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13 avril 2008 7 13 /04 /avril /2008 00:00

la route pour aller à la Pointe, défoncée, ravinée par le vent et par l’eau, est épouvantable à partir du Haut-dy. Je débouche le premier sur l’éperon de sable. La cabine est là, vide. Le combiné pend, décroché de la fourchette.

 

Le vent hurle. Il tape les rochers avant d'aller cavaler dans la lande. La mer remonte. Sa grosse  voix résonne du fond de la nuit. Il fait froid. Le coin est désert. Aucune maison, aucune cabane, aucun abri alentour. L’estafette des gendarmes arrive enfin. Il faut hurler pour s'entendre entre les rafales.

 

-         Il n’y a personne.

-         Ou peut elle être ?

-         Avec ce froid et ce vent, elle a du chercher un abri quelque part.

-         L’épave, ou est l’épave ?

-         Au bout, là-bas, sur la plage.

 

Ce ne sont que quelques planches pourries dont certaines sont recroquevillées en ergots  vers le ciel. Sur le côté, une pancarte de bois, pendue à une chaîne, se balance presque ironique " S…MAR…D'EL TORO »

 

C'est un bien maigre refuge mais il abrite bien quelqu’un.

 

-         c'est une japonaise…

-         non, c'est une chinoise…ou une coréenne à la rigueur… 

 

Le gendarme Mongin a fait cinq ans dans la Légion en Extrême-Orient. Ce qui est sur, c'est qu’elle est très jeune. Douze, treize ans, pas plus. Elle n’est ni blessée, ni malade. Elle est simplement en train d'accoucher.

 

-         N’ai pas peur, je suis le médecin que tu as appelé. Je vais t’aider.

 

Elle me regarde sans répondre. J’essaie en anglais. Aucune réaction. Mongin, l’homme de la Légion, essais à son tour en chinois. Rien. Elle ne comprend pas.

 

Rapidement, je l’examine. Elle est faible, sa tension est basse. Le travail est largement commencé. Elle a perdu les eaux. Elle est intransportable. Les contractions sont fréquentes et le bébé est bien engagé. J’ai du faire la grimace car Michaud me demande :

 

-         Problème ?

-         Oui, plutôt. Il va falloir que je l’accouche sur place.

 

C’est à son tour de faire la grimace. Il me demande :

 

-         Vous la connaissez ?

-         Jamais vu ! Regardez, ses pieds sont en sang ! Elle doit venir de loin.

 

Elle a gémi faiblement. Je crois que c’est la présence des quatre gendarmes et des pêcheurs qui nous ont rejoints qui la gène.

 

-         Bon, c'est pas tout ça. Il faut des bâches pour nous abriter du vent. Amenez toute la lumière que vous pourrez trouver. Monsieur le maire, dans mon coffre, il y a deux valises noires, un jerrycan d’eau douce et un gaz butane. Pourriez-vous me les apporter ?

-         Du Butane ?

-         Oui, pour l'eau chaude !  Vous ne voulez pas qu'elle s’enrhume en plus, non ? Mongin, demandez une ambulance par radio. Elle risque d'en avoir besoin. Elle ou  son enfant, d'ailleurs. Brigadier, vous m’assisterez. Autrement, tout le monde dehors, elle va avoir besoin de respirer.

 

 

 

Il est un peu plus de 21 heures. Une des plus longues nuits de ma vie vient de commencer. J'ai deux ennemis à combattre en même temps : le froid qui se glisse sous les bâches tendues à bout de bras par deux des pêcheurs et le temps qui passe ou plutôt qui est passé depuis qu’elle m’a appelé. La petite est en douleur depuis au moins quatre heures. Pourtant, à l'examen, l'enfant semble se porter à merveille. Il faut dire que le travail est lent. Je lui fais une piqûre pour l’aider. La gamine ne dit rien. Une simple grimace lorsque la contraction est trop forte. La plupart du temps, son visage est d’une sérénité impressionnante. Elle attend. Elle n’a manifesté aucune émotion en nous voyant arriver, un peu comme si elle nous attendait. Des deux, c’est moi le plus impressionné.

 

 

Je sors quelques instant allumer ma pipe pour me réchauffer les doigts. Le tableau est un peu surréaliste. Il faut voir ces gros bonhommes de  gendarmes en uniforme, tapant la semelle et ces énormes pêcheurs en bleu de travail ou en ciré obéir à un petit toubib qui souffle sa fumée mêlée de buée blanche dans le froid. Les uns consolident les bâches, d’autres abritent le butane du vent. Michaud est resté près d’elle. Il la rassure de sa grosse voix qu’elle ne comprend sûrement pas. Qu’importe, il a le ton d’un père qui parle à sa fille.

 

Une sale nouvelle arrive par la radio. La «touristique » est coupée à dix kilomètres d’ici. Il y a cinquante centimètres d’eau à la hauteur de la Maresquière. L'ambulance de Coutances ne peut pas passer. On aura tout eu ce soir.

 


 

21 heures 40. Ça y est ! Le bébé se décide. J’aperçois le sommet de son crâne. Les contractions sont de plus en plus rapprochés. Je fais signe à la petite de pousser. Il arrive ! .. Allez, encore un effort. La gamine a crié. Ca y est, je tiens enfin le bébé tout dégoûtant. C’est un garçon. Il crachouille quelques bulles, je lui tape sur les fesses et, d’un seul coup, il couvre le vent et les vagues de son premier cri.

 

J'accomplis presque automatiquement les gestes rituels : Le cordon ombilical, une toilette sommaire et je le mets dans les bras de sa mère qui me dit quelque chose en souriant. Je m’occupe d’elle du mieux que je peux. Elle ne s’est même pas déchirée. Je m’assure qu’elle ne fait pas d’hémorragie et je les recouvre tous les deux avec toutes les couvertures disponibles.

 

 

 

 

Je sors rejoindre Michaud qui m’a précédé pour annoncer aux gars restés dehors que c’était un garçon. Tous m’entourent. On me tend une bouteille de gnole dont j’avale une grande lampée.

 

Un à un, rois mages bourrus, ils sont entrés pour regarder le bébé. Même Mongin, le vieux dur à cuir est ému. Il n’a qu’un mot : il est beau.

 

Et c'est vrai qu'il est beau. Sa petite frimousse, couleur de miel, est éclairée par un regard bleu clair sous des cheveux tout  noirs.

 

-         Bon, les gars, c’est pas tout ça… quelle heure est-il ?

-         23 heures.

-         Disons qu’il est né à 22 heures 45, le 23 décembre. Pour les nom et prénom, on verra demain à l’état civil. L'hôpital ? Toujours impossible ?

-         Toujours. La route s'est effondrée sur près de 200 m. L’armée voulait envoyer un véhicule tout terrain ; Il est au garage depuis trois jours…

-         Bon ! On va continuer à se débrouiller seuls. Il y a toujours une civière dans l’estafette ?

-         Oui.

-         On va la transporter  chez moi. Ce n'est pas l’hôpital mais c'est déjà mieux que rien. L'enfant, brigadier, je vous le confie, vous le prendrez dans vos bras. Je ferai descendre ma voiture le plus près possible. Monsieur le Maire, puis-je vous demander de nous précéder au village et de réveiller la vieille Blanche qui a été infirmière. Qu’elle change les draps de la chambre d’ami et qu’elle improvise un berceau. Elle trouvera bien quelques vêtements pour l’enfant, elle doit avoir cela chez elle, sa fille vient d’accoucher, et une chemise ou une robe de chambre pour la petite. Maintenant, ce qui leur faut avant tout, c’est de la chaleur.

 

 


Les choses ont été faites en grand à la maison. Un feu, magnifique, brûle dans la cheminée.  Le lit et le berceau sont prêts. Il y a même des fleurs sur la table de chevet et un nounours dort déjà dans le petit lit. Je n'ai pas été oubliée. Sur la table de cuisine, un repas froid m’attend avec une bonne bouteille.

 

Tout de suite, la vieille Blanche s’occupe de la petite toujours muette.

Pendant ce temps, j’ai pris l’enfant dans mon cabinet pour l’ausculter mieux que je ne l’ai fait sur la plage. Tout est normal.

 

Lorsque je le ramène à sa maman, elle dort profondément, la tête abandonnée sur l’oreiller. Blanche me confirme que la maman se porte également le mieux possible. Nous préparons un petit biberon d’eau sucrée que le vorace avale d’un seul coup et nous le couchons. Lui aussi  s’endort comme un ange.

 

Je suis fatigué. Je mange rapidement. Enfin, je peux me jeter sur mon canapé. Je n’ai même pas entendu Blanche partir.

 

 

 

Il n'est pas  huit  heures du matin lorsque que je me réveille. On frappe à ma porte. Michaud et Mongin sont là avec l’ambulancier qui est enfin arrivé.

 

- Alors, toubib, on dort encore ?

- Comment va bébé ? Tenez, ma femme a préparé cela.

 

 Il exhibe fièrement un panier plein de biberons.

 

- Et ça, c'est pour vous !

 

Dans le fond du panier, caché sous un torchon, il y a deux bouteilles de calva.

 

- Ne restez pas dehors, vous allez prendre froid.

 

Avec des précautions presque ridicules pour ne pas faire de bruit, Ils entrent. Je vais leur ouvrir la porte de la chambre.

 

La chambre est vide. La gamine et le bébé ont disparu. Le lit est fait. Dessus, elle a plié la robe de chambre que Blanche lui avait amené. Seul témoin de leur passage, un morceau de papier tout froissé sur lequel a été griffonné

«  Mercy ».


 

 

Voilà plus de dix ans que cette aventure est arrivée. Jamais personne n'a su qui était cette petite asiatique, d’où elle venait, ni ce qu’elle est devenue. Les gendarmes enquêtèrent en pure perte. Personne ne l’a vu sortir du village. Personne ne s’est rappelé l’avoir aperçu dans une des villes avoisinantes ou sur la route. Elle s’est volatilisé avec son bébé, par une froide matinée de décembre, nue pied, vêtue d’une simple robe tachée de sang. Que fuyait-elle : la police ? La justice ? Voulait-elle à tout prix rejoindre quelqu’un ou au contraire fuir un frère ou un père n’acceptant pas cette maternité nécessairement clandestine. Ce mystère ne fut jamais éclairci. Seuls deux points du voile furent levés :

 

Michaud contacta tous les ports de la région. Il apprit que dans la soirée du 20 décembre, un navire de la Marine Nationale avait accosté Au Havre, à plus de 200 kilomètres d'ici. Près de 500 réfugiés coréens se trouvaient à bord dans le cadre d'une évacuation humanitaire en transit pour la Suède. Toutefois, le capitaine a déclaré qu’aucun réfugié n’avait disparu de son bord.

 

 

En février de la même année, je suis allé rendre visite à une vieille tante qui habite à Dieppe. J'étais parti en train et j'ai raté la correspondance. Au Havre, j'avais près de 4 heures à tuer. Mes pas me portèrent instinctivement vers le port. Sur l'un des murs de la capitainerie, il y avait une énorme pancarte jaune : « docks réunis : tel: 59 21 21 56 ».

 


C'était exactement mon numéro de téléphone inversé : 56 21 21 59.

 

 

 

Au mois d'août suivant, j'ai rencontré Jane, une jeune touriste britannique qui s'était tordu la cheville. Elle n'est pas repartie le 3 septembre comme prévu. Elle m'a épousé. Nous avons deux enfants : Thomas qui aura dix ans dans deux mois, au mois d’août et Samantha, le petit diable blond qui a sept ans et plein de taches de rousseur. J'ai fait construire une grande maison blanche, juste au-dessus de la Pointe, en surplomb de la mer, celle que vous apercevez d'ici. Tous les matins, en ouvrant les volets, la première chose que je vois, c'est l’épave du chalutier espagnol. Sur la porte du jardin, j'ai vissé une plaque dorée baptisant la maison «El Toro ».

 

Lorsqu’un touriste, désignant ma maison du doigt, demande à l’un des pêcheurs du coin, pourquoi un tel nom, le gars, finaud, plisse les yeux et baisse la voix :

 

-         Crédieu, c'est que c’est toute une histoire…. Si vous avez deux minutes..."

 

Et il entraîne le badaud par le bras jusqu'au bistrot de la plage.

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 16:14
En ce temps là, la Normandie appartenait au Royaume d'Angleterre. Cela n'était, du reste, qu'une façon de parler, surtout sur la côte de la Déroute, entre la baie d'Avranches et le cap de La Hague. Car, si l'oiseau, virevoltant dans le vent, se moquait de savoir qui régnait sur l'estran, l'âne, tirant deux fois par jour, sur grève et lande, la charrette du goémonier, se souciait peu du monarque dominant les dunes qu'il traversait.

 

Il en allait de même pour les gens. Le pêcheur à pied qui partait dans l'aube froide ne reconnaissait qu'une seule autorité : La marée qui rythmait et sa vie et sa marche, et ses rêves et ses pensées.

 

Oui, ce pays de sable et de sel n'appartenait en fait à personne, sauf, peut-être, à la mer et au vent. La lande qui entourait le bourg de Créances avait le goût acide et la lumière à la fois crue et diluée de cette liberté. Où étaient les limites ? Quelle était la frontière? La mer s'arrêtait là où elle le voulait, puis s'en retournait, laissant d'immenses flaques où se mêlait au lilas de la bruyère, le corail du crépuscule. La mouette aux ailes piquées d'ardoise et de craie planait vers l'horizon, plongeait brusquement dans la vague, puis revenait avec un poisson de cuivre dans son bec d'étain. Au soir, elle s'envolait vers les nuages de l'Orient qu'elle prenait pour une citadelle livide, ultime caravansérail avant la nuit.

 

Rares étaient les voyageurs dans ce pays. Un moine remontant de Coutances pour retrouver son monastère vers Carteret, un marin allant embrasser ses parents avant d'embarquer sur un trois-mâts dans la lointaine Bretagne, un paysan, un colporteur égaré. Ils marchaient tous très vite, traversant la beauté et le mystère sans même les reconnaître.

 

Car il y avait de la magie en ces lieux. Lorsque la brume blêmissait le couchant, il s'érigeait des cités, des cathédrales et des calvaires en chair de rêve, en pierre de songe. S'agitaient les spectres, s'animaient les rumeurs, revivaient les légendes. Ce chien poursuivant une femme sur la lande était-il au cauchemar ? Ce prêtre errant sur la plage à la recherche de la Croix était-il à la vie ? Ces trois chevaliers noirs qui arrivaient de l'Est, lentement, étaient-ils au mirage ?

 

- Non, là, réellement, tu exagères, Blondel ! Tu es d'une épouvantable

mauvaise foi !

 

- Mais, Sire...

 

- Enfin quoi, James, vous êtes témoin ? A ce foutu carrefour, c'est bien lui qui

nous a fait prendre à gauche !

 

- oui, Sire, mais il y avait deux routes sur la gauche.

 

- Et alors ? C'est lui qui a demandé le chemin aux paysans, non?

- Ils n'ont rien précisé, Sire, simplement «prendre à gauche ».

 

- Ce n'est pas cela que je te reproche, Blondel. C’est ta mauvaise foi ! Tiens, c'est exactement comme hier soir, à la taverne.

 

- Mais, Sire…

 

- Oh, et puis arrête de bêler ! Dépêchons-nous plutôt ! Ca va bientôt être la nuit et je vous préviens, je ne dormirais pas dehors cette nuit. Que proposes-tu, Blondel ?

 

- Et bien, Sire...

 

- Ouais ! Tu ne proposes rien, quoi, comme d’habitude… Mais, enfin, comment as-tu fait pour me retrouver chez le Margrave, en plein cœur de l'Autriche ? C'était tout de même plus difficile que de rentrer tout bêtement chez nous, non ? Et vous, James, une idée?

 

- Continuer, Sire, continuer. Nous finirons bien par trouver la mer.

 

- On sera bien avancé ! C’est le port qui m’intéresse, moi ! Je vous rappelle, mes enfants, que j’ai un bateau à prendre et que je suis attendu en Angleterre. Je ne me promène pas, moi. Je ne suis pas un poète comme Messire Blondel, moi !

 

- On demandera, Sire !

 

- A qui ? Vous avez vu ce pays? Il n'y a que des corbeaux !

 

- Des mouettes, Sire, ce sont des mouettes.

 

- Raison de plus ! Ces animaux sont stupides. Il faut être nécessairement stupide pour vivre dans une telle contrée.

 

- C'est aussi votre royaume, Sire.

 

- S'il n'en tenait qu'à moi !... Allons, pressons le pas. Tenez, qu'est-ce que je disais ! Regardez à l'est, c'est déjà la nuit.

 

Il mit sa monture au trot et devança ses compagnons.

 

- Et bien ! Il n'est pas de bonne humeur, aujourd'hui !

 

- Que veux-tu, Blondel ! Toutes les fois où Richard quitte une dame, c'est la même chose. Il est d'une humeur de dogue pendant presque une semaine.

 

- Et comme il en quitte souvent ! ... Au moins, elle était mignonne la petite autrichienne ?

 

- Plus que cela, Blondel, Plus que cela. Pressons-nous, il va encore grogner.

 

Les trois chevaliers étaient de nouveau sur le même front. Seul le Baron James portait une cotte d'acier. Blondel et Richard avaient le même habit noir, anonyme. Leur visage se dissimulait sous des heaumes, noirs également, dont la visière restait fermée. Leurs armes, leur écu n'étaient frappés d'aucune couleur, d'aucun blason.

 

La nuit s'alourdissait de brume. Les chevaux trébuchaient de plus en plus souvent. Richard arrêta sa monture d'un geste de mauvaise humeur.

 

- On va finir par se rompre le cou. James, montez donc voir sur cette éminence grise.

 

Le Baron s'éloigna en murmurant.

 

- Très drôle, Sire, très drôle.

 

- Qu'est-ce que j'ai dit de si drôle, Blondel ?

 

- je ne sais pas, Sire, je ne sais pas.  Le Baron doit vieillir !

 

James inspecta l'horizon puis redescendit.

 

- Rien, Sire, rien au loin.

 

- Tu es sûr, Baron ?… Ecoutez tous les deux !

 

- Quoi, Sire ?

 

- Le ressac, là, un peu sur la droite. La mer est toute proche. En route !

 

Et les trois chevaliers repartirent dans la nuit. Soudain, Richard se dressa

sur ses étriers.

 

- Là-bas ! Une lumière ! Il y a une maison, là, juste sous l'étoile. Blondel a raison, Baron. Tu vieillis. Ta vue baisse.

 

A nouveau, Richard les devança.

 

- Tu lui as dit que je vieillissais ?

 

- Mais non, James, mais non. Il aura mal compris

 

- Tout de même ! C'est pas des choses à dire au Roi!

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 16:12
Ils trouvèrent en même temps le rivage et la maison. Elle était très basse,

plantée entre deux dunes, face à la mer. De la lumière brillait derrière le volet d'une fenêtre qui donnait sur la lande.

 

- Baron, allez demander l'hospitalité pour la nuit.

 

James descendit de cheval et alla frapper à la porte. Rien ne bougea dans la maison. Puis une fenêtre s'entrebâilla. Richard et Blondel voyaient le baron parler en faisant de grands gestes, mais ils ne pouvaient pas entendre ce qui se disait. Enfin, James revint vers ses compagnons.

 

- Que se passe-t-il, Baron ?

 

- Un problème, Sire.

 

- Un problème ?  Il n'y a pas de problème, Baron, rien que des solutions, et d'une ! Arrêtez de m'appeler « Sire », idiot, vous allez me faire repérer, et de deux! Alors, qu’y’a-t-il ? 
 
 

- C’est une femme, sire.

 

- Une femme ?  Je vous demande pardon, Baron, j'ai été injuste.

 

- Injuste, Sire ?

 

- oui, injuste. Une femme est toujours un problème.

 

- Elle ne veut pas que trois hommes entrent chez elle, surtout la nuit. Elle est seule.

 

- Belle ?

 

- Pardon, Sire ?

 

- Oui, la femme…Elle est belle ?

 

- Oh, Sire ! A mon âge...

 

- Justement, Baron, justement ; l'expérience de l'âge est primordiale dans ce domaine.

 

- Très belle, Sire !

Richard soupira.

 

- Bon. J'y vais !

 

Il descendit de cheval, enleva son heaume et, à son tour, s'approcha de la maison.

 

- Baron !

 

- Oui, Blondel ?

 

- Tu sais pourquoi lui est roi et pas toi ?

 

- Ma foi...

 

- Parce que lui, quand il va voir une dame, il ne garde pas son heaume sur la tête !

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 16:10
Richard frappa. Il entendit un frôlement derrière la porte.

 

- Alors, la belle ! Tu...

 

Il se figea. Dans la lumière précieuse du feu de bois, la jeune femme était devant lui et le regardait. Le saphir flambait dans ses yeux, ses yeux d'étoiles semées, de métal, d'or bleu. Le vent mêlait, dans ses cheveux, l'ombre de l'ébène à la braise du blé.

 

- Messire ?

 

Sa voix, mésange de cristal, se posa sur ses doigts et éclaira sur son visage le nuage d'une source, l'énigme d'un miroir. Elle était belle. Son corps était soleil, forêt et verger, fleuve en fusion et glacier dans le soir. Sa majesté naissait de sa tendresse et sa tendresse de sa beauté.

 

- Messire ?

 

Elle aussi l'admirait. Le visage tanné de ce géant barbu au poil si noir s'illuminait d'un regard clair, intense... et stupéfait. Etait-il beau ? Ce n'était même pas la question pour l'instant. Une tempête cognait dans sa poitrine. Une tempête se déchaînait au plus profond de son ventre, une tempête plus forte encore que celles qui secouaient sa maison à l'automne. C'était doux et acide, sauvage et tendre, douloureux, admirable, magique et mystérieux, indomptable comme toutes les tempêtes.

Richard sortit de sa fascination.

 

- Madame, veuillez me pardonner. Nous nous sommes égarés et le baron... enfin... mon ami... oui, voilà, mon ami James m'a dit que vous ne souhaitiez pas...

 

- Votre ami aura mal compris, Messire...

 

- Cela ne m'étonne pas, Madame ; le pauvre vieillit depuis quelques temps !

 

- Non, c'est moi, sûrement, qui me sera mal fait comprendre. Je lui ai dit que ma maison était trop petite pour accueillir trois personnes à la fois. Mais, si deux d'entre vous pouvaient loger avec les chevaux dans l'écurie, vous ... enfin, le troisième pourrait dormir sur un lit de fortune que je dresserai dans la grande salle, près du feu.

 

Richard, sous le charme de sa voix, réagit encore avec quelques instants de retard.

 

- Madame, nous ne saurions vous déranger.

 

- Ce n'est point dérangement, Messire. Mon père prenait l'hospitalité pour la plus haute et la première des vertus ; je ne pourrai déroger à ce principe sans trahir sa mémoire.

 

- En ce cas, Madame...

 

Une rafale de vent fit claquer un volet sur le côté de la maison.

 

- Si nous entrions, Messire, nous risquons de prendre froid, ici.

 

Richard pénétra dans la grande salle. La porte fut refermée. Ils se regardèrent sans mot dire.

 

 

 

 

 

Dans la nuit noire, Blondel et James avaient vu la porte se fermer.

 

- Et bien ? Et nous ?

 

- Le roi est dans la place, Baron, et lorsqu'il investit une forteresse, même les Arabes s'y cassent les dents !

 

La porte se rouvrit. Richard leur fit signe d'approcher.

 

- Vous dormirez avec les chevaux, dans l'écurie. Prenez ce jambon et ce cidre. Bonne nuit. A demain.

 

- Bonne nuit, Sire.

 

Richard fit une grimace en faisant un geste de la main.

 

- Non, pas Sire, idiot, pas Sire

 

Puis, plus haut.

 

- C'est ça, c'est ça, bonne nuit, mes amis.

 

Déjà le roi s'en retournait.

 

- Richard !

 

- Quoi, Blondel ?

 

- Tu lui as demandé où était le port ?

 

- Le port ? Quel port ? ... Ah oui… Non… On verra cela demain.

 

- Bonne nuit Richard.

 

- C'est ça, bonne nuit, Blondel.

 

La porte se referma sur lui.

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 16:07
La jeune femme lui avait servi à manger. Richard la pria de s'asseoir en face de lui.

 

- Puis-je vous demander votre nom, Madame ?

 

- Geneviève, Messire.  Mon père était Ludovic le marin.

 

- Je m'appelle Ri... Robert... oui, voilà... Robert.

 

- Et que faites-vous dans notre pays perdu ?

 

- Ce que je fais ? .. Ce que je fais ? .. Je vous cherchais.

 

- Moi, Messire ? Mais personne ne me connaît.

 

- Non, en fait... Je suis marchand

 

- Ah ! Marchand.

 

- Oui, mais attention, je suis un gros marchand, le plus gros des marchands... Un peu le roi des marchands.

 

- Et que vendez-vous, Messire ?

 

- Ce que je vends ? ... Ce que je vends ? Oh la ! ... Et bien, je vends... je vends des diamants.

 

- Des diamants ?

 

- oui, des bijoux qui ressemblent à vos yeux.

 

- Je n'ai jamais vu de diamants. Ce doit être très beau !

 

- Très beau, en effet.

 

- Plus beau que la lumière de l'aube qui déferle sur les lames, l'hiver ?

 

- Moins beau, sûrement.

 

- Vous pourriez m'en montrer un ?

 

- C'est que... C'est que je n'en ai plus sur moi. J'ai tout vendu à un bourgeois de Coutances.

 

- Il y a des bourgeois si riches que cela à Coutances ?

 

- Oui, sûrement. C'est en remontant vers le port, vers le bateau qui doit me ramener en Angleterre, que je me suis perdu.

 

- Ah, vous êtes Anglais ?

 

- Par mon père, seulement par mon père. Ma mère était Suédoise.

 

- Tiens, c'est étrange ! Ma mère aussi était Suédoise. Mon père l'avait rencontrée au cours d'un de ses voyages. Je vous aurais cru soldat, chevalier plutôt !

 

- Oh, mais j'ai été chevalier... il y a longtemps... il y a… un an.

 

- je croyais que l'on restait chevalier toute sa vie.

 

- Oui, je suis chevalier et marchand. Surtout chevalier, d'ailleurs... C'est un état d'esprit.

 

- Ce doit être exaltant, non ?

 

- Exaltant ! Enivrant, voulez-vous dire ? Etourdissant ! Ah ! Qui n'a pas vécu l'aube avant la bataille, n'a pas vécu ; qui n'a pas vu le camp, oriflammes claquant au vent, n'a rien vu... Et la charge, lance au poing, sur l'ennemi ; les chevaux ruisselant de soleil, de sueur et de sang... Et l'odeur du danger, ah ! l'odeur du danger...

 

- Vous en parlez avec une fougue !

 

- Et lorsque vous commandez la halte, au soir, en rase campagne, sur une terre inconnue.

 

- Commandez ? Vous étiez le chef, alors

 

- Ah ? J'ai dit « Commandez ? » ... Oui, j'étais un chef, un petit chef, un chef quoi...  un chef, un grand chef... Mais, je ne parle que de moi... Et vous, qui êtes vous, Geneviève ?

 

- Oh, mon histoire à moi est plus banale, Messire. Mon père était marin. Il a vogué sur toutes les mers. Ma mère est morte lorsque j'avais cinq ans. Mon père m'a confiée à sa sœur qui habitait Lessay, à quelques lieues d'ici.

Un jour, mon père a cessé de naviguer. Il a acheté cette maison... Cette maison, c'est comme un navire, écoutez la craquer dans le vent; On dirait qu'elle dérive sur un océan terrestre.

Toutes les nuits, mon père se levait. Il prenait son quart, comme il disait. Il surveillait la nuit terrienne. Il est mort il y deux ans. Je n'ai pas pu quitter cette maison. J'y vis seule. Ici, je n'ai besoin de rien. Je suis libre. Je dois tenir de mon père.

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 16:05
La jeune femme lui avait servi à manger. Richard la pria de s'asseoir en face de lui.

Le silence retomba dans la pièce. Ils se regardaient à nouveau comme si c'était la première fois.

 

- Vous êtes très belle, Geneviève. Vous n'avez jamais pensé à vous marier ?

 

- Ici, Messire ?

 

Elle sourit.

 

- C'est le désert, ici. Il n'y a personne.

 

- Vous me plaisez, Geneviève.

 

Elle inclina la tête.

 

- Vous aussi vous me plaisez, Robert.

 

Il lui prit la main. La table les séparait. Ils restèrent ainsi, longtemps.

 

- Il doit être tard.

 

- A la marée, il est près de minuit.

 

- La mer est votre horloge ?

 

- Oui ! Ici, la mer, c'est tout. Elle me fait manger. Elle me fait dormir. Elle me fait rêver. Elle me fait vivre. Je n'ai jamais vu d'horloge.

 

- C'est une grosse machine un peu bête, qui compte le temps.

 

- Mais, le temps ne se compte pas ! Le temps flotte de saison en saison. Il file à toute vitesse lorsqu'on est heureux. Il est lent lorsque la peine nous prend.

 

- Pourtant, Geneviève, c'est avec ces machines que les Arabes comptent leur temps. Mais vous avez raison. Sur la lande, le voyage m'a paru des siècles. Depuis que je suis ici, le temps traverse l'espace comme la foudre.

 

Elle se leva. Il l'imita.

 

- Que faites-vous ?

 

- Votre lit pour dormir, Messire.

 

Elle passa devant lui. Il lui toucha l'épaule. Geneviève s'arrêta, le regarda et brusquement, elle était dans ses bras. Ce géant un peu fou lui disait des mots inconnus, embrassait son visage, caressait ses cheveux. Elle fermait les yeux, heureuse, écoutant la tempête qui submergeait sa tête et son cœur, son ventre et sa poitrine.

 

Ils s'aimèrent.

Ils s'aimèrent toute la nuit.

Ils s'aimèrent avec leur corps, avec leurs nerfs, avec leurs rêves et leur esprit.

Ils s'aimèrent, dilatant le cosmos et l'univers. Leurs cris furent chants s'élevant en échos dans les étoiles.

Ils s'aimèrent comme deux enfants, comme deux amants, comme deux époux, et bien plus que deux époux en vingt ans de commune couche.

Ils s'aimèrent aux limites de la folie, de l'inconscience et du néant.

 

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 16:03

 

Et bientôt l'aube arriva. Ils étaient l'un près de l'autre, nus dans la nuit nimbée de la lueur extraordinaire des braises. Elle avait posé la tête sur l'épaule de Richard et caressait sa poitrine. Il respirait le parfum de ses cheveux et écoutait avec la main la tempête assagie, endormie seulement dans le ventre de la jeune femme.

 

- Je t'aime, Geneviève, tu es...

 

- Ne dis rien, Richard, pas encore.

 

- Pourquoi ne rien... Mais, pourquoi m'as tu appelé Richard ?

 

- N'est-ce pas ton nom, Sire ?

 

- Je m'appelle Robert. Que vas-tu chercher ?

 

- Tu mens, mon amour, tu mens très mal.

 

- Que dis-tu, petite diablesse ? Embrasse-moi.

 

Elle passa au-dessus de lui, entourant le sexe de son amant dans la chaleur de son ventre. Il l'a prit dans ses bras et dans ses jambes et ils s'embrassèrent à perdre haleine.

 

- Peu importe que tu sois roi ou marchand pour l'instant.

 

- Et même si j'étais roi, qu'est-ce que ça changerait ?

 

- Tout et rien, Richard. Je suis discrète, tu sais ?

 

- Ca dépend des moments.

 

Il l’a regarda en souriant.

 

- Comment as-tu deviné ?

 

- Que tu étais roi ?

 

- Oui.

 

- Si je te le disais, tu te fâcherais.

 

- Dis-le-moi tout de même !

 

- Non, Richard ! Tu as déjà vu une femme livrer ses secrets ?

 

- On doit tout dire au roi.

- Mais rien à son amant.

 

- Tu as raison, Geneviève. Ne dis rien.

 

- Je l'ai lu dans les lignes de ta main. Tais-toi maintenant, aime-moi encore.

 

Il la fit basculer et recommença à escalader les étoiles avec elle.

 

 

 

 

 

Ils s'étaient endormis, mais leur sommeil était léger, si léger. Ils s'éveillèrent et s'embrassèrent dans le premier rayon du soleil

 

- Bonjour, Geneviève, je vous aime.

 

Il caressait, de ses lèvres, le visage de la jeune femme qui fermait les yeux, heureuse.

 

- Que tu es doux ! Aussi doux que le duvet des petites mouettes.

 

Il éclata de rire.

 

- Tu as de la chance. D'habitude, en campagne, ma barbe sent l'ail et le gros vin. On ne se lave pas souvent à la guerre.

 

Elle rit à son tour.

 

- Et c'est à la guerre, Majesté, qu'on vous a appris à faire l'amour ainsi ?

 

- Je t'aime, Geneviève. Tout à l'heure, je devrais partir. Viens avec moi.

 

- A celui que j'aime, je dirai "oui".  Mais au roi, je dois dire "non".

 

- Pourquoi ? Tu ne veux pas être reine ?

 

- Oh ! Reine ou paysanne, c'est la même chose ; mais tu ne peux pas m'emmener, Richard.

 

- Pourquoi ?

 

- Tu as déjà une maîtresse une vieille maîtresse que tu aimes plus que tout, plus que moi, et même plus que toi.

 

- Je te jure que...

 

- Ne te parjure pas... Tu as l'Angleterre, Richard, tu as le pouvoir. Tu as épousé la royauté depuis trop longtemps. Je ne serai pas de taille à lutter.  Une fois chez toi, ta vieille concubine remettra la patte sur toi. Oh ! Tu m'aimeras toujours, c'est certain, mais tu devras te partager et je n'aime pas le partage.

 

- Très bien, je renonce à la couronne. J'abdique.

 

- Tu m'en voudrais avant longtemps.

 

- Alors, quoi faire ?

 

- Rien… Conservons rien que pour nous cet instant hors du temps et pars . retrouver ta vieille maîtresse. Tu ne pourrais pas vivre sans elle. Laisse-moi à mon vieil amant.

 

- Tu aimes quelqu'un ? Qui ?

 

- Ce pays. J'aime mon pays autant que toi, ton pouvoir. Alors, tu vois ?

 

- Et si je restais là, avec toi ?

 

- Tu es déjà un peu fou, Richard, mais c'est alors que tu le deviendrais

complètement. Richard, goémonier ou pécheur à pied ! Le Lion au milieu des

mouettes ! Tu serais enragé avant la fin de l'hiver. Non, Richard, tu es roi.

Repars vivre ta vie de roi...

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 16:01

 

Le jour était tout à fait levé. Richard parla longtemps à Geneviève. Mais, rien n'y fit. Au fond de lui, inconsciemment, il savait qu'elle avait raison. Leurs destins étaient écrits dans deux livres différents.

 

Ils auraient au moins voulu arrêter le temps. Mais là non plus ils n’y arrivèrent pas. Bientôt, on frappa à la porte.

 

- Ce sont tes amis, Richard

 

- Ne leur ouvre pas, pas tout de suite.

 

- Il le faudra, Richard.

 

- Je sais, mais pas tout de suite.  Je peux prendre un bateau plus tard. Ils

partiront devant moi.

 

- Tu fais l'enfant.

- Si tu ouvres la porte, le temps va se remettre à tourner et nous serons séparés.

 

- C'est le rôle du temps de séparer les gens qui s'aiment. Pars, Richard, va-t-en. Ne fais pas attendre l'Angleterre.

 

- Tu ne veux réellement pas venir avec moi ?

 

- Et mon amant ?

 

- Quelques dunes de sable !

 

- Non, Richard, la liberté, la liberté, Richard

 

- Je t'aime, Geneviève.

 

- Je t'aime, Richard.

 

Et il s'habilla la mort dans l'âme. Il reprit la jeune femme dans ses bras, s'imprégna du parfum de ses cheveux, se chauffa au bûcher de ses yeux et l'embrassa une dernière fois.

 

Il ouvrit la porte et, le sortilège levé, le temps reprit son éternelle chevauchée.

 

 

 

 

 

Richard chevauchait devant ses amis. Il ne disait rien. Il gardait et regardait Geneviève dans son cœur.

 

Il la garda jusqu'au seuil du 13ème siècle, jusqu'au jour où l’attendait un autre rendez-vous, devant un château sombre et hostile.

 

Geneviève était assise à la place où elle se trouvait lorsque Richard mangeait la veille. Elle le gardait et le regardait dans son cœur.

 

Elle le garda jusqu'au seuil du 13ème siècle, jusqu'au jour où l’attendait un autre rendez-vous, devant la mer sombre et hostile.

 

 

 

 

 

 

 

 

SYNDICAT D'INITIATIVE DE CREANCES (50)

 

 

Visite de la maison du Lion (XIIIéme siècle)

 

 

Tous les jours de 10 heures à 16 heures, du 1.6 au 30.9.

Les mercredis et samedis de 10 heures à 14 heures du 1.10 au 31.5

 

TARIFS      Adulte - 5,00 F

 

Enfants -(-7ans) - 2,50 F

 

(Prix spéciaux pour groupes et scolaires)

 

 

 

Cette maison, située dans un cadre exceptionnel, a été bâtie à la fin du 12ème siècle.

Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre, y passa une nuit à son retour de croisade.

 

 

(Meubles d'époque- Vente d'objets artisanaux- Cidre de pays- Produits de la ferme.)

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23 février 2008 6 23 /02 /février /2008 12:20
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CHAPITRE 1











Depuis le matin, il se bagarrait contre le vent.
 
Dans ce pays sans route ni borne, il s’était presque sûrement perdu. Aucun hameau, aucune ferme sur le moutonnement de la lande. Il lui fallait marcher, marcher encore, ne serait-ce que pour éviter d’avoir les pieds gelés. Il ne neigeait pas. Il ne pleuvait pas, mais tout était gris : le marécage, le sentier qui filait droit sur l’horizon, le ciel et même le vent semblaient gris.
 
Bert n’avait pas d’âge ou plutôt il avait l’âge de tous ceux qui ont compris qu’après la ligne d’horizon il y a, loin derrière, une autre ligne d’horizon et qu’en fin de compte le monde est désespérément clos. Avait-il faim ? Etait-il pauvre dans ce pays sans grenier ni moulin ? Peut-être ? Pour l’heure, Bert n’était qu’un homme marchant au milieu de la plaine, cherchant une ville pour s’abriter avant la nuit.
 
 
 
Ce ne fut pas la ville qu’il trouva, mais l’océan qui donnait de la voix depuis le fond de l’univers et avec l’océan il trouva la pluie, une pluie glacée qui, à grands traits, amenait la nuit dans le ciel.
 
Le rivage était un arc immense. Au centre de la corde incertaine de l’horizon, une île très fine, très haute, effilochait dans la brume, les flèches d’une abbaye.
Plus bas, le long de la grève, en face de l’île, une ville, enfin, se repliait dans ses murailles, entre les dunes et les rochers.
 
Secoué d’un grand frisson, Bert se remit à marcher.
 
 
 
Lorsqu’il arriva sous les murailles, l’eau ressemblait au pelage d’une grande bête malade. De larges tâches rouges marquaient l’ombre jetée par l’île. Il s’arrêta, la tête pleine de la rumeur des vagues. C’était étrange. La ville ignorait superbement l’océan. Elle n’offrait au rivage que l’opacité de son dos. Ni barque, ni voilier sur la plage. Si près de l’eau, ce n’était pas un port mais une forteresse surveillant un marais mort. Il longea la citadelle et trouva enfin une porte grande ouverte, béante sur la plaine, sans garde, sans guet.
Alors, son étonnement fit place à la peur, à cette petite peur chuchotant insidieusement à l’âme avant que ne se déclare l’irrémédiable. Il s’engagea sous le porche et le vent fit place à l’humidité et au silence.
 
La salle des gardes était vide.
 
Trois ruelles partaient en étoile de la poterne. Deux longeaient la muraille de chaque côté et devaient faire le tour de la ville. La troisième, celle qu’il emprunta, montait, sinueuse vers la cathédrale. Il traversa la ville basse. Toute la cité le dominait dans le silence. Il essaya d’entrer dans une taverne. Il frappa à la porte, appela, mais rien ne bougea. Alors, il repris la ruelle, grimpant entre les échoppes basses et les maisons bancales qui se penchaient comme de vieilles commères à leur fenêtre. Il passa devant une chapelle. Il n’en restait presque rien. Le toit à demi effondré tendait au ciel ses poutres noircies par un incendie. Il s’arrêta quelques secondes pour souffler. Au loin, l’île sombrait dans l’obscurité. La nuit était là. Alors, il continua de monter dans un silence d’où étrangement, le vent restait absent.
 
 
 
Bert arriva enfin devant la cathédrale. La ville était à ses pieds, déserte. Aucune fumée ne s’accrochait aux toits ; aucun chien ne fouillait les ordures ; aucun linge ne pendait entre les maisons. Personne. La guerre, peut-être... ou la faim ? L’épidémie ? ...
 
 
Bert frissonna encore. Il se pencha sur la fontaine et avala une gorgée d’eau glacée. Puis, il s’avança vers le portail gigantesque. La cathédrale était fermée. Sur le côté, deux niches de pierres n’abritaient plus les statues pour lesquelles on les avait creusées. Quelle humidité ! Le mur était presque visqueux par endroit. Enfin, c’était toujours mieux que rien ! Il se glissa dans une de ces niches et se blottit contre la muraille froide. Attirant son sac sous sa tête, il ferma les yeux.
L’île s’était définitivement fondue dans la nuit. Il ne pleuvait plus, mais aucune étoile ne s’allumait dans le ciel. Bert dormait déjà.
 
 
 
Bert avait gardé de son ancienne vie de soldat un sommeil très léger et une oreille très fine. Il fut réveillé en plein milieu de la nuit. Dans sa niche de pierre, l’obscurité était si profonde qu’il n’apercevait pas le bout de ses doigts. C’était un bruit de pas qui l’avait réveillé, un léger trottinement de souris. Pas de doute, il y avait quelqu’un pas loin ! Bert passa la tête hors de son abri. Ses yeux s’habituèrent à la nuit.
Deux enfants prenaient de l’eau à la fontaine. Ils n’étaient pas rassurés. Ils inspectaient sans cesse l’obscurité derrière leur épaule. Les deux gamins chuchotaient, mais la nuit portait leur voix.
 
-         Tu as fini ?
-         Non, dépêchons-nous
-         Tu as entendu ce bruit ?
-         Ce n’est rien
-         Allez, vite, on y va !
 
Les deux ombres passèrent devant le portail et longèrent la cathédrale. Bert se leva et les suivit. Ils pénétrèrent dans le jardin et poussèrent une porte qui grinça dans la nuit. Ils avaient déjà disparu quand Bert ouvrit, à son tour, la porte dissimulée par les feuillages. Une volée de marches s’enfonçait dans le ventre de l’édifice. Il descendit prudemment l’escalier détrempé. Des voix d’enfants résonnaient sous les voûtes.
 
-         Vous n’avez vu personne ?
-         Il y avait des étoiles ?
-         Non, mais qu’est-ce qu’il faisait noir dehors !
 
Des cierges éclairaient la crypte. Cinq ou six enfants, assis à même le sol, entouraient une jeune fille qui leur servait de l’eau. Bert fit encore quelques pas.
 
-         Bonjour. N’ayez pas peur !
 
Ils s’étaient figés et le regardaient, les yeux écarquillés. Puis, une petite fille toute blonde se leva et se précipita vers lui, les deux poings en avant.
 
-         Moi, j’ai pas peur ! Si t’es un bandit et que tu viens nous tuer, mon papa va revenir et te tapera comme ça.
 
Elle bondit sur lui aussi souple qu’un petit chat et tambourina sur sa poitrine. Bert éclata de rire et la prit dans ses bras.
 
-         Non, la puce ! Je ne viens pas vous tuer, ni vous manger. D’ailleurs, toi, tu es bien trop maigre, bien trop petite !
-         Trop petite ? Je suis grande. J’aurai cinq ans à la Saint Jean !
-         Cinq ans ! Alors, tu as raison : tu es une vraie petite femme. Quel est ton nom ?
-         Marie. Et toi ?
-         Moi, c’est Bert. Attends ! C’est bien toi qui as demandé s’il y avait des étoiles cette nuit ? Ca tombe bien, j’en ai justement plein mes poches.
-         Plein tes poches ?
 
Bert sortit plusieurs grosses billes de verre aux reflets de jaspe, d’émeraude et de corail.
 
-         Regarde, dans la lueur des chandelles, c’est comme si tu avais le ciel dans la main.
-         Tu me les donnes ?
-         Oui, elles sont pour toi.
 
Bert se tourna vers les enfants.
 
-         Mais approchez, vous autres ! J’en ai pour tout le monde.
 
Les gamins, attirés par ces trésors lumineux avancèrent timidement.
 
-         Tiens, mon bonhomme ! Celle-ci vient de loin. Elle est en fer. Elle est à toi si tu me dis ton nom.
-         Georges. Je suis le fils d’Adrien, le forgeron.
-         Rien qu’à voir tes muscles, je suis sur que c’est toi qui entretenais le feu.
-         Ca, c’est la vérité vraie ! Pour le feu, je suis imbattable.
-         Quel âge as-tu ?
-         Douze ans à la Toussaint.
 
Une petite brunette s’approcha.
 
-         Moi, je suis Jeanne, la sœur de Marie.
-         Jeanne la brune et Marie la blonde. Tu es très belle, Jeanne.
-         Si vous n’êtes pas un bandit et que vous ne venez pas pour nous tuer, qui êtes-vous ? Que venez-vous faire ici ?
-         Je suis un voyageur, petite. Je rentre chez moi. J’ai roulé ma bosse dans tous les pays du monde mais aujourd’hui, je suis fatigué. J’ai envie de revoir ma maison.
-         C’est ou ta maison ?
-         Tu ne connais pas, petite puce blonde. C’est le royaume du vent et des mouettes. Tu remontes le rivage vers le nord pendant quatre ou cinq jours, mettons huit parce que tu as de petites jambes et lorsque la grève s’arrête, qu’il n’y a plus que l’océan devant toi, tu es arrivée. Tu vois, ma maison est tout au bout de la terre. C’est très beau là bas, tu sais...
-         Et les autres pays, ils sont beaux aussi ?
-         Tous les pays du monde sont beaux, Jeanne. Prends cette bille. Elle vient du pays des marmottes. Et bien la couleur de son bois est exactement celle que prend la forêt la bas le soir, au couchant.
-         J’aime le bois. Mon père, c’était Balthazar, le bûcheron. Souvent, il m’emmenait avec lui. Mais maintenant...
 
Elle baissa la tête.
 
-         Ne pleures pas, Jeanne, quel âge as-tu ?
-         Neuf ans.
-         Alors, à neuf ans, tu dois savoir que ton père n’aime pas les larmes.
-         C’est vrai, il n’aimait pas quand je pleurais.
-         Tu vois ! Et toi, le blondinet, qui es-tu ?
-         Je suis Bertrand. Moi, j’ai pas connu mon père. Plus tard, avec Jeanne, on va se marier.
-         Tu es peut être un peu jeune pour songer au mariage, non ?
-         J’ai dix ans.
-         Dix ans ? Dans le fond, tu as sûrement raison. Regarde, moi, j’ai trop attendu et maintenant, cela ne me tente plus.
 
A présent, les gamins se pressaient autour de Bert.
 
-         Moi, je suis Louis, le fils de Guillaume, l’archer. J’ai onze ans. Dans deux ans, j’entrerai dans la compagnie du guet.
-         Oh ! Tu as bien réfléchi ?
-         Oui, je serais soldat.
-         Remarque, il faut de tout pour faire un monde. Tenez, en attendant, prenez ces billes. Elles sont pour vous tous.
 
Bert se retourna. La jeune fille qui servait les enfants, était restée un peu à l’écart.
 
-         Et toi, qui es-tu ?
-         Je suis Eléonore, la fille de Robert, seigneur de ce pays.
-         Tu dois être un peu vieille pour que je te donne ces petites bêtises, non ?
-         J’ai dix sept ans.
-         C’est bien ce que je pensais. Mais attends voir...
 
Il fouilla dans son sac et sortit une écharpe bleue, brodée de fils d’or et d’argent.
 
-         Elle vient d’Orient. Elle a été tissée pour une princesse qui devait se marier. Hélas, le prince est mort à la guerre. Tiens, elle est à toi. Elle ira très bien avec la couleur de tes yeux.
 
La jeune fille inclina la tête pour remercier Bert.
 
-         Bon, c’est pas tout ça, mais maintenant qu’on se connaît un peu mieux, dites-moi ce qui s’est passé dans votre ville et ce que vous fabriquez dans ce trou à rats.
 
Tous les enfants voulurent parler en même temps.
 
-         Oh ! Oh ! Du calme ! Pas tous ensemble ! Je ne comprends rien. Avant toute chose, asseyons nous et, tiens, je boirai bien un peu de votre eau.
 
La petite Marie se précipita et lui amena la cruche. Tous s’étaient assis et le regardaient.
 
-         Dites, les enfants, vous avez mangé, au moins ?
 
Silence. Eléonore haussa les épaules.
 
-         Non, ils n’ont pas mangé. Il n’y a plus rien depuis deux jours.
 
La petite Marie passa sa main sur son ventre.
 
-         Et même que ça fait un drôle de bruit là dedans 
-         Sacrédié, et vous ne disiez rien ! Mais enfin...
 
Bert avait élevé la voix. Les enfants eurent un mouvement de recul.
 
-         N’ayez pas peur, bon sang !
 
Il sortit une énorme miche de pain de son sac et la tendit à Eléonore.
 
-         Tiens, ma belle, partage ceci en... voyons... sept parts. Donnes m’en un tout petit morceau. Je n’ai pas très faim.
 
Les enfants se jetèrent sur leur bout de pain et Bert bu l’eau à même la cruche. La pluie avait du se remettre à tomber dehors. Cela ruisselait le long des murs.

 
-         Ne vous inquiétez pas. Je trouverai mieux demain. Bien ! Eléonore, raconte-moi donc pourquoi cette ville est morte et pourquoi vous vous cachez ici ?

LAST IROKOI  ©  2008

(Suite chapitre 2)
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23 février 2008 6 23 /02 /février /2008 12:16
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CHAPITRE 2
-         
(Retour au chapitre 1)

Tout cela a commencé il y a six jours, maintenant. J’étais au lavoir avec maman. En plein milieu de l’après-midi, le tocsin a sonné. Au début, on a cru à un incendie. Cela arrive souvent ici. Et puis, les hommes du guet sont venus en courant. Ils nous ont dit de rentrer chez nous, de ne plus bouger et d’attendre. Dans les rues, c’était l’affolement. Les hommes montaient aux remparts ; les gardes fermaient les portes de la ville en criant après les paysans pour qu’ils poussent leur charrette. Et le tocsin sonnait toujours. Il a sonné toute la journée. Mon père est rentré très tard, presque au milieu de la nuit. C’est lui qui nous a expliqué ce qui se passait. Pour entrer dans la cité, il y a deux routes qui traversent le marais. L’une remonte du sud, l’autre vient du nord.
-         Moi, je suis venu du sud. Ce sont tout juste des sentiers. Enfin, continue.
-         Une troupe d’hommes en armes se dirigeait vers nous, par le sud, depuis le début de l’après-midi.
-         Des soldats ?
-         Non. En tout cas, pas les soldats du roi. Ils n’avaient ni drapeau, ni uniforme. Ils s’étaient arrêtés à la tombée de la nuit et campaient autour de grands feux, à quelque distance de la poterne.
-         Que faisaient-ils ?
-         Rien.
-         Mais, les bourgeois d’ici, ils n’ont envoyé aucun émissaire pour savoir ce qu’ils voulaient ?
-         Les gens d’ici ne sont pas très courageux. Beaucoup ne se sont jamais battus. Ils ne sauraient même pas se servir d’une épée en bois.
-         Et ton père, saperlipopette, ton père... C’était bien lui le seigneur du pays, non ? Qu’a-t-il fait ?
-         Mon père est vieux. Les gardes sont vieux. Tous les jeunes sont partis à la guerre voilà déjà bien longtemps
-         Diable ! Enfin, continue... Donc vous êtes, eux, la troupe et vous, la ville, en train de vous regarder comme chien et chat en plein milieu de la nuit.
-         Au petit matin, ils ont contourné la ville et, profitant de la marée basse, ils sont allés jusqu'à l’île. Ils y sont restés deux jours. Il paraît qu’ils visitaient les maisons les unes après les autres. Ils en ont même fait brûler une.
-         Et les habitants ?
-         L’île est déserte depuis l’épidémie d’il y a cinq ans.
-         Il ne restait plus que deux moines. Les bandits les ont jetés du haut des tours.
-         Ca, c’était le deuxième jour, Georges, juste avant que la bande ne revienne vers la terre ferme, vers nous.
-         Même qu’ils ont failli s’enliser dans les sables mouvants.
-         Donc, ils ne connaissaient pas le coin. Continue, Eléonore.
-         A l’aube du troisième matin, ils s’étaient à nouveau installés au même endroit que le premier soir. Vers midi, trois cavaliers se sont présentés à la porte. Mon père est monté aux remparts et leur a demandé ce qu’ils voulaient. Leur chef, un homme qui s’appelait Milan...
-         Milan... Attends... Il lui manque un œil, non ? Ses hommes l’appellent aussi «œil de feutre » ?
-         Vous le connaissez ?
-         Un peu... Oui... Dans le temps. Continue.
-         Milan a dit qu’il ne souhaitait pas attaquer la ville. Il voulait simplement à boire et à manger pour lui et ses hommes avant de reprendre la route. S’il le fallait, il était prêt à payer tout ce qu’il prendrait.
-         Et qu’a fait ton père ?
-         Que voulez-vous qu’il fit ? Il leur a ouvert la porte.
-         Ah, non ! Ouvrir à Milan ! Non mais quelle bêtise ! Autant ouvrir au diable !
-         C’était le diable... et ses hommes, des démons !
 
La jeune fille était au bord des larmes.
 
-         Ne me raconte pas la suite, va... Je la connais. Dis moi plutôt comment vous vous êtes tous retrouvés ici.
-         Il y a deux jours, la bande a rassemblé tous les habitants sur le parvis, devant la cathédrale. Milan est monté sur un tonneau. Il était complètement ivre. Il a parlé. Il a dit que la ville était vide, qu’il n’y avait même plus un rat à manger. Tous ceux qui resteraient ici risquaient de mourir de faim et lui, Milan, il ne voulait pas avoir la mort d’honnêtes bourgeois sur la conscience. Alors, il les a fait enchaîner les uns aux autres. C’était pitoyable. Aucun n’a résisté. Ils étaient terrorisés. De vrais moutons ! Un moment, tout de même, il y a eu une bousculade de l’autre côté de l’esplanade. Milan et ses hommes se sont précipités pour cogner. Je n’étais pas encore enchaînée. J’ai pris Marie dans mes bras et Jeanne par la main. J’ai couru comme une folle. Je connaissais déjà cette crypte. Je venais tous les ans la fleurir pour la Passion. En arrivant ici, je me suis aperçue que Georges et Bertrand m’avaient suivi. Nous nous sommes terrés jusqu'à la nuit. Puis, je suis ressortie. Il n’y avait plus personne. Plus rien que le silence. Milan les avait tous emmenés.
-         Et Louis ?
-         Il s’était caché dans le clocher. Il nous a rejoint, hier, à la fontaine... Voilà, c’est tout... Maintenant...
 
Eléonore se mit à pleurer doucement. La petite Marie avait posé sa tête sur les genoux de Bert. Elle commençait à s’endormir.
 
-         Maintenant, Eléonore, il faut faire deux choses très vite : dormir et filer d’ici dès demain.
-         Où irons-nous ?
-         Et si nos parents revenaient ?
-         Si tes parents revenaient maintenant, Louis, il y aurait beaucoup à parier pour que Milan et sa bande reviennent avec eux.
 
Les enfants l’écoutaient.
 
-         Milan pratique toujours de la même façon. Ah, il n’a pas changé, le bougre ! Toujours aussi rusé ; toujours aussi lâche ! Il ne prend jamais de risques inutiles. A la moindre résistance, il parlemente, il discute. Lui, il n’attaque jamais de front. Il est aussi innocent que l’agneau, blanc comme le neige ! La preuve, ici, ce sont les bourgeois qui lui ont ouvert la porte. Jamais il ne brûle la ville qu’il pille. Il sait que dans ces cas là, il y a toujours quelques habitants qui parviennent à s’échapper, quelques habitants qui, plus tard, pourraient témoigner. Il les emmène tous puis, il revient quelque temps après. Alors seulement, il rase tout, il tue tout ce qui bouge et, enfin, il met le feu aux décombres. C’est pour cela qu’il faut partir très vite, très loin... Vous allez dormir. Je vais réfléchir et demain, je vous dirai ce qu’il faudra faire. Eléonore, souffle la chandelle. Couvrez-vous bien ; l’humidité est terrible ici.
 
Il embrassa Marie.
 
-         Dors bien, la puce !
 
La petite qui dormait déjà lui rendit son baiser.
 
-         Bonne nuit, Bert
 
Il releva son col et s’adossa au mur en soupirant. Dans l’obscurité, il sentit Eléonore qui s’allongeait près de lui.
 
-         Ils sont tous morts, n’est-ce pas ?
 
Bert repensa aux deux paysans affolés qu’il avait croisé hier. Ils venaient de découvrir un charnier dans leur champ.
 
-         Oui, petite, ils sont morts. Mais ne dis rien aux enfants. Ils auront besoin de tout leur courage, de toutes leurs forces, les jours prochains.
-         Vous avez raison. Dieu vous bénisse.
-         Dors vite, petite.
 
Il l’entendit pleurer longtemps dans la nuit.
 
 
 
Ce fut la petite Marie qui réveilla Bert le lendemain matin. Comment résister à un petit diable qui, sans arrêt, vous demande :
 
-         Tu dors, Bert ? Hé, tu dors encore ? ... Oui, il dort encore, Bert. Il ne faut pas que je le dérange. Ca ne serait pas gentil de le réveiller et si je le réveille, il ne va pas être content. Il va crier et moi, j’aurai encore peur.
 
Et la petite se remettait contre lui en suçant son pouce. Puis, elle recommençait l’instant d’après :
 
-         Tu dors, Bert ? Hé, tu dors encore ? Regarde, le soleil est levé, lui !
 
Bert fit semblant de s’éveiller. Il ouvrit un œil, puis l’autre et s’étira. La gamine toute blonde lui fit un grand sourire radieux.
 
-         Oh ! Tu es réveillé, Bert ? Ce n’est pas ma faute au moins ?
-         Non, petite puce. Tu as bien dormi ?
-         Oui. Pour la première fois, je n’ai pas eu froid. Qu’est-ce que tu tiens chaud !
-         Mais... Il fait déjà jour ! Tu aurais du me prévenir plus tôt.
 
La crypte, en effet, était pleine de lumière. Elle tombait par des fissures de la voûte. C’était une lueur à la fois douce et violente, filtrée par les vitraux de la cathédrale, juste au-dessus.
 
Les autres dormaient encore. Bert s’étira.
 
-         Bon, allez, la puce, tu vas m’aider à les secouer. Il faut partir.
-         On va où ?
-         Ca te plairait de voir ma maison ?
-         Ta maison ? Il y a à manger là bas ?
-         Oui, il y aura à manger.
-         Alors, d’accord. C’est loin ?
-         Oui, c’est loin. Mais, t’es costaud, non ?
-         Oh, oui. Je suis une femme.
-         Je sais. C’est moi qui te l’ai dit. Allez, debout.
 
Bert se leva et s’étira encore.
 
-         Oh, dis donc ! Qu’est-ce que t’es grand !
-         Oh, dis donc ! Qu’est-ce que t’es petite !
 
Ils éclatèrent de rire.
 
-         Allez, debout tout le monde ! On s’en va.
 
Il alla les secouer les uns après les autres. Tous baillaient en se frottant les yeux.
 
-         J’ai faim, dit Bertrand.
-         Moi aussi, dit Jeanne.
-         Vous penserez à manger plus tard. On s’en va.
-         Ou ?
-         Je vous emmène chez moi. Là, au moins, vous serez à l’abri. Après, on verra. Je vous préviens, cela va être très dur. Il faudra marcher six ou sept jours dans le sable. Peut-être plus si la tempête se lève. Nous longerons le rivage. Pas question de prendre les routes ; on ne sait jamais.
 
Il regarda les enfants.
 
-         Pas de questions ? Bon, alors écoutez-moi bien. Nous marcherons toujours de la même façon. Moi en tête. Je porterai Marie sur mes épaules...
-         Mais, je suis lourde. Je vais te fatiguer.
-         Ne t’inquiète pas de cela, petite puce. Nous avancerons en file, à trois pas les uns des autres. Jeanne viendra juste derrière moi, puis Bertrand, Eléonore et enfin Louis.
-         Et moi ?
-         Toi, Georges, ton rôle sera l’un des plus importants. Tu seras notre éclaireur. Tu progresseras trente pas devant nous, sur la crête des dunes. Tu surveilleras l’horizon. Dès que tu verras quelque chose d’anormal...
-         Je crie...
-         Non, surtout pas ! Tu te jettes à terre et tu rampes vers nous. Nous comprendrons et nous ferons pareil.
-         Je ne pourrais pas aider Georges ?
-         Non, Louis. Toi, le futur soldat, tu devrais savoir qu’en campagne, l’arrière garde, c’est capital. Tu devras toujours avoir les yeux fixés sur Georges. Si jamais tu le vois se cacher, préviens-nous. Sois sans cesse sur tes gardes. Tout le monde a compris ? ... Bon, Georges, tu vas monter au clocher. Inspecte les quatre coins de l’horizon. En même temps, tu me diras où en est la marée. Louis, trouve-nous trois solides bâtons de marche : un pour Georges, un pour toi et un pour moi, un peu plus grand. Nous nous retrouvons devant la fontaine.
-         Et on mange quand ?
-         Décidément, tu ne penses qu’à cela, la puce. Allez, en route !


LAST IROKOI  © 2008 
 

(Suite chapitre 3)
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