauvre épouse a fait un malaise très sévère cette nuit et nous avons du la rapatrier sur Paris en ambulance. Aussi, pour me faire pardonner ce faux bond, je me permets de vous faire passer ce livre qui ne m’a jamais quitté depuis que mon grand père me l’a donné. Il m’a même suivi jusqu’en Allemagne pendant la guerre. Je n’ai pas de descendance et je suis heureux de vous le transmettre en souvenir de notre conversation d’hier. Vous ne pourrez pas le lire tout de suite car il est en grec, en grec ancien.

 

Apprenez le grec, le grec antique, mon jeune ami,… cela ne vous rapportera pas un centime… j’en sais quelque chose mais, vous verrez, le grec ancien, c’est… « Génial »

 

Ce sont les tragédies d’Eschyle, les premiers textes de l’histoire de l’Humanité écrits alors que la terre, à l’échelle de l’univers, sortait à peine de la préhistoire…et pourtant, Eschyle avait déjà tout deviné, tout compris de la vie…et tout inventé du théâtre…

 

Je vous souhaite une bonne fin de séjour… et surtout, de bonnes lectures… »

 

Je n’ai pas pu déchiffrer la signature.

 

Je n’ai jamais revu ce vieux monsieur et je n’ai jamais su qui il était vraiment mais il n’y a eu, grâce à lui, dans ma vie, plus aucune journée, sans livre…

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

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commentaires

A
Salut Last irokoi,Non mais vraiment là, j'apprécie beaucoup, bien sur c'est très touchant, je ne sais pas vraiment m'exprimer comme il faudrait. Vous savez, quand je suis arrivée à Paris, j'avais douze ans et je prenais le train de banlieue, jusqu'à la gare Saint Lazare, et puis le métro, jusqu'au................... Louvre.....Oh non pas le Grand Louvre de maintenant, mais celui que Malraux a connu..... la Victoire de Samothrace en haut de l'escalier.............Voilà vous comprendrez quel émerveillement celà était pour moi, petite bretonne. A l'époque, j'ai pu admirer des petites toiles dans cette galerie : Le Titien, portrait d'un jeune homme, Rembrandt : le philosophe, et puis aussi des grandes toiles, Véronèse :Les Noces de Canna....Et bien sur La Joconde de Léonardo Da Vinci, qui était juste entourée d'un cordon rouge, à l'époque...Bon tout celà pour vous dire que vous écrivez très bienBizArmelle
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L
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre visite et pour ce compliment...<br /> <br /> Moi aussi j'ai connu le Louvres du temps où l'on pouvait approcher des toiles tellement près qu'on pouvait sentir l'odeur de l'oeuvre...<br /> <br /> Tous les musée étaient comme cela... le musée d l'homme,(où l'on voyait des momies qui me faisaient très peur), de la marine, de l'orangerie...<br /> <br /> C'était autre chose: maintenant tout est en conserve comme lyophilisé... sans saveur...<br /> <br /> Venise qui conserve dans ses églises des toiles du Titien et de tant d'autres connait toujours cette proximité... le revers de la médaille c'est que ces chef d'oeuvre sont mal exposés, mal<br /> eclairés...<br /> <br /> Encore merci et bonne semaine<br /> <br /> Très cordialement<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
J
Une histoire époustouflante, d'autant que, si j'ai bien relu certains commentaires, il y a une part véridique, le vieil homme s'apparantant quelque peu à votre oncle.J'ai d'ailleurs particulièrement aimé ce personnage quelque peu énigmatique et qui donne, avec plaisir, son savoir et son amour de la lecture...Amitiés
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L
<br /> Oui tous les éléments sont vrais même s' ils ne se sont pas déroulés dans le même espace temps<br /> <br /> Bonne semaine<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
L
Hello Grand Sioux,Mea culpa, juste le temps pour un hugh rapide, je ne rentre même pas sous le tipee, je ne fais qu'entrebaîller la toile.Je reviendrai lire ce texte quand j'en aurai vraiment le temps car j'aime m'imprégner à 100% de l'histoire; aujourd'hui mes hommes m'attendent sur les terrains de foot pour un tournoi et je suis la préposée au pique nique ! héhéJe t'oriente sur mon ancien blog, le nouveau ne ressemblant visiblement plus à grand chose à l'écran depuis les dernières modifs d'OB ! Faut reprendre tout le CSS et pas envie.Je te salue ami du tipeeA bientôtLady ;-)
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L
<br /> Hello lady,<br /> <br /> No problem, passe quand tu veux et peux: le teepi est toujours ouvert.<br /> <br /> Oh là là: le pique nique dans les stades les après midis de compèt... j'ai connu cela... juste une confidence je deteste en regle général le sport et le foot en particulier... Quand on<br /> demandait à W.Churchill les raisons de sa longévité alors qu'il était connu de chacun qu'il fumait et qu'il aimait le scotch, il avait une réponse que je pourrais adopter comme devise: "NO SPORT"<br /> (aucun sport)<br /> <br /> bon dimanche<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
D
Je n'avais pas lu cette article, publié dans une autre communauté. Alors, pour ne plus rater tes articles, je me suis abonnée à ta newsletter.L'histoire est très belle, est-ce qu'elle est vraie ? Bonne semaine.
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L
<br /> Salut Dany,<br /> <br /> Oui l'histoire est vraie... comme un puzzle reproduit une image par petits bouts...<br /> <br /> J'avais vraiment 11 ans quand mon père est parti faire cette cure à Royat pour sa santé... j ai vraiment vu dans la boutique d'un disquaire deerrière la place de Jaude à Clermont ferrant vers<br /> cette année 62 ou 63 ce 33 t de jerry lee lewis debout sur un piano micro en main... mais je ne l ai écouté que beaucoup plus tard... et je l ai retrouvé aux puces voila presque 15 ans... il m'a<br /> semblé vraiment vieillot... mais à l'époque monter sur un piano (avec ses chaussures), cela m'a semblé le comble de la liberté...<br /> <br /> j'ai vraiment lu mes premier J.Bond dans ce parc triste... vraiment triste et j ai vraiment été me balader sur la voie romaine à la sortie de la ville...<br /> <br /> Le seul qui n'existe pas, en tout cas pas vraiment c'est le vieux monsieur même si dans mon esprit quelque part c'est mon oncle... mon oncle qui m'a emmené voir Cyrano au Français avec J.Piat et<br /> qui m'a fait découvrir entre 10 et 14 ans absolument tous les bouquin qui " comptent"...(il avait toute la collection des classiques Larousse verts ou mauve et j'ai lu dans ces petites<br /> brochures Molière, Racine, La Fontaine, La Bruyère, Homère et tant, tant d'autres assit dans son fauteuil face au lac de Saint Mandé)<br /> <br /> Malheureusement ce ne fut jamais un vieux monsieur car il est mort d'un infarctus dans la rue... il avait 65 ans...<br /> <br /> <br /> Bienvenue dans ma newsletter...<br /> <br /> Bonne journée<br /> <br /> L.Irokoi<br /> <br /> <br />
M
Merci pour ce texte qui m'a tellement émue car il parle de mes lectures les plus précieuses, celles qui demeurent malgré le temps.J'ai commencé par Le petit Prince,Hugo, Balzac Mais le livre des livres reste pour moi Cyrano
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L
<br /> Bonjour Marlou,<br /> <br /> Ah CYrano, la première pièce que j ai vu avec mon oncle au "Français"... c'était Jean Piat qui était Cyrano...Que rever de mieux? Sorano peut être?  Depardieu était bien pâle... et en plus le<br /> ciné n'a rien apporté au chef d'oeuvre...<br /> <br /> Bonsoir et merci pour ta visite<br /> <br /> Bonne semaine<br /> <br /> L.irokoi<br /> <br /> <br />