Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 octobre 2008 7 12 /10 /octobre /2008 23:15

Il s’est assis sur un rocher, au bord du sentier qui surplombe l’océan. Il est épuisé, à bout de souffle. Depuis huit jours environ, il ne va pas bien. Huit jours qu’il va contre le vent et pourtant il a l’habitude de marcher ainsi face au vent, il n’a fait que cela toute sa vie.

 

Il regarde de tous ses yeux, l’océan. Il voudrait bien – il n’ose pas penser une dernière fois – apercevoir l’éclair de cristal d’un iceberg, à la dérive ou, au large, le dos bleu d’une baleine.

 

Il frissonne ; c’est bientôt la nuit et, ici, tout au bout de la terre, là où le continent fait une pointe qui s’enfonce vers le sud et soulève les lames gigantesques du cap Horn, les soirées sont gelées. Il tend au soleil blanc, son visage ridé de vieil homme.

 

Vieux ? Est il vieux ? Usé plutôt, usé par… combien ? Oui, il n’en revient pas, il n’avait jamais compté, mais cela fait 40 ans, 40 ans qu’il marche, qu’il dérive du nord au sud, d’est en ouest, sur ce continent qui ne l’a jamais relâché, sans repos, sans toit, ou si rarement, pour l’abriter, sans cheminée pour le réchauffer, mangeant sur une pierre, au coin d’un taillis, pour table et buvant sa bière au bar de relais routiers déserts.

 

Il n’a rien, ni maison, ni famille, ni ami ; les femmes qu’il a connues ne sont jamais restées avec lui plus de quelques semaines. Il a eu un chien, vagabond comme lui, qui l’a suivi partout pendant un ou deux ans et qui, un jour, en a eu assez, sûrement. Au réveil, il n’était plus là.

 

 En fait, il ne possède que ce qu’il a  dans son sac : un jean et une chemise, un rasoir et un bout de savon, une serviette dont il voit la trame et un petit transistor qui, si loin de tout, n’émet plus depuis une semaine.

 

Une gifle de vent vient lui couper le souffle. Il n’arrive pas à reprendre son souffle. Décidément cela ne va pas fort ; et puis ça se calme. Il repense à sa vie. C’est passé si vite. Pourquoi ?

 

Sa jeunesse, en France, grise. Ses parents, morts aujourd’hui, sûrement, peut être. Et à 20 ans, son départ pour les US. « American dream » ; en août 68, non 69 plutôt. Il n’en est jamais revenu.

 

Il ne se souvient plus très bien comment il est arrivé sur cette grande plaine, près de Woodstock, avec tous ces gens, déjà, en stop, sûrement.

 

Mais ce dont il se souvient, ce sont ces 3 jours, ces 3 jours fous, indélébiles, fixés dans sa mémoire .Cette foule pleine de couleurs, cette musique, ces vibrations dans l’atmosphère où tout semblait possible, où tout le monde se connaissait, s’interpellait, riait et bâtissait un monde nouveau…tous frères et sœur pour la vie c’est à dire pour l’éternité, ces amitiés d’une nuit, le philosophe barbu qui se baignait nu dans la boue, ces amours éphémères et pourtant éternelles, cette grosses filles aux seins nus et blancs qu’elle trémoussait en rythme…belle, si belle, d’une beauté de statue antique.

 

Et puis, il y avait les nuits, où on lui offrait du vin et du tabac et des pilules ; aurores boréales au cœur d’orages bleus de kadeiloscopes dont il était l’architecte, et la musique du haut de ces cathédrales de lumière, là bas, tout au bout, dans le foyer palpitant de la scène. Sentiment d’être acteur, spectateur et  créateur tout à la fois d’un spectacle qui, en fait, passait au second plan. Lui-même ne pouvait expliquer vraiment ce qui s’était passé, vraiment ce qu’il avait vécu. C’était sur- naturel, cela le dépassait…

 

Ce qui est sur, c’est que lorsqu’il s’est réveillé au matin du 4ème jour, quand il a vu que la fête se terminait, que la famille se séparait chacun allant vers l’autre vie, quand il a vu les tribus repartir, les vêtements trempés et les cheveux collés, sales, leurs enfants nus, sur la hanche ou pendus au sein vide de leur mère,lasse, quand il a vu la scène démontée et rangée dans des camions poussifs comme un vulgaire chapiteau de cirque, la plaine jonchée d’ordures et visqueuse de boue sur laquelle un soleil blanc se levait triste comme la mort, il a comprit qu’il ne pourrait jamais rentrer chez lui.

 

Il a cherché, il a cherché toute sa vie, allant de ville en village, montant vers le Canada pour repartir vers San Francisco, descendant au Mexique pour revenir aux USA, sans jamais retrouvé quelque chose qui s'approchait de ce qu’il avait vécu; combien d’espoirs déçus, combien de quêtes vouées à l’échec pour aujourd’hui arriver au bout de la terre, au bout du chemin, les mains vides…

 

Il est là, assis sur son rocher, dans le vent qui lui apporte les derniers accords d’Hendrix tandis qu’à l’horizon, le soleil orange s’éteint comme un projecteur énorme derrière l'horizon. Et le vent devient larsen lancinant sur les nuages qui tombent, gigantesque rideau d’une scène improbable. Il ne regrette rien : ils sont tous là pour lui offrir son dernier spectacle : Jones et Morisson, Joplin et Moon… et tant d’autres connus et inconnus, musiciens et clochards qui avancent vers lui, qui viennent le chercher, lui, leur frère, leur ami, leur semblable…

 

La nuit est tombée ; on ne voit ni son regard, bleu d’acier, fixe et éteint pour l’éternité, ni sur ses lèvres, ce sourire, cet étrange sourire qui n’appartient qu’à ceux enfin arrivés au but.

 

L.IROKOI © 2008 IN « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »
Partager cet article
Repost0
8 octobre 2008 3 08 /10 /octobre /2008 22:51

Voilà 104 jours, si j’ai bien compté, qu’il pleut. Il pleut de façon ininterrompue, jour et nuit, à verse, à larges traits qui viennent crépiter sans cesse, sur mes tuiles et sur mes volets.

 

Le ciel est totalement bouché. Le soleil n’existe plus et le jour ne se lève jamais avant 10 heures le matin et dès 14 heures, la nuit tombe. Depuis longtemps, l’électricité et peu après le gaz et l’eau courante ont été interrompus, si bien qu’il fait terriblement froid dans la maison et le jardin est un bourbier visqueux. Tout se liquéfie

 

Et encore j’ai la chance d’habiter tout en haut de la côte des gardes, à Meudon, à 2 pas de la maison de Céline. Les quartiers d’en bas vers Sèvres, vers Chaville ou vers Bellevue sont certainement totalement noyés. Mais comment savoir ? Il n’est plus possible depuis 2 mois environ de descendre la côte. La « F 18 » est coupée à la hauteur du parc Effel et  des carcasses de voitures ou de camions, abandonnées commencent à rouiller. Celles qui ont été bloquées plus bas sont sous l’eau à présents et beaucoup ont dérivé vers la Seine dont on ne peut même plus distinguer le lit. Les rues sont également noyées et les sentiers forestiers sont impraticables. Je suis coupé du monde dont je ne sais plus rien…

 

Souvent, je vais sur le pont de l’autoroute au bout de ma rue. Autrefois, on voyait tout Paris, qui s’épanouissait derrière la tâche verte du bois de Boulogne. Aujourd’hui, un brouillard lourd et opaque masque l’horizon ; tout est gris et noyé. Je distingue une vaste étendue d’eau, un immense lac dont les vaguelettes montent chaque jour un peu plus haut et dans le lointain deux ou trois masses confuses : Montmartre sûrement, la colline de Chaillot peut être. Par contre, la tour Effel est invisible. Je me souviens que les premières semaines quand on a  été bloqué, des riverains venaient sur ce pont. A l’époque, nous parlions encore de ce qui arrivait : certains avaient entendu que la tour s’était effondrée et que le métro était noyé à cause d’un tunnel qui s’était rompu, un matin, sous la Seine; la catastrophe aurait tué plusieurs milliers de personnes mais comment savoir si c’était vrai. A cette époque là, la radio, la télé et internet s’étaient déjà tus et les téléphones filaires ou portables n’avaient plus aucune tonalité. Ce qui est sur, c’est qu’à ce moment là, les gens n’allaient plus travailler depuis belle lurette … aujourd’hui plus personne ne vient sur l’autoroute.

 

D’ailleurs, le quartier est presque désert ; dans ma rue il reste peut être encore deux ou trois vieux, très vieux qui ne sortent plus et moi. Déjà, beaucoup, un jour, dans les premiers temps n’ont pas pu remonter. Ils sont partis travailler un matin et ne sont jamais revenus le soir. Des familles entières ont été séparées. La plupart sont alors parties à la recherche de leurs parents dans les semaines qui ont suivies.  Beaucoup de vieux sont morts chez eux, faute de soins, faute de…. tout. Certains se sont suicidés. On a retrouvé le voisin pendu. La pluie lui tapait trop sur les nerfs certainement. A cette époque, on enterrait encore au cimetière du quartier des bruyères, ceux qui mourraient. Maintenant, il serait sans doute impossible de creuser une fosse. Elle s’éboulerait immédiatement.

 

Quand l’épicerie du quartier a fini d’être pillée, j’ai voulu aller vers Vélizy et son centre commercial ; ce n’était déjà plus possible. J’ai renoncé à mi parcourt ; la foret est une vraie tourbière et ses flaques de boue sont pires que des laisses de sables mouvants. Quand j’ai vu, là où passait avant le sentier, un bras horriblement tordu sortir du bourbier, décharné, immobile, j’ai compris que je ne passerai pas et que si j’insistais, je risquais de finir comme cette femme (l’un de doigts portait toujours une bague) de la boue plein la bouche.

 

De toutes les façons, il n’y a plus rien à l’hyper marché de V 2 ; le dernier avec qui j’ai parlé c’est ce routier, qui avait laissé son camion à la hauteur de l’échangeur de Meudon la foret. Il avait failli se faire tuer par une bande qui rodait sous le centre commercial et qui rançonnait ceux qui passait. Comme il n’y avait presque plus personne qui passait par là, ils devenaient de plus en plus cruels. En fait, il y avait longtemps que le super marché était vide… Le routier m’a dit que du coté de la province, l’autoroute était impraticable très rapidement et que la campagne alentour était sous l’eau ; aucun espoir de s’enfuir par là.

 

S’enfuir ? Pourquoi faire ? Le monde est clos ; il se résume à ce quartier où j’ai toujours vécu seul. A cette île, chaque jour un peu plus grignotée par l’eau qui monte.

 

La seule question qui me préoccupe maintenant est de savoir si je vais mourir de faim ou noyé. L’eau monte aussi vite que baisse le niveau du sac de 5 kilos de brisure de riz que j’ai entamé il y a une semaine. J’ai calculé qu’en en mangeant une seule poignée par repas, midi et soir, je pouvais tenir environ 50 jours

 

Après on verrai bien !!! Et puis, diable, on verra bien ; après moi, le déluge…..

 

 

Message retrouvé dans une bouteille sur l’île Effel, remontant vraisemblablement au début du 21e siècle (entre 2005 et 2010), aujourd’hui exposé au Musée Sanctuaire de La Défense.



L.Irokoi  c 2008 in Histoires de la vie de tous  les jours. 

EN HOMMAGE A R.BARJAVEL DONT LE ROMAN "RAVAGE "A MARQUE MA JEUNESSE.

Partager cet article
Repost0
28 septembre 2008 7 28 /09 /septembre /2008 17:20

Cher ami,

 

Déjà, je commence mal car tu ne m’es ni cher, ni  ami.

 

Alors qu’es tu ? Il y a dix ans j’aurai dis un cancrelat, une vermine, un scorpion que j’aurai écrasé sous mon pied avec plaisir, avec hargne, avec rage ; mais aujourd’hui, aujourd’hui alors que j’arrive au but? …je ne sais pas, je ne sais plus… peut être es tu ma douleur sourde, lancinante ou plutôt l’obsession de ma douleur car j’ai tellement peur de rouvrir cette plaie au demeurant toujours mal refermer ?

 

Pourtant je ne veux pas, je ne peux pas te laisser mourir idiot… et ce n’est vraiment pas une façon de parler !

 

Résumons nous, tu es, toi, citoyen français, quelque part aux USA, dans un pénitencier, au fond et à droite du couloir de la mort. Demain matin, on va te tirer de la cellule éclairée jour et nuit pour t’asseoir sur la chaise électrique. Heureusement l’Etat où tu te trouves n’a pas encore aboli la peine de mort. Tu n’as aucun sursit à espérer. J’ai payé qui il faut pour que, quoiqu’il se passe, le fonctionnaire appuie sur le bouton à 6 heures précises

 

Tu te demandes qui je suis ? Un fou ? Un sadique ? Oui sûrement, je suis tout cela mais j’ai une excuse ; si je suis un fou et un sadique, c’est à cause de toi.

 

Donc tu es toi, assis dans ta cellule à lire une lettre à laquelle tu ne comprends rien, une sueur d’angoisse au front car tu sais maintenant que demain matin tu va mourir d’une mort pénible ; mort à laquelle tu as été condamné voila bientôt cinq ans pour un meurtre dont tu te dis innocent…et là, vois tu, là, c’est  le seul point sur lequel je suis d’accord avec toi. Tu n’es  pas coupable du meurtre dont on t’accuse. Tu n’as pas tué cette jeune femme dans la chambre de ce motel où on t’a retrouvé, un matin, à ses cotés, ivre mort et couvert de son sang. Non, de ce meurtre là, tu n’es pas coupable puisqu’elle était déjà morte ou presque, quand on l’a fourré dans ton lit, deux heures avant que les flics n’arrivent.

 

Mais tu es coupable d’un autre meurtre pour lequel il y a quinze ans tu n’as pas été condamné.

 

Te rappelle tu cette petite route de campagne, à l’est de Paris ? Tu roulais à combien… 150… 160… dans ta petite voiture de sport quand tu l’a percuté? Elle n’est pas  morte tout de suite. D’après le légiste, cela a prit toute la nuit dans ce fossé ou, au matin, on l’a retrouvé. Tu ne t’es pas arrêté, tu n’as prévenue personne et tu es rentré chez toi, peureusement, lâchement…

 

Les gendarmes sont venus t’arrêter trois jours après ; papa est intervenu. On t’a libéré le lendemain et six mois après tu es passé devant un tribunal qui t’a condamné à deux mois avec sursis et à quelques billets d’amendes… et tout le monde, toi compris, est reparti à ses occupations en oubliant bien vite l’incident de cette petite. Tout le monde sauf moi.

 

Non, je ne l’ai pas oublié cette gosse, pas très belle, c’est vrai, pas très riche non plus et sans aucun parent… je n’ai pas oublié car je l’aimais, je l’aime toujours et je l’aimerai jusqu'à ma mort.

 

Je t’ai haï, je t’ai détesté comme, je pense, on ne peut pas plus haïr et détester. J’ai pensé t’attendre au coin d’une rue et t’abattre d’un coup de fusil comme un chien. Et puis j’ai réfléchis. Elle méritait mieux et plus que cela. Oui, elle méritait qu’un tribunal proclame au monde entier que tu étais un assassin et te condamne pour cela.

 

Dois je continuer ou as tu compris maintenant?

 

La peine de mort n’existait déjà plus en France. Donc il fallait que je t’entraîne là ou elle existait encore. Mon choix s’est fixé sur les Etats Unis.

 

Le reste a été un jeu d’enfant : le concours sur Internet ou tu as gagné un séjour tout frais payé aux Us, tu ne pouvais pas perdre car tu étais le seul participant et j’en étais l’organisateur. Cette jeune femme qui t’a abordé le 3ème soir de ton séjour au bar, qui t’a fais visiter la ville et s’est montré avec toi au théâtre, au restaurant et puis au motel ou elle t’a fais boire, c’est moi qui l’ai payé. Rassure toi ce n’est pas celle là, qui est morte. Ta « victime » était déjà dans le coma d’une over dose quand  elle a été ramassée près du port par les hommes de l’organisation que j’avais recruté; il lui restait au plus 2 heures à vivre quand ils l’ont couché dans ton lit et qu’ils ont fait ce qu’il fallait… je pense que si cette gosse l’avait su, elle aurait été heureuse de savoir que sa fin pitoyable vengeait en quelque sorte celle d’une gamine aussi vulnérable qu’elle

 

Voila tu sais tout. Ah, si : deux choses encore :

 

Il n’y aura personne pour assister à tes derniers instants. Tu l’as sûrement remarqué : voila deux ans qu’on ne t’écris plus. Ta femme a refait sa vie avec un médecin de Meudon. Ton père est mort dans un accident de voiture et ton avocat a été rayé du barreau : c’est fou ce qu’on peut faire avec des billets verts. Le télégramme qui doit leur annoncer ton exécution imminente n’arrivera jamais. Ils l’apprendront par les journaux ou la télé comme tout le monde. De toute façon, ils s’en foutent. Il veulent très vite oublier tout cela comme toi tu as rayé de ta vie la petite que tu as écrasé 

 

Et surtout, ne compte pas sur cette lettre pour prouver ton innocence… tu as du remarqué que certains caractères, certaines lignes commencent à s’effacer ; dans quelques instants tu auras une feuille de papier vierge entre la main. Je l’ai écris avec une encre spéciale … sympathique non ?

 

Je ne te dis pas « adieu » mais plutôt « au diable » car c’est là, en enfer, qu’on se reverra… je pense que Dieu lui-même ne peut pas comprendre…

 

© 2008 L.IROKOI IN « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
13 septembre 2008 6 13 /09 /septembre /2008 14:33

Ce fut le froid qui la réveilla ; le froid et une douleur au coté. Elle était allongée sur un banc de fer qui lui meurtrissait les cotes. Elle se redressa et tout se mit à tourner. Elle avait un mal de tête assourdissant.

 

Puis tout se calma ; la migraine, le vertige et la douleur au côté.

 

Elle était dans un abri d’autocar, en face d’une église, sur une place de village. C’était l’aube et les montagnes tout autour sortaient de la nuit.

 

Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait là, tremblant de froid dans sa veste fripée. Elle se leva avec précaution et traversa la place dans le silence, évitant au mieux les ornières de neiges durcies, impraticables avec ses chaussures de villes.  

 

Elle était au bout du village. Un sentier partait en lacet, sous les sapins, vers les sommets et un panneau de bois indiquait : « lac du mont Cenis 8 KM ».

 

Elle connaissait ce coin, cette église, ce sentier, ce village ; elle venait y skier,l’hiver, avec ses parents ; et tandis que des images précises sortait du flou de sa mémoire, la même question revenait lancinante : que faisait elle là ?

 

Elle comprenait qu’elle avait bu, trop bu hier soir ; mais elle ne savait pas, elle ne savait plus pourquoi et elle restait là frissonnante, fragile et hésitante entre le village qui descendait vers la vallée encore dans l’ombre et le sentier du lac qui allait vers le soleil. 

 

Et, à mesure que la vallée s’éveillait, peu à peu, des images lui arrivaient d’hier, s’animaient, de plus en plus nettes et précises, de plus en plus vivantes et réelles. Elle ferma les yeux comme si elle n’était pas certaine de vouloir savoir. Mais cela s’imposa et la douleur de la veille revint graduellement, sourde puis fulgurante.

 

Elle revoyait le pot du midi au bureau, tous ces gens un peu ivres qui riaient, et elle qui riait avec eux.

 

Elle se revoyait s’asseoir devant son micro et découvrir sur son téléphone portable un sms arrivé pendant la fête. C’était lui, l’homme avec qui elle vivait depuis 3 ans : « je ne rentre pas ce soir. C’est fini. J’aime quelqu’un ».

 

Elle avait prit sa veste et son sac et sans un mot elle était descendue sur le boulevard. Elle était entré dans le premier café et avait commandé un wyskie, puis un second et encore un autre dans un autre café et ainsi de suite tout l’après midi.

 

Mais cela n’était pas suffisant, elle n’arrivait pas à s’enivrer, à anesthésier cette douleur dans la poitrine qui ne voulait pas percer. Elle mélangea tout : bière et vodka, vin rouge et rhum. Quand la nuit tomba sur Paris, elle était dans ce hall de gare qui baignait dans un brouillard nauséeux ; des hommes l’abordaient, lui proposaient des choses qu’elle n’entendait pas. Elle entra au buffet, commanda un énième verre puis plus rien, plus rien jusqu’à ce matin, ce matin où l’ivresse dissipée, la blessure, l’horrible blessure saignait, à nouveau, dans sa poitrine.

 

Un énorme dégoût la submergea : un peu comme si tout l’alcool, ingurgité et mal digéré remontait  de son estomac vers sa bouche. Elle était sale de toute la crasse du voyage, de la nuit et de la trahison. Elle aurait voulu se nettoyer de tout cela.

 

A nouveau, ses yeux se posèrent sur le panneau de bois : le lac. Elle se rappelait : c’était beau, calme, reposant. C’était un miroir où se reflétait l’immensité du ciel, un saphir dans un écrin de neige. C’était pur.

 

Alors, elle tourna le dos au village  et commença à monter le sentier. Elle glissait sans cesse avec ses chaussures à talon. Elle les enleva et reparti sans même sentir sous ses pieds, la morsure du froid.

 

On la retrouva au milieu de l’après midi. Deux randonneurs, des rives où ils marchaient, avaient aperçu l’ombre légère de la jeune femme quand la glace avait cédée sous ses pas, au milieu du lac.

 

Les sauveteurs étaient arrivés trop tard. Ils l’ont repêché ; elle était entièrement nue et des larmes de gel s’étaient figées dans ses grands yeux clairs, ouverts.

 

Un des randonneurs s’approcha pour la regarder et dit d’une voix bougonne : « Encore une qu’a rien compris au réchauffement climatique ».

 

Au même instant, à Paris, ses collègues commençaient à s’inquiéter… surtout depuis que son ami avait appelé car elle n’était pas rentrée de la nuit... surtout depuis que l’ivresse retombée, chacun trouvait idiot cette blague qu’on avait faite à la petite avec ce sms bidon…

 

© Last Irokoi 2008 in « histoires de la vie de tous les jours »

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
7 septembre 2008 7 07 /09 /septembre /2008 20:08

 Navrance n’en croyait pas ses yeux ; la femme avait ramené un homme à la maison et du haut de l’armoire, sa place préférée, elle la voyait avec cet homme  sur le lit.

 

C’est la première fois que cela arrivait ; enfin à la maison ; car quelque fois, quand la femme rentrait, elle portait sur ses vêtements et sur sa peau la même odeur désagréable que celle qui se répandait actuellement dans l’appartement. Ces jours là, la femme était triste et muette, encore plus triste et plus muette que lorsque elle était restée toute la journée murée dans sa solitude, à la maison.

 

L’homme déplaisait à Navrance : gros, roux, la peau laiteuse, il sentait une odeur douçâtre. Une odeur qui n’allait pas du tout avec celle de la femme. Dès que le couple avait pénétré dans l’appartement, elle avait senti que la femme aussi était un peu écœurée par l’homme.

 

C’était inimaginable. La femme avait prit le membre de l’homme dans sa bouche et lui se laissait faire en poussant des gémissements ridicules.  Navrance sentait que cela ne plaisait pas à femme. Se renifler un peu pour voir à qui on a affaire, pourquoi pas ! Mais là, c’était choquant, répugnant. Elle se détourna de la scène et regarda par la fenêtre la nuit qui tombait sur la banlieue. Des lumières s’allumaient ça et là dans la résidence. Navrance ferma les yeux.

 

Non, décidemment ils faisaient trop de bruits. A présent c’est lui qui était sur elle. On voyait ses fesses livides, flasques, ridicules qui bougeaient. Elle, elle gardait les yeux grands ouverts. On aurait dit une noyée, inerte. Elle était folle d’offrir ainsi son ventre. C’est bien trop dangereux ; un coup de griffe est toujours possible.

 

Navrance se détourna à nouveau et regardait un avion qui passait, au nord, déjà dans la nuit. Elle allait s’endormir quand à nouveau le couple l’en empêcha. La femme avait reprit une position plus normale, agenouillée, le dos à l’homme mais cela se passait mal. Elle criait de douleur. Un jour, un mâle maladroit et débutant avait failli se tromper comme le rouquin. Navrance l’avait remis dans le droit chemin d’un bon coup de croc à l’oreille.

 

Mais le rouquin était trop gros, trop lourd ; il l’écrasait de son énorme poids. Elle ne pouvait rien faire. Elle hurlait de plus en plus fort puis, la tête dans l’oreille, elle ne dit plus rien, subissant encore quelques secondes l’homme qui s’immobilisa dans un râle.

 

Quand il descendit du lit pour aller dans la salle de bain, la femme ne bougea pas. Elle restait immobile, la figure contre le mur. Il revint très vite et commença à se rhabiller. Il lui dit quelque chose mais elle ne répondit pas. Alors, il lui mit une claque sur les fesses et sorti de l’appartement en claquant la porte

 

Elle resta de longues minutes immobile puis brusquement, elle se leva, traversa le salon, ouvrit la fenêtre et enjamba la barre d’appui. Elle sauta, sans un bruit, sans un cri, dans le vide.


C’est alors que Navrance comprit pourquoi, un soir de grande tristesse, la femme lui avait dit : « Toi, au moins, tu  retombes toujours sur mes pattes. »


IN  "HISTOIRES DE LA VIE QUI PASSE"  C 2008

LAST IROKOI

Partager cet article
Repost0
29 août 2008 5 29 /08 /août /2008 16:42

 

Sa famille l’a retrouvé un matin, assis à la table de cuisine, contemplant une fleur dans un verre à moutarde à moitié plein d’eau.

 

La fleur était une marguerite cueillie la veille dans un parterre de la cité, par sa petite fille et lui était un homme de 55 ans à peu près, dans un pyjama gris à rayures. Il était là ; il ne faisait rien,  son menton pas rasé dans la main. Il regardait la fleur, voila tout.

 

Autour de lui, Il y avait sa femme et sa fille, la dernière, celle de 13 ans. Elles commençaient à s’inquiéter, à s’agiter. On lui parlait, il restait sourd. On l’interrogeait, il restait muet. On le secouait par l’épaule ; il restait immobile. Il regardait la fleur, voila tout.

 

A cette heure là, il aurait du être dans le métro, de l’autre côté de la ville et debout dans la cohue, se tenir à la barre de métal. Il aurait du être habillé, coiffé, rasé, lavé… Au lieu de cela, il était dans sa cuisine, le menton râpeux, dans un pyjama douteux qui sentait la sueur sous les aisselles et son regard restait fixé sur la fleur. Il regardait la fleur, voilà tout.

 

Sa femme demanda à la petite, la dernière, celle de 13 ans, de le surveiller pendant qu’elle appelait le SAMU. Le SAMU, quelle drôle d’idée ! Il n’était pas malade, il se sentait bien ; il ne ressentait rien ; il regardait la fleur voilà tout mais cela sa femme ne le comprenait pas, ne le comprendrait jamais. D’ailleurs, le SAMU ne s’y est pas trompé, lui. Il  a refusé de se déplacer. Un homme qui regarde une fleur n’est pas malade. La contemplation d’une fleur n’est pas une maladie, un symptôme alarmant…ce n’est rien ; juste une fleur contemplée par un homme qui ne fait que cela.

 

Et pourtant, la maison en était toute retournée. On appela le voisin et les amis du 5ème et le petit Momo. Bientôt, la cuisine fut pleine de gens qui parlaient, qui lui parlaient, qui le secouaient, qui voulaient le faire réagir. Mais lui ne parlait pas, ne bougeait pas, ne réagissait pas. Il regardait la fleur, voilà tout.

 

Mais pourquoi ne lui foutaient ils pas la paix ? Pourquoi ne se taisaient ils pas, ne s’assoyaient ils pas, ne regardaient ils pas la fleur comme lui ? Pourquoi ? Il comprit qu’il les dérangeait à rester comme cela, immobile, autre part, dans un autre monde, inaccessible, sans problème, sans impôt, sans hémorroïdes, avec rien à faire, rien qu’à regarder la fleur, voila tout.

 

Il y eu un calme relatif. Tous se détournèrent vers sa fille, la dernière, celle de 13 ans. Elle levait la main comme à l’école pour parler. Elle avait quelque chose à dire. Sa mère l’encouragea. Alors, elle demanda de sa voix acide de gosse mal poussée : « qu’est ce qui va se passer quand la fleur sera fanée ? »

 

                                                                                  In « histoires de la vie qui passe » ©2008

Partager cet article
Repost0
1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 22:47

Le bruit de la portière roula longuement dans le parking. Je mis en route le moteur. L’ennui avec les «Citroën », c’est qu’on ne peut pas démarrer tout de suite. Il faut attendre qu’elles lèvent leur nez. Je l’ai regardé dans la lueur du tableau de bord. Elle avait épouvantablement maigri mais elle était toujours très belle. Elle ne disait rien, elle n’avait rien dit depuis qu’on s’était retrouvé dans mon bureau. Elle fixait le chiffre blanc de la place de parking sur le mur. Enfin, le voyant rouge s’éteignit. Je passais la première. Dehors, c’était la lumière dorée d’un midi d’été.

 

Je tournais la tête pour voir si le chemin était libre. Sa pâleur était effrayante.

- Tu veux manger ou ?

 Elle fit un geste pour dire qu’elle s’en moquait.

 -         Italien?

-         Pourquoi pas ?

 

La banlieue défilait, triste et déserte. Le silence était retombé dans la voiture. C’était tellement pesant que je n’ai pas pu retenir la question bête :

 

-         Alors, comment vas-tu ?

 

Elle eut un rire sec qui ressemblait à un sanglot.

 

-         Mal… Je vais mal. J’ai froid… J’ai toujours froid et j’ai peur… Tu ne peux pas savoir combien j’ai peur.

 

J’ai trouvé une place juste devant la pizzeria.

 

-         Et toi ?

-         Ca va

-         Toujours marié ?

-         Oui, toujours. On va manger ?

-         Si tu veux

 

La salle était presque vide. Nous avons pris une table dans le fond. Le garçon s’est précipité avec les menus à la main.

 

-         Tu bois l’apéritif ?

 

Elle haussa les épaules comme pour dire que c’était sans importance. On a vite commandé. Le garçon aussi semblait mal à l’aise.

 

-         Comment va ton fils ?

-         Bien, il est en Bretagne.

Elle alluma une cigarette et me regarda

 

-         Tu te rappelles ? C’est ici qu’on a décidé de rompre, il y a 2 ans… Tu l’as fais exprès ?

-         Non. C’est vrai. Excuse-moi.

 

A nouveau, le silence. Heureusement, le serveur est arrivé avec les verres. Elle a vidé le sien presque d’un coup, puis, elle a tiré une longue bouffée de sa cigarette et m’a regardé en murmurant :

 

-         Et en plus, je bois.

-         Ce n’est peut-être pas ce qu’il te faut

-         Oh ! Et puis, ça m’évite de trop penser. Je dors.

 

Elle fit un signe au garçon pour avoir un deuxième verre.

 

-         Il faut que je vise bien… entre les médicaments je veux dire. Et surtout, je ne dois pas commencer trop tôt ; autrement, je me réveille au milieu de la nuit… C’est là où j’ai le plus peur, la nuit.

 

Elle frissonna et ramena sa veste sur ses épaules. Elle prit une seconde cigarette et murmura en me regardant :

 

-         Au point ou j’en suis !

-         Arrête tes conneries !

-         Quelles conneries ? C’est une connerie de crever à 35 ans ?

 

Elle avait élevé la voix. Autour, les conversations s’étaient arrêtées ; les gens la regardaient. Elle baissa la tête. Ses yeux brillaient.

 

-         J’ai peur, tu sais. Le soir, je suis seule, je me pose des questions, plein de questions. Comment ça va se passer… et quand surtout, quand ?

 

Je lui ai pris la main. Je ne savais pas quoi lui dire. Elle poursuivit, presque en chuchotant.

 

-         J’ai peur d’avoir mal, j’ai peur de mourir, j’ai peur de tout, de tout… Pourquoi ? Mais pourquoi ? Pourquoi moi ?

-         Que t’ont dit les médecins ?

-         Les médecins !  Ils ne disent jamais rien les médecins ! Mais je le sais, je le sens, c’est foutu.

 

Ses derniers mots avaient claqué comme une gifle.

Long silence. Les autres tables étaient reparties dans leurs conversations feutrées. J’avais l’impression d’être dans une bulle.

 

-         Tout est bouffé à l’intérieur, tout. Moi qui avant avais toujours peur d‘être malade, je suis servie. Tu te souviens ? Ils se foutaient de moi. Même toi à la fin tu en avais marre.

 

Elle fumait et elle buvait nerveusement en parlant. Ses mains tremblaient.

 

-         Ce matin, c’est à peine s’ils m’ont parlé. Ils avaient le nez dans leurs dossiers, ces cons… D’ailleurs, maintenant, les gens se taisent quand je passe. Je les effraie. Ils comprennent tout de suite. Même toi, tu ne sais plus quoi me dire.

 

Elle me serra le bras.

 

-         Pourtant, avant, quand je n’étais pas malade pour de bon, quand j’avais seulement peur, il n’y avait que toi qui pouvais me rassurer. Tu ne sais plus ?

 

Je m’en suis tiré lâchement avec une pirouette.

 

-         Je ne peux pas, tu parles tout le temps.

 

Elle releva la tête. Je vis qu’elle pleurait. Alors, je me suis mis à lui parler doucement, bêtement, comme à une enfant.

 

-         Arrête, Ca ne sert à rien…Tu vas te rendre malade

-         Au point où j’en suis !

-         Tu n’as que ça à la bouche : au point où j’en suis. Tu te fais tout de même du mal.

 

Le serveur s’approcha avec les pizzas. Il vit qu’elle pleurait

 

-         Quelque chose ne va pas, signor ?

-         Non, ce n’est rien, un peu de fatigue.

-         Appelez-moi si je peux faire quelque chose.

-         Merci.

 

Il s’éloigna en hochant la tête

 

-         Mange ! Ca va être froid.

 

Elle eut un sourire triste et prit sa fourchette. Ses mains tremblaient toujours.

 

La fin du repas se déroula tout autrement. Elle se mit à parler vite, très vite, de toute sorte de choses : de son fils, de ses parents, de sa voiture qu’elle devait changer avant la fin de l’année. Une ombre passa devant son regard quand elle évoqua cette échéance.

 

Elle prit un café pendant que je réglais l’addition.

 

-         Viens, faisons quelques pas.

-         Tu n’es pas en retard ?

-         Non, je ne travaille pas l’après-midi. J’ai repris à mi-temps pour le moment. Tu me reconduiras au parking pour que je récupère ma voiture.

 

Nous avons marché en regardant les boutiques dans cette rue de banlieue. Elle m’avait prit le bras, silencieuse. Nous nous sommes arrêtés devant un fleuriste.

 

-         Maintenant quand je vois des fleurs, je pense à mon enterrement.

 

C’est à ce moment là que tout a basculé. Je l’ai attiré contre moi et je l’ai embrassé doucement.

 

-         Tais-toi. Tu n’en es pas encore là, non ? Je suis là, moi. Tu n’es plus seule.

 

Elle posa son front contre mon épaule.

 

-         Tu te souviens de ce que tu m’avais écris un jour ?

-         Oui, je crois. Je t’ai écris que si un jour tu étais malade, vraiment malade,je serai là, je viendrai vivre avec toi

 

Il y eut un silence. Elle attendait la suite, le front toujours contre mon épaule. D’une voix sans doute un peu blanche, je lui ai dit à l’oreille

 

-         C’est toujours vrai, tu sais. Si tu veux, je viens.

 

Elle m’a regardé. Je la sentais trembler comme une feuille.

 

-         Tu quitterais tout ? Tu viendrais ?

-         Oui…

 

Elle murmura :

 

-        Je ne serai plus seule ?

-        Non, je suis là, maintenant.

 

Elle n’a plus rien dit. Elle s’est serrée contre moi en fermant les yeux.

 

J’ai attendu lâchement, jusqu’au vendredi soir suivant pour annoncer ma décision à ma femme. Je lui ai tout dit de A à Z. Manifestement, elle s’attendait à notre séparation. Tout se passa tranquillement, sans heurt, Elle m’a simplement demandé si je demandais le divorce.

 

-         Je verrai lorsque tout sera fini. Par contre, si toi, tu le demandes, c’est OK

-         Je verrais.

 

On a vite réglé les détails matériels et financiers et je suis parti le samedi matin avec deux valises et ma guitare, lui laissant le soin d’expliquer ce qu’elle voudrait aux enfants.

 

Elle devait m’attendre derrière la fenêtre. Nous nous sommes retrouvés dans l’escalier. Elle s’est blottie contre moi.

 

-         Tu es venu ? Tu es venu ? Je ne croyais pas…

 

L’appartement n’avait pas changé, très clair, très net, très propre. Le balcon de la salle de séjour ouvrait sur la lumière. Au loin, les collines du Val d’Oise permettaient presque de se croire à la campagne.

 

Je me suis installé. Elle parlait sans arrêt, surexcitée, en m’aidant à défaire mes bagages.

 

Puis, nous sommes allés faire le marché. Il faisait un temps merveilleux ; le soleil tapait fort.

 

Je crois qu’à midi, c’est moi qui ai fait la cuisine.

Après mangé, elle s’est allongée pour se reposer un peu. J’ai fais la vaisselle, puis je l’ai rejoint dans la chambre.

 

Les stores étaient tirés. Une lumière douce jouait sur les meubles et sur le lit. Elle dormait, repliée, en chien de fusil, comme si même dans le sommeil, elle continuait à protéger son corps de la maladie.

 

Je me suis étendu près d’elle dans le silence.

 

La chambre non plus n’avait pas changé depuis 2 ans…

 

2 ans, cela faisait 2 ans que nous avions rompus…Auparavant, cela avait été 4 années d’une liaison clandestine, mal définie ; Je ne sais même plus exactement pourquoi nous nous sommes séparés.

 

Elle se retourna vers moi et retrouva la position qu’elle prenait toujours avant, les rares fois où nous avons passé une nuit ensemble ; son nez dans mon cou et un bras autour de ma poitrine.

 

J’ai du m’endormir moi aussi. Plus tard, lorsque j’ai ouvert les yeux, elle était réveillée et elle me regardait. Je l’ai embrassée.

 

-         T’es mignon quand tu dors.

-         Et quand je ne dors pas ?

-         Oui, aussi.

 

Elle s’étira et s’immobilisa, soudain triste.

 

-         Tu as su qu’ils m’avaient opéré ?

 

J’ai fais un signe affirmatif de la tête.

 

-         Ils m’ont …Ils m’ont… Enfin, je ne peux plus faire l’amour…

 

Sa phrase s’acheva dans un sanglot. Que répondre ?

 

-         Où est le problème ? Tu sais bien que je n’aime pas tellement cela.

 

Pour la première fois, elle éclata de rire.

 

-         Menteur ! Sale menteur ! Salaud !

 

Et son rire lui amena de grosses larmes.

 

-         Tu es idiote ! Je ne suis pas venue pour ça.

-         Mais et toi ?

-         C’est bientôt mon anniversaire. Tu m’offriras une poupée gonflable !

 

Elle m’a embrassé et on a parlé d’autre chose.

 

Plus tard, nous sommes allés faire un tour en forêt puis nous avons terminé la soirée à Montmartre.

 

Les mois de juillet et d’août furent à la fois calmes et fous.

 

Calmes parce que durant la journée, nous avions adopté un rythme adapté à son état de santé. Tous les matins, nous partions travailler ensemble. Nous mangions au self, le midi,. Puis elle repartait avec la voiture. Le soir, je remontais en train. Elle m’attendait à la gare.

 

Fous parce que les soirées et le week ends ne se déroulaient jamais de la même façon. C’était à qui aurait l’idée la plus originale, la plus bizarre, la plus saugrenue.

Prendre vers 18 heures l’autoroute du Nord pour aller boire un verre à Bruxelles, marcher des heures dans Paris pour trouver un restaurant aux tentures mauves ou oranges, manger des moules à Rungis, visiter les égouts… Elle était la plus déchaînée à ce jeu. J’essayais de la freiner un peu à cause de sa santé…mais elle souhaitait, elle espérait ce tourbillon si solidement ancré dans le quotidien.

 

Durant toute cette période, elle ne parla jamais de son mal. Je l’accompagnais tous les quinze jours à l’hôpital. Sa dernière chimio remontait à trois mois. Le médecin l’auscultait rapidement et lui prescrivait ses drogues comme elle disait, puis il nous renvoyait avec un :

 

-         Bon, c’est bien, tout va bien.

 

Et c’était vrai ! Elle allait bien ! Enfin, aussi bien que l’on peut aller avec un cancer qui se généralise. Elle perdait toujours du poids. Elle se pesait tous les samedis matins. C’était le seul moment où elle replongeait dans sa peur. Elle ne disait rien mais elle devenait blanche et muette en regardant les chiffres rouges du cadran. Mais autrement, même les soirs, rares, où nous restions à la maison, elle semblait avoir chassée sa frayeur… Non, c’est faux, elle faisait semblant d’avoir chassé sa frayeur.

 

Cette vie dura jusqu’au matin du 5 septembre. L’infirmière de la boite m’appela vers 10 heures. Elle venait d’avoir un malaise. Je l’ai retrouvé, allongée sur une civière, blanche, si blanche, respirant avec peine. Les pompiers l’ont évacuée sur l’hôpital.

 

SUITE
Partager cet article
Repost0
1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 22:44

L’alerte dura deux jours. Un médicament ne lui aurait pas réussi. Du moins ce fut la version officielle. Elle était faible, très faible. Elle avait perdu au moins 2 kilos en 48 heures. Elle était branchée de partout.

 

Un interne demanda à me parler :

 

-         Vous êtes le mari ?

-         Non, l’ami…

-         Je ne vous cacherai pas que nous avons frôlé la catastrophe…Son état est…

 

Il laissa sa phrase en suspend.

 

-         Il lui reste combien de temps ?

-         Ca ? Avec cette forme de la maladie, on ne peut jamais dire.

-         Un an ?

-         Non, pas tant…divisé par deux… avec beaucoup de chance…

-         Que peut on faire ?

-         Pas grand chose… Déjà, elle ne souffre pas.

 

Il se reprit

 

-         Pas encore, je veux dire…C’est une nature anxieuse, très anxieuse…Elle s’est calmée depuis quelques temps mais…quand elle va comprendre que c’est si proche…Le mieux serait de l’emmener un peu à la campagne ou à la mer…Il ne vous reste pas de congés à prendre ?

 

J’ai fais «oui » de la tête

 

-         Partez, emmenez la …Tiens, en Normandie, ce serait parfait…Pas trop loin d’un CHU…je ne sais pas moi : Caen ou Cherbourg. Enfin, vous verrez…Ce que je vous demande, c’est de rester vigilant… Dès qu’elle commencera à souffrir, il faudra nous la ramener…Bon, je vais vous faire les papiers pour la Sécu et une lettre pour l’hôpital que vous verrez là-bas.

 

 

Je l’ai ramené à la maison une semaine après ; Ce n’était pas brillant mais quelques forces lui étaient revenues. Elle était folle de joie à l’idée de partir au bord de la mer. J’ai profité de son absence pour régler les détails matériels de notre départ. En soldant tous mes congés, je pouvais m’absenter jusqu’à la fin de l’année. Après, on verrait bien. J’ai trouvé à louer une petite maison «avec vue sur mer », à Portbail, une petite ville sur la cote Ouest du Cotentin, à 40 kilomètres de Cherbourg. Etant jeune, j’étais allé là-bas en colonie de vacances.

 

Nous sommes partis le 13 septembre, vers 14 heures, avec 4 valises et ma guitare…

 

 

Le voyage l’avait épuisé. Pourtant, que représentaient ces 350 kilomètres au regard des virées que nous faisions avant son hospitalisation. Je me suis arrêté devant l’embarcadère des vedettes pour Jersey, le temps d’aller chercher les clefs à l’agence. En traversant le parking, j’ai regardé la mer. Autant le ciel était gris sur la terre, autant la lumière était claire sur l’océan. Doucement, la pluie se mit à tomber. Je suis aller acheter à manger pour le soir au petit super marché devant la douane.

 

Lorsque je suis revenu à la voiture, elle dormait. J’ai longé la digue par la route qui fini dans les dunes. Notre maison était la dernière du bourg avant le moutonnement de la lande. Le jardin donnait directement sur la plage par un petit escalier en bois.

 

Nous nous sommes installés rapidement. La maison n’était pas bien grande. Deux pièces au rez-de-chaussée ; la salle de séjour qui ouvrait sur le rivage par la terrasse et la cuisine, très claire, sur la terre. Deux pièces aussi au premier étage : une chambre qui donnait sur l’océan et un petit bureau dont les fenêtres survolaient les dunes. La salle de bain était du même vert que les pièces du château, à la fin du film «2001 ».

 

Elle fut tout heureuse de découvrir l’énorme cheminée dans la salle de séjour. Pendant qu’elle se reposait, dans un fauteuil, face à la mer, j’allumais un feu de bois et je préparais le dîner. Bientôt, la nuit arriva et le silence se peupla du crépitement des bûches. Ce soir là, nous n’avons rien dit : elle était fatiguée et je pensais…

 

 

Il lui fallu presque une semaine pour se remettre du voyage. Elle s’endormait tous les après-midi dans le fauteuil du salon devant la fenêtre. Je m’occupais d’installer ce qui était pour elle une maison de vacances et pour moi notre foyer jusqu’à…jusqu’à la fin. Je fis beaucoup d’achats à Coutances : téléviseurs, magnétoscopes, film, livres, disques… Tout ce qui pouvait la distraire.

 

Sa première promenade fut très courte. Nous sommes allés jusqu’à la digue. Elle a regardé l’océan et murmura :

 

-         Mon dieu ! Que c’est beau !

 

 

Les tous premiers jours furent aussi sombres que le temps. Il pleuvait. Elle grelottait. Sa tristesse était revenue. Elle ne parlait presque pas. Elle restait des journées et des soirées entières devant la télévision sans desserrer les dents. Elle s’endormait très tard. Souvent, je me réveillais en plein milieu de la nuit. Je la trouvais assise sur le lit, les yeux vides, grands ouverts.

 

Et puis, peu à peu, l’appétit lui est revenu ; Elle a voulu marcher, doucement en premier et puis de plus en plus longtemps, sur le rivage, dans le vent des grandes marées d’équinoxe.

 

A nouveau, j’ai réussi à la faire sourire, à la faire rire.

 

 

Lorsque l’hiver arriva, nous avions trouvé notre rythme. Le matin, je me levais vers neuf heures et pendant qu’elle dormait encore, j’allais chercher le pain et le journal en coupant par la lande, blanche de froid. Nous prenions le petit déjeuner ensemble, dans le bureau du premier, en lisant et commentant les nouvelles. Puis, nous partions faire les courses au marché de Perier ou de Coutances. A midi nous mangions entre le feu de bois et l’océan qui avec l’hiver prenait des tons sombres et souvent enflait sa voix depuis le fond de l’estran ou en se fracassant sur la roche des digues. Ensuite, nous montions au premier. Elle dormait deux ou trois heures pendant que je lisais dans le petit bureau. J’avais l’impression d’être au milieu de l’océan et de dériver dans le silence. Dès son réveil, nous partions, bras dessus bras dessous, le long de la mer ou sur la lande. Nous parlions en marchant dans le sable et dans le vent. Nous rentrions à la nuit tombante, un peu ivre, les yeux encore pleins de l’âpre beauté de ces terres isolées. Avant de dîner, elle lisait tout ce qui lui tombait sous la main. Nous repartions après manger, faire un tour en ville par les dunes. Nous regardions les boutiques obscures dans les rues désertes et nous nous arrêtions au café «de l’Ile » pour boire une bière. Il n’y avait jamais personne, au mieux deux ou trois vieux pêcheurs en ciré qui jouaient aux cartes en silence. Nous rentrions par la digue secouée par les rafales de vent. Elle s’asseyait à la grande table devant la cheminée et faisait d’interminables réussites. Je lisais en écoutant de la musique. Vers minuit, nous montions nous coucher. Nous nous endormions dans les bras l’un de l’autre, tendrement.

 

 

Les jours, les nuits passèrent ainsi, calmes, presque en dehors du temps.

Depuis notre arrivée, elle n’avait jamais parlé de sa maladie. Du reste, lorsque j’y pense, je suis incapable de me rappeler le sujet de nos conversations, la littérature, la musique sûrement… Non, paradoxalement, ce dont je me souviens aujourd’hui, ce sont de nos fous rires, de nos énormes éclats de rire.

 

Et cette vie semblait lui convenir. Ce n’était plus la malade anxieuse de la première rencontre, ni même la gamine écorchée vive d’il y a deux ans. Aussi inconcevable que cela puisse paraître, elle semblait sereine et …oui, presque heureuse.

 

Cette impression était surtout visible lorsque nous organisions une fête…une fête rien que pour nous deux. Nous saisissions tous les prétextes. Une petite mouette à la patte cassée que nous avions sauvée, le galet lancé le plus loin, un pari sur un souvenir d’hier. En ces circonstances, nous sortions les bougies, la nappe blanche et fleurie. Nous achetions au bourg, l’un pour l’autre, une babiole, une babiole dans un paquet plein de ruban en volutes. C’était la fête, notre fête, quoi !

 

 

Souvent, aussi, le samedi ou le dimanche, nous partions manger au restaurant à Granville ou à Carteret, face au port. Nous nous promenions ensuite tout l’après-midi, dans ces villes tristes et désertes, pleines des couleurs de l’automne.

 

 

Deux fois par mois, nous nous retrouvions dans la salle d’attente bondée de l’hôpital de Cherbourg. Le médecin était un petit gros rondouillard ficelé dans une blouse blanche jamais très propre. Il l’auscultait rapidement, jetait un coup d’œil aux analyses de sang et, sans un mot, sans un sourire, il renouvelait l’ordonnance.

 

 

Elle perdit encore au moins 3 kilos dans les deux premiers mois. Puis d’octobre à décembre, la chute de poids tendit à ralentir quelque peu. Pourtant, à Noël, elle ne pesait plus que 38 kilos. Même ce jour là, elle ne voulut ni voir, ni téléphoner à son fils.

 

 

Dans la nuit de la saint Sylvestre, une tempête éclata sur la cote de la Déroute, de Granville à la Hague. L’océan saluait l’an nouveau à sa façon. L’écume jetait de longues guirlandes brillantes sur la plage et le vent soulevait des gerbes d’eau qui se fracassaient sur les digues en éphémères étoiles de givrées. Les rafales s’engouffraient dans la cheminée et psalmodiaient le chant monotone et mystérieux de la lande en folie. Elle était triste, très triste. Elle ne mangeait pas. Le foie gras restait dans son assiette et le champagne se réchauffait dans sa coupe. Je parlais pour deux. Je parlais des Noëls organisés chez mes grands-parents. A un moment, elle me prit la main.

 

-         Arrête, tu es gentil mais ça ne sert à rien ce soir. On ne triche pas une nuit comme celle ci.

 

Elle avala une gorgée de champagne.

 

-         Tu sais et je sais…Nous savons tous les deux que c’est la dernière année que je vois arriver.

 

Elle frissonna

 

-         Tu as froid ? Tu veux que…

-         Non, j’ai peur. C’est bizarre, j’avais presque oublié ma peur…Oh! pas tout le temps non…Des fois ça revenait comme des bouffées d’horreur… Mais ce soir, c’est trop présent…Excuse moi… Pour une fois, je voudrais aller me promener, seule, sur la plage.

-         Tu es folle. Tu as vu le temps ?

-         Je t’en prie ; je ne serai pas longue.

 

Elle se leva et passa son manteau. Elle est sortie sans un mot, dans la nuit glacée. Je me suis approché de la baie vitrée mais je l’ai vite perdu dans l’obscurité. J’ai pris mon verre de champagne et je me suis assis devant la cheminée. C’est idiot. Les flammes se sont brouillées. Je crois que j’ai pleuré, tout seul, comme un con.

 

 

Elle est revenue tard, bien après minuit, le visage sombre, fatiguée comme quelqu’un qui arrivait d’un long, d’un très long voyage. Elle m’a rejoint devant le feu de bois.

 

-         Pardon !

 

Puis elle a caché sa tête dans mon cou.

 

Elle n’a pas voulu se coucher. Nous sommes restés comme ça jusqu’à l’aube.

 

Elle a dormi toute la journée du 1er janvier. Je suis resté devant la baie vitrée à regarder la mer déchaînée, verte de froid et à l’intérieur de moi, c’était plus dur, plus glacé que les rochers de Jersey qui brillaient sous les nuages.

 

 

Tout changea le samedi qui a suivi.

 

Je m’étais coupé en me rasant et je cherchais un pansement dans toute la maison lorsqu’elle m’a appelé dans la salle de bain.

 

-         Viens voir ! Viens vite !

 

Elle était sur le pèse personne.

 

-         Regarde, j’ai repris un peu de poids.

 

J’ai vérifié. C’était vrai ! Oh! Pas grand chose, mais tout de même, l’aiguille était montée d’un petit cran.

 

 

Le mardi suivant, ce fut la première chose qu’elle a dit au médecin. Il l’a douché d’un «c’est bien » sec et froid. Il l’a ausculté sans faire de commentaire et a rédigé la même ordonnance que d’habitude.

 

Elle m’attendait toujours dans la voiture pendant que je payais la consultation. La caisse se trouvait juste à côté du cabinet du toubib. Sa porte était restée entrebâillée. Il téléphonait. J’ai compris qu’il parlait d’elle avec son confrère parisien. Le mot «rémission » est revenu plusieurs fois dans la conversation.

 

Je l’ai rejoint sur le parking. Je ne lui ai rien dit de ce que je venais d’entendre.

 

Et le temps passait immobile et fugace, insaisissable et pourtant si présent dans nos pensées.

 

 

Le samedi suivant, elle n’avait pas pris un gramme. Elle fut triste toute la journée. Puis, doucement, au fil des semaines, de samedi en samedi, elle se mit à reprendre du poids : cent grammes, une livre, un kilo même la dernière semaine de janvier.

 

 

Fin février, elle pesait 42 kilos et surtout, elle avait perdu ce teint cireux qui m’effrayait tant les premiers jours, quand elle se levait.

 

C’est aussi à cette époque là que la boite m’a accordé un congé sans solde de six mois.

 

 

Dans les premiers jours de mars, un matin, j’ai appelé, sans rien lui dire, le toubib de Cherbourg depuis le bistrot. Il a accepté de me répondre :

 

-         Que voulez-vous que je vous dise ? Une prise de poids au stade où elle en est, c’est fréquent.

-         C’est signe de quoi ?

-         De rien…

 

Il s’est tu quelques instants comme s’il cherchait des mots simples

 

-         Comprenez-moi bien. Elle présente une forme assez rare de la maladie …Ca peut être n’importe quoi cette reprise de poids… Le dernier signe avant le grand plongeon comme le point de départ d‘une petite rémission.

 

J’ai entendu qu’il tournait des pages.

 

-         C’est vrai, ces analyses sont meilleures, les dernières sont presque normales… Mais ça ne prouve rien, ça ne veut rien dire…

 

Il soupira

 

-         Bon, si ça se confirme à votre prochaine visite, je l’hospitalise quelques jours. On y verra peut être plus clair… Mais jusque là pas un mot.

 

 

Mars passait lentement. Elle allait de mieux en mieux. Tout le prouvait : Son poids, son teint, … A nouveau, elle s’occupa d’elle. Elle passait de longs moments, le matin, devant le miroir, à se maquiller. Elle ne sortait plus sans bleu sur les yeux, sans rouge sur les lèvres. Elle fit de nouveau les magasins, achetant de nouveaux vêtements pleins de couleurs vives. Avec l’élégance, sa beauté, sa vraie beauté d’il y a deux ans, reprenait possession de son corps et de son visage et les gens se retournaient sur cette adolescente mal poussée mais tellement séduisante.

 

C’était une succession de vagues d’espoirs mal contenus au milieu d’une vie anachronique, hors du temps. Ni l’un, ni l’autre n’osions parler franchement de ce qu’en esprit en dépit de ce que m’avait dit le toubib, j’appelais déjà «guérison ». Nos lapsus, pourtant, étaient révélateurs. Les mots «demain », «bientôt », «année prochaine » firent leur apparition dans nos conversations. Et même si elle marquait alors, un petit temps d’arrêt, les nuages dans ses yeux étaient moins épais, moins longs à se dissiper.

SUITE

Partager cet article
Repost0
1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 22:40

Dans les premiers jours de mars, un matin, j’ai appelé, sans rien lui dire, le toubib de Cherbourg depuis le bistrot. Il a accepté de me répondre :

 

-         Que voulez-vous que je vous dise ? Une prise de poids au stade où elle en est, c’est fréquent.

-         C’est signe de quoi ?

-         De rien…

 

Il s’est tu quelques instants comme s’il cherchait des mots simples

 

-         Comprenez-moi bien. Elle présente une forme assez rare de la maladie …Ca peut être n’importe quoi cette reprise de poids… Le dernier signe avant le grand plongeon comme le point de départ d‘une petite rémission.

 

J’ai entendu qu’il tournait des pages.

 

-         C’est vrai, ces analyses sont meilleures, les dernières sont presque normales… Mais ça ne prouve rien, ça ne veut rien dire…

 

Il soupira

 

-         Bon, si ça se confirme à votre prochaine visite, je l’hospitalise quelques jours. On y verra peut être plus clair… Mais jusque là pas un mot.

 

 

Mars passait lentement. Elle allait de mieux en mieux. Tout le prouvait : Son poids, son teint, … A nouveau, elle s’occupa d’elle. Elle passait de longs moments, le matin, devant le miroir, à se maquiller. Elle ne sortait plus sans bleu sur les yeux, sans rouge sur les lèvres. Elle fit de nouveau les magasins, achetant de nouveaux vêtements pleins de couleurs vives. Avec l’élégance, sa beauté, sa vraie beauté d’il y a deux ans, reprenait possession de son corps et de son visage et les gens se retournaient sur cette adolescente mal poussée mais tellement séduisante.

 

C’était une succession de vagues d’espoirs mal contenus au milieu d’une vie anachronique, hors du temps. Ni l’un, ni l’autre n’osions parler franchement de ce qu’en esprit en dépit de ce que m’avait dit le toubib, j’appelais déjà «guérison ». Nos lapsus, pourtant, étaient révélateurs. Les mots «demain », «bientôt », «année prochaine » firent leur apparition dans nos conversations. Et même si elle marquait alors, un petit temps d’arrêt, les nuages dans ses yeux étaient moins épais, moins longs à se dissiper.

 

 

Le mardi de la consultation à Cherbourg, arriva enfin.

 

Ce jour là, le médecin prit plus de temps pour l’examiner. Il nous fit asseoir et relu longuement le dossier. Il réfléchit quelques instants puis enfin, il s’est mis à parler en farfouillant dans son oreille avec une allumette.

 

-         Bien, madame, je vais vous demander de bien écouter, de bien comprendre ce que je vais vous dire.

 

Elle hocha la tête.

 

-         A votre arrivée, le pronostic de votre maladie était très mauvais. Vous le saviez ?

 

A nouveau, elle hocha la tête.

 

-         Aujourd’hui, c’est meilleur…Attention, hein! je n’ai pas dit que vous étiez tiré d‘affaire, mais c’est mieux, beaucoup mieux. Je me propose de vous hospitaliser une petite semaine pour vérifier tout ça. Vous êtes d’accord ?

 

Elle n’a pas pu répondre. Moi, non plus. Quelque chose nous serrait la gorge.

 

 

Elle n’a pas voulu que je vienne la voir pendant son séjour. Les infirmières répondaient à peine au téléphone. Je restais seul dans la petite maison. La lande se couvrait de primevères et de coquelicot. Le printemps arrivait

 

 

Elle n’est sortie que dix jours après. En allant la chercher, j’ai croisé le toubib dans le hall. Il s’est arrêté.

 

-         Ah! cher monsieur, C’est bien ce que je pensais.

 

Devant mon air interrogatif, il a précisé sa pensée

 

-         Une rémission, c’est bien une rémission, le mal a reculé…Attention hein ! Cela ne veut pas dire qu’elle est guérit… Mais elle a gagné du temps.. Et dans la forme qu’elle présente, c’est rare, très rare… tellement rare que je vais faire une présentation de son cas à la fac.

-         Combien de temps ?

 

Il m’a regardé d’un air interrogateur

 

-         Je veux dire : combien de temps elle a gagné ?

-         Çà, …Ne m’en demandez pas trop… C’est déjà miraculeux…

 

Et il est repartit à grands pas vers la sortie.

 

J’ai monté l’escalier 4 à 4. Quand je suis entré dans la chambre, elle était assise sur son lit. Elle m’a regardé sans bouger et m’a dit :

 

-         Tu te rends compte, je ne vais pas mourir tout de suite…

 

Elle avait l’air presque effrayé par ce qu’elle disait, une peur… superstitieuse.

 

-         Je vais vivre…Je vais vivre encore un peu, c’est dingue, non ?

 

Alors seulement, elle a éclaté en sanglots et elle s’est précipitée dans mes bras. Je la sentais à bout de nerfs. J’ai pris son visage entre mes mains

 

-         Tu vois, c’est jamais perdu d’avance.

 

Elle me serrait entre ses bras, ses bras qui tremblaient et pour la première fois depuis que nous étions à nouveau ensemble…Non, soyons sincère pour la première fois depuis que nous nous connaissions, elle m’a dit à l’oreille

 

-         Je t’aime, oh, que je t’aime !

 

L’infirmière est entrée, des draps propres dans les mains. J’ai pris sa valise :

 

-         Viens, sortons d’ici.

 

 

A midi, nous sommes allés manger au restaurant. Elle était surexcitée. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Elle parlait … Elle parlait sans arrêt. Elle parlait de tout, de voyages, de projets, de son fils qu’il fallait aller voir dès demain, de ses dessins. Elle voulait faire une exposition… Et elle buvait, elle buvait verre sur verre. Les fous-rires alternaient à présent, sans transition, avec les larmes. Elle essayait, dans son ivresse, de m’expliquer par ou elle était passé durant sa maladie. C’était touchant, tendre et pitoyable tout à la fois.

 

Pendant que je réglais l’addition, elle est sortie s’asseoir sur le trottoir. Elle pleurait, elle riait, elle chantait tout à la fois. Les gens s’arrêtaient pour la regarder. J’ai du la tenir pour aller jusqu’à la voiture. Moi non plus, je ne marchais pas très droit.

 

J’ai du m’arrêter quelques kilomètres après. Elle a été malade comme tout un corps d’armée à la fin d’une nuit de beuverie. Je l’ai couché en arrivant et comme moi aussi, j’avais un peu la tête lourde, je me suis allongé près d’elle dans le silence de la chambre.

 

Elle me réveilla en m’embrassant. Elle fronça les yeux, soudain inquiète :

 

-         Tu ne vas pas me dire que j’ai rêvé, au moins ?

 

Pour toute réponse, je lui ai tendu le certificat médical que j’avais posé sur la table de nuit en arrivant. Son arrêt de travail était prolongé jusqu’au 15 juillet et elle était ensuite autorisée à reprendre le travail.

 

Je me suis assis au pied du lit pour mieux la regarder. Elle était radieuse.

 

-         Que faisons-nous ce soir ?

-         Décide

-         Regarde, le soleil va tomber dans la mer. Tu viens le voir ?

 

L’océan avait prit la teinte d’un vieux métal travaillé. La plage déserte sombrait dans le silence bleuté, vrillé par le cri des mouettes.

 

Soudain, elle commença à se déshabiller.

 

-         Tu es folle. Tu vas prendre la crève. Arrête…

-         Tu viens avec moi. Il faut que je me nettoie après tout ça.

 

Entièrement nue, elle dévala la plage vers les flots, soulevant des gerbes d’eau sur son passage. Elle plongea dans une vague d’émeraude. Je l’ai suivi sans grand enthousiasme. L’eau était gelée. Elle est restée longtemps dans les lames déferlantes, nageant et virevoltant dans le courant.

 

 

Nous ne sommes pas allés voir son fils le lendemain. Elle avait 40 de fièvre et une angine qui la tint au lit huit jours.

 

 

Nous sommes restés encore près de quatre mois à Portbail. Trois mois étranges, plus étranges encore que les sept qui avaient précédé.

Elle ne tenait pas en place et elle changeait d’avis sans cesse. Un peu comme si elle voulait rattraper le temps perdu, comme si elle souhaitait vivre dix ou quinze vies différentes dans le même instant. Mais poursuivant tant de projets, elle n’en accomplissait aucun.

 

La première et seule visite qu’elle rendit à son fils montre bien ce que je veux dire. Nous sommes arrivés très tôt, vers dix heures. Toute la matinée, elle s’est comportée comme une lointaine parente accomplissant une corvée. Elle embrassa le gamin et d’un air détaché, elle lui posa de brèves questions, ne s’intéressant visiblement pas aux réponses du petit :

 

-         Ca va ?

-         Et l’école ? Tu travailles bien ?

-         Tu es sage ?

 

Puis, elle l’envoya jouer dehors, s‘énervant même parce qu’il n’allait pas assez vite. Ses parents non plus ne furent pas épargnés. Dès qu’ils voulurent lui parler de sa santé, elle est devenue agressive, méchante…

 

Après le repas, tout changea.

 

Elle en faisait presque trop. Elle étreignit son fils et pleura dans les bras de sa mère comme une gamine. A seize heures, il était convenu que nous repartirions après le dîner en emmenant le petit. Il terminerait l’année scolaire à Portbail.

 

En définitive, nous nous sommes sauvés à 19 heures sans manger et sans l’enfant qui n’y comprenait plus rien. Nous avons fait les deux cent kilomètres du retour sans dire un mot. Elle était sombre comme au pire des jours et dans mon esprit, c’était aussi confus que les sous bois de la forêt de Brocéliande que nous avons traversés dans le soir triste qui tombait.

 

 

C’était les mêmes hésitations, les mêmes voltes faces lorsque nous parlions du futur.

 

Un jour, elle me pressait de voir un avocat pour pouvoir divorcer afin de pouvoir «enfin » l’épouser. Le lendemain, elle se demandait si, en fin de compte, il n’était pas mieux de rester comme ça. Deux jours après, elle pensait qu’il valait mieux être chacun chez soi. La semaine suivante, elle avait le nez plongé dans un annuaire vieux de trois ans à la recherche d’un «bon » avocat ou d’une agence immobilière en région parisienne.

 

Avec elle, l’avenir fluctuait. Successivement, elle voulu que nous démissionnions de la boite pour rester ici vivre, elle de ses dessins et moi de mes écrits. Elle ne s’était même pas aperçue que je n’écrivais plus depuis longtemps. Puis ce fut la période «écolo ». Elle a lu tout ce qu’elle trouvait sur la cuisine végétarienne pour ouvrir un restaurant en Lozère. Il y a eu aussi la librairie dans le quartier latin, l’élevage de mouton au pays de Galles et plein d’autres choses encore. Elle n’avait aucune suite dans les idées, aucune stabilité.

 

 

Vers le 20 mai, j’ai fait l’aller retour à Paris pour déjeuner avec les enfants. Ils avaient grandi. Ils m’ont donné des nouvelles de leur mère. Elle venait de rencontrer un médecin, proche de la retraite, très sympa d’après eux. Bref, tout allait bien à la maison…Brusquement, j’ai eu l’impression d’être parti depuis dix ans. En fait, cela ne faisait pas dix mois.

 

J’ai repris le train de 18 heures à la gare saint Lazare. Elle devait m’attendre à 22 heures trente à Carentan, avec la voiture. Elle n’était pas là. J’ai appelé la maison, un peu inquiet. Elle m’avait oublié. Elle écrivait à une galerie de Concarneau pour son expo.

 

 

Et le temps passait. Les jours filaient. Dans moins d’un mois, nous devions reprendre l’un et l’autre le travail. Mais, elle n’avait toujours pas contacté la boite. Elle était perplexe. Que devait elle faire ? Revenir sur Paris ? Rester ici ? Aller ailleurs ?

 

Son état d’esprit m’inquiétait. Le médecin accepta encore une fois de me parler au téléphone.

 

-         Versatile ?

 

Il éclata de rire.

 

-         Elles le sont toutes mon pauvre ami. Regardez, ma femme par exemple, elle a divorcé d’un pauvre diable qui ne travaillait pas. Il était au chômage. Elle m’a épousé et deux ans après, elle m’a quitté. Vous savez pourquoi ? Parce que je travaillais trop…

 

Il riait encore quand il a raccroché.

 

 

Nous sommes rentrés à Paris le 8 juillet, juste une semaine avant de reprendre le travail. Son fils restait en Bretagne pour toutes les vacances. Elle était en pleine forme.

 

Nous nous sommes installés chez nous…En fin, lorsque je dis «chez nous », c’est une façon de parler. Je n’étais pas chez moi. Manifestement, je l’encombrais. De plus en plus souvent, elle me disait que j’étais dans ses jambes. Souvent, elle se réfugiait ostensiblement dans la cuisine ou dans la salle de bain et elle boudait des heures entières, le nez dans un annuaire téléphonique. Soudain, elle sortait et me demandait pardon en me sautant au cou. La crise était passée. Mais, ces scènes se renouvelaient de plus en plus souvent.

 

 

Tout éclata la veille de notre reprise de travail. Qu’avais je fais ? Je ne sais même plus. Ah si ! J’avais du casser un verre dans la cuisine.

 

Elle hurla tout ce qu’elle avait sur le cœur depuis plusieurs semaines et me traitant de tous les noms, elle me mit carrément à la porte.

 

Je n’ai rien répondu. Qu’y avait il a répondre ? Tout avait été dit. Mon rôle auprès d’elle était terminé. Je suis allé dans la chambre et j’ai fais mes bagages. Elle est rentrée comme une folle.

 

-         Que fais tu ? Tu t’en va ?

-         Oui.

-         Ou va tu aller ? Tu n’as pas encore d’appartement.

-         Il y a un hôtel près de la gare. Si tu as besoin de moi, je serai là en deux minutes.

 

La scène qui suivit fut effroyable, pitoyable. Je préfère l’oublier. Quand je suis parti, elle était effondrée sur le lit en larmes.

 

Je l’ai appelé deux heures après pour lui donner le numéro de téléphone de l’hôtel. Elle m’a remercié sans rien dire d’autre et elle a raccroché. C’était la dernière fois que je lui parlais.

 

Le soir, j’étais tout seul, comme un con, dans ma chambre d’hôtel, avec ma guitare sur mes genoux.

 

 

J’ai repris mon travail le lendemain. Je ne l’ai pas vu ni ce jour là, ni les jours suivants. Elle m’évitait. Jamais elle ne m’appela, jamais je ne l’ai vu à l’étage. Je pense même qu’elle changea ses horaires d’arrivée et de départ. Pourtant, elle travaillait. Sa voiture était au troisième sous-sol comme avant. Je n’ai rien fait pour rompre ce silence. Je le regrette aujourd’hui.

Très vite, je fus repris par le tourbillon fou que j’avais déserté depuis un an. Ses nouvelles m’arrivèrent tout de même par le bouche à oreille. J’ai appris ainsi qu’elle était toujours en pleine forme, qu’elle sortait beaucoup, qu’elle allait partir en vacances au Canada en septembre.

 

 

Août arriva …étouffant.

 

Je suis tombé malade. Une superbe angine : 40 de fièvre et dix jours d’arrêt. C’est pendant cette période que j’ai essayé de lui téléphoner à deux ou trois reprises. Je n’ai jamais pu l’avoir. Le téléphone sonnait mais personne ne décrochait.

 

 

J’ai repris le 17 août. J’étais dans un dossier complexe quand le téléphone sonna vers dix heures. C’était son père. Elle était morte ce matin, à 4 heures après une courte hospitalisation de 8 jours. Elle avait interdit à ses parents de m’appeler.

 

 

Je suis revenu à Portbail cinq ans après. Je ne sais pas trop pourquoi j’avais entrepris ce…ce pèlerinage. Il y avait un écriteau sur notre maison : « A VENDRE ».

 

La fille de l’agence ne m’a pas reconnu. Sur la chemise de papier jauni du descriptif de la maison, quelqu’un avait dessiné un gros crabe rouge.

Partager cet article
Repost0
15 avril 2008 2 15 /04 /avril /2008 00:00

 

DSC08335.JPG
 Il pleut depuis plus d'un mois. Le matin, je me réveille bercé par l'éternel chuchotement de l'eau qui coule, goutte à goutte, de tuile en tuile, de pierre en pierre.

 

Toute activité dans le village est comme anesthésiée. Des silhouettes confuses déambulent le long du rivage puis vont se réfugier au bistrot, sur la place. La lumière des vitrines ne perce pas la brume.

 

J'existe dans cette petite ville depuis 3 ans. Je me suis installé dans une maison du bord de mer lorsque j'ai quitté ma femme. J'y vis seul avec un chat qui était déjà là à mon arrivée.

 

Des voisins ont appris, je ne sais pas trop comment, que j'étais médecin à Paris. Un à un, timidement, ils sont venus me voir. Voilà près de deux ans maintenant que, bien que retraité, je soigne tout le village. Il faut dire que le premier confrère est à 15 kilomètres d’ici, à Coutances. Je ne demande pas d’honoraires mais les gens d'ici n'aiment pas devoir quelque chose à quelqu'un. Alors, ils me règlent leur consultation en cidre ou en calva, voire en petits services, en coups de main. Autant dire qu’avec ma pension militaire, ma retraite et certains revenus que j’ai gardés de ma première vie, je vis ici comme un roi. J'ai une vie simple et tranquille. J'ai la mer et l’estran au pied de mes fenêtres, à perte de vue, depuis ma bibliothèque ou mon salon,  le vent qui rythme mes jours et mes nuits, mes rêves et mes pensées.

 

Ce doit être l’hiver depuis hier et Noël, après-demain. Je suis passé à la librairie de Coutainville, ce matin. Dans sa vitrine, il y  a une belle crèche avec des automates animés. La charcuterie de Gouville expose des dindes et des oies, des chapons habillés de papier, gavés de marrons. Je réveillonnerai avec le Maire et le curé, puis je rentrerai lire derrière la fenêtre de mon bureau. La météo prévoit une tempête pour la nuit de Noël. Gerbes d'écume et guirlandes de déferlantes sur les grandes orgues du vent. Aucune avenue de la Capitale ne sera aussi étincelante.

 

 

 


 

Il est cinq heures du soir. Je suis dans mon fauteuil préféré. Je fume une pipe en écoutant la pluie et le vent jouant sur l’estran.

 

C'est dans le silence pétillant du feu de bois que la sonnerie du téléphone a éclaté.

 

-         J'écoute.

-         Venez m'aider. J'ai mal... J'ai très mal.

 

C'est une voix jeune, très jeune, presque une enfant me semble-t-il, avec un accent étrange, indéfinissable.

 

-         Qui êtes-vous ? Ou êtes-vous ?

-         j'ai mal,  Très mal...

 

La fin du mot s'est perdue dans une plainte.

 

-         Allo, Dîtes moi où vous vous trouvez. Je peux vous aider mais il faut me dire où je dois aller.

-         ... Mal...

-         Essayez de vous calmer. Respirez, respirez à fond...

-         ... taureau...

-         ... Je vous écoute... Je ne comprends pas. D'où appelez-vous ?

-         ...tau... reau...

 

Brutalement, la communication est coupée. Bêtement, je répète 2 ou 3  fois "allo ". À l'autre bout, il n'y a plus qu'un " bip-bip" énervant. Je raccroche enfin.

 

Depuis près de 3 ans, je n'avais plus de problème. C’est d’ailleurs pour fuir les problèmes que j’avais divorcé. Pourtant, les emmerdes, c'est comme le vélo, on n'oublie pas. Je reprends le téléphone.

 

-         La gendarmerie ? Le brigadier Michaud, s'il vous plaît.

-          Salut, toubib. Quel bon vent ?

-         Une tuile…

-         Pas étonnant. Avec la tempête qui monte, elles vont toutes voler.

-         Sérieux. Je viens d'avoir un appel d’une gamine malade ou blessée.

-         Ou est-elle ?

-         Justement, c'est le problème. Elle semble très faible. Elle n'a rien pu me dire si ce n'est »j’ai mal » et «taureau ».

-         « Taureau » ?

-         Oui, c’est cela «taureau». Vous ne voyez pas dans la région, une ferme avec une de ces bestioles et une gamine du 12 ou 13 ans

-         Plusieurs fermes, dans le coin, ont un taureau…Quant aux gamines…

-         Ecoutez, la gamine en question avait un accent.

-         Un accent ?

-         Oui, un accent. Un drôle d’accent. Etranger... africain peut-être... Non, même pas... Un accent, quoi.

-         Non, je ne vois rien qui ressemble à cela. Bon, je préviens le Maire, je rassemble les hommes et on se retrouve au bistrot.

-         D’accord brigadier, mais faites vite, cette gamine avait l'air mal en point.

-         On fonce, ne vous en faites pas.

 

La gamine m’avait  appelée vers 17 heures 20. Il est près de 17 heures 30 lorsque je prends ma 4L. Si jamais la petite a une hémorragie !

Malgré l'humidité, ma voiture démarre tout de suite. Depuis que j'ai guéri le garagiste d'une énorme crise d’hémorroïdes, j'ai le meilleur moteur du pays.

 

J'arrive au bistrot en même temps que Mathieu le maire. Tous les habitués sont là. Le patron me verse un calva.

 

- Le brigadier n'est pas encore là ?

- Pas encore, il arrive.

 

Mathieu lève la voix.

 

- Hé ! Les gars, venez. Le toubib a des problèmes. Racontez, toubib.

 

Ils sont tous venus autour de moi et ils écoutent. Lorsque j'ai fini, un grand silence règne dans la pièce. Puis l'un d’eux se décide.

 

- Une môme étrangère dans le coin, je vois pas.

- Des taureaux d’ici à Lessay,  y en a, crédieu !

- Peut-être à la " Groucerie " ou aux «miellettes ».

- Non, y z’ont pas le téléphone.

- Les Rigeaux, y s’raient pas à la ville pour trois jours ?

- Y a pas de môme, chez eux.

- Hé ! Qui sait ?

 

Eugène le cantonnier pousse soudain un cri.

 

-         Mais, toubib, si elle rappelle chez toi, la petite, y a plus personne.

-         Merde, je n'y avais pas pensé...

-         Passe-moi ta clef, j’y vais.

 

Tout le monde le prend pour un simplet, le gars Eugène. N’empêche que c'est lui qui a la première bonne idée de la soirée.

 

-         Eugène...

-         Ouais ?

-   Il y a un litre de calva dans le buffet.

-   merci, toubib, t’es un chef.

 

A peine est-il  sorti que les gendarmes, trempés de la tête aux pieds, entrent. Michaud vient vers moi.

 

-         Alors, rien de neuf ?

-         Non, et vous ?

-         Rien, ça ne dit absolument rien à personne. Aucune gamine étrangère recensée dans la circonscription. Par contre, il y a des taureaux dans plusieurs fermes. Pas moins d’une dizaine à trente kilomètres à la ronde. Et toi, Mathieu, une idée ?

-         Rien.

 

Je finis mon calva.

 

-         Ce qui m'intrigue, c'est qu’elle m’ait appelé, moi, précisément moi ?

-         Ben, parce que t’es toubib.

-         Non, prenez le Bottin, vous verrez. Pour les PTT, je ne suis que Pierre Cheffert, tout simplement, pas le docteur Pierre Cheffert.

-         C'est donc quelqu’un du village ou du moins quelqu'un qui connaît une  famille du village.

-         Si vous l'aviez rencontré à Paris ?

-         Peut-être. Cela ne nous avance guère.

-         Elle est forcément dans une ferme.

-         Brigadiers, il faut faire vite. Voilà maintenant près d'une heure qu'elle m'a appelé.

-         Il faut se rendre dans toutes les fermes où il y a un taureau. C’est la seule solution. Y a-t-il des volontaires ?

 

 Tous les hommes du bistrot se lèvent.

 

-         Bon, prenez vos voitures. Vous quatre, faites le nord, passé Lessay, jusqu’à la «carbonnerie ». Prenez cette carte. Vous avez cinq fermes à visiter. Au sud, jusqu’à Gouville, il y a ces trois là à voir. C’est pour vous deux. Nous, on remonte à l’est, jusqu'à la Touristique, on fait les autres. N’hésitez pas à questionner les gens. Ils auront peut-être remarqué quelque chose ! Vous, toubib, restez ici et tenez-vous prêt. Si on la repère, on vous appelle."

 

Ils sont tous sortis dans le froid.

 

Je suis resté seul avec deux vieux pécheurs qui jouent aux  dominos. La patronne est descendue en robe de chambre. Elle s’affaire derrière le bar, remuant des bouteilles, lavant des verres déjà propres.

 

A mesure que la marée monte, la tempête enfle et se gonfle de bruit et de fureur. Derrière les vitres, la nuit se sature de sel et de vent.

 

Ma longue  attente commence. De quart d’heure en quart d’heure, le téléphone sonne.

 

-         Rien à la «Lucasserie».

-         Rien «à la Paperie».

-         Rien »au Château Blanc»... On continue.

 

19 heures, 19 heures 15, 19 heures 30...

 

Mille fois, je repasse dans mon esprit le film de la communication téléphonique. Combien de temps cela a-t-il duré ? 30, 40 secondes... Je cherche, je cherche désespérément le détail, le petit détail. Mais rien, rien, aucun bruit en arrière fond. Pas de sirène, pas de musique. Rien que la petite voix faible, rien que ce " j'ai mal " et ce taureau étrange, énigmatique.

 

20 heures 10. Il rentre tous, bredouilles. Michaud est sombre.

 

-         Désolé, toubib, rien. On a tout ratissé. On a même été aux abattoirs de Lessay. Personne n'a rien vu.

 

Les hommes sont abattus et découragés. Ils se sont assis, fatigués et boivent du calva pour se réchauffer. Le brigadier réagit :

 

-         Bon, on va continuer. Il faut élargir les recherches. On a déjà averti les brigades voisines. On va lancer l'alerte sur tout le département. Allez, secouez-vous les gars ! La nuit va être longue. Vous, toubib, vous rentrez chez vous. On vous alerte dès qu'on a quelque chose.

 

C’est en sortant, au moment de prendre ma voiture que j'ai vu la cabine téléphonique devant l’arrêt du car. Le «bip-bip» ! Une cabine, elle appelait d’une cabine ! Ca a coupé brusquement parce qu'elle n'avait plus de pièce. Je rentre à toute volée dans le café.

 

- il y a combien de cabines téléphoniques dans le coin, les gars ?

- Quatre ou cinq, pourquoi ?

- la petite, je suis sur qu'elle appelait d'une cabine.

 

Un des petits vieux lève la tête de ses dominos.

 

-         La cabine de la Pointe, pour les touristes.

-         Quelle pointe ?

-         Celle du «Becquet », pour sur !

-         Quoi, pépère, la cabine du Becquet ? Y’a pas de ferme, là-bas !

-         Je sais bien, gamin, qu’y a pas de ferme là-haut. J’allais y sauter les donzelles, avant même que ton grand-père ait son premier pantalon.

-         Calmes toi, pépère, calmes toi. On sait bien que tu sais bien qu'il y a pas de ferme.

-         Non, jamais. Jamais eu de ferme au « Becquet», sacré nom ! Y a une épave de chalutier, elle est plantée hors d’eau, au bout de la plage. Tu t’souviens, Marcel, c'était en 53 ! Quelle tempête ! Crénom !

-         Ah ouais, vain Dieu, çà oui, je m’rappelle. Ç’avait soufflé, ce jour là.

-         Même que c’est com’ça qu’le bateau a été précipité sur les bancs. C’est pas pour rien qu’ici, on s’appelle la côte de la déroute…

-         Et le toit de l’église de Créance, Tu t’rappelles, y s'était r’trouvés dans le jardin de l’Alphonse. Même que la femme de l'Alphonse, l’Amélie, tu te souviens, crénom, quelle belle salope, l’est partie en jupons chez le curé gueuler, mais gueuler ! On a soif, la patronne ! Un gloria, sacré nom, un gloria !

-         Mais, nom de Dieu, pépère, La tempête, l’épave, et alors !

-         Ben, le chalutier, l’était espagnol.

-         Oui, même qu'on comprenait rien à ce que disaient les marins qu’on avait tiré de c’t sale passe.

-         Rien du tout, ça, t’as bien raison, gars.

-         Et alors ?

-         Son nom, au chalutier, tu t’rappelles pas son nom,... C'était " Santa maria d'el toro ".

-         Nom de Dieu, c'est là-bas ! Vite ! ...

 

 

  L;IROKOI 2008

Partager cet article
Repost0