Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 mai 2009 7 17 /05 /mai /2009 19:59

C’est Eglantine, ma jument, qui les a sentis, bien avant qu’ils ne sortent du couvert de la forêt, sur le sentier. Ils arrivaient à cheval, reconnaissables de loin avec leur bicorne ; 2 gendarmes qui venaient voir qui était ce vagabond traversant le canton depuis le matin, dans sa roulotte de bohémien.

 

J’étais fatigué. Bien installé, à l’abri du vent, assis sur le timon, je n’ai pas bougé pour les accueillir et j’ai continué à fumer ma pipe.

 

C’est le plus jeune, l’air pete-sec, qui m’a interpellé :

 

-       Faut pas rester là. C’est une propriété privée… Faut déguerpir et vite…

 

Je lui ai dis que je ne le savais pas mais que je lèverai le camp dès le lendemain matin. Le plus vieux, le brigadier, me regardait sans rien dire, une lueur amusée dans son regard. Le jeune a reprit :

 

-       Ah, tu le prends comme ça ? Allez ! ton carnet de circulation et plus vite que ça !

 

J’ai répondu que je n’avais pas de carnet, que j’arrivais de l’étranger et je lui ai tendu mon livret militaire.

 

Tout en le lisant – difficilement – il continuait à m’interroger :

 

-       Quels sont tes moyens d’existence ? De quoi vis-tu ? c’est interdit de mendier ici, tu sais ?

 

Arrivé à la dernière page, il s’est tourné vers son chef :

 

-       Chef, il a été dans l’armée jusqu’en octobre 1812 mais depuis il n’y a plus rien… rien depuis 20 ans, c’est suspect, non ?

 

Le brigadier sans un mot, lui a fait signe de lui donner le livret. Lentement, s’attardant à chaque page, il l’a lu. Puis, il m’a regardé, il a regardé mes mains, la gauche surtout, la plus abîmée où il me manque 2 phalanges à l’annulaire. Il a sourit et à murmuré :

 

-       Winkowo ?

 

J’ai fais « oui » de la tête. Alors, il m’a montré sa main gauche, encore plus abîmée que la mienne, il avait été amputé du majeur… puis, il m’a salué en portant sa main estropiée à son bicorne. Je me suis levé pour lui rendre son salut. Dans le silence de la nuit qui tombait, il a fait faire demi-tour à son cheval. Le jeune n’y comprenait rien. Il m’a regardé, indécis et s’est décidé à rejoindre son chef qui partait :

 

-       Ben on fait rien, chef ? C’est un bohémien, sûrement un voleur de poules… et il est pas en règle

 

Sans s’arrêter, le vieux lui a répondu d’une voix grave :

 

-       Si c’est un voleur de poules, moi je suis le Pape… Ce qui est sûr et certain, mon garçon, c’est que c’est un brave… Fous-lui la paix…

 

Et il est parti au trot suivi à regret par le jeune freluquet.

 

Il faisait nuit noire à présent. Je regardais les flammes du feu que j’avais allumé... 20 ans, 20 ans déjà que j’avais quitté cette boucherie… je n’avais pas vu le temps passer…

 

La banlieue de Moscou, le clairon sonnant la retraite, dans le brouillard et le verglas, la panique aux ponts et la faim et la fatigue… et le froid, surtout le froid… brûlant…moins 35°…Et ce matin, ce matin là où je me suis réveillé dans la neige rouge sang… Tous mes camarades égorgés en silence, dans leur sommeil… Pourquoi m’avaient ils épargné, moi et seulement moi ?

 

Ma fuite au hasard, droit devant, solitaire, des jours, des nuits, trempé jusqu’au ventre, glacé, les épaules fourbues, les mains et les pieds qui deviennent insensibles, le souffle court… Et cette plage brusquement, la mer figée par le gel bien après la grève… je m’y suis effondré, à bout de force, à bout de vie.

 

Je suis revenu à moi, longtemps, très longtemps après, je pense. J’étais sur un boutre arabe, au large, entouré de marins à trogne de pirates dont la peau allait du café au lait au noir d’ébène et dont la langue m’était inconnue. Ce sont eux qui m’ont sauvé… du froid, de la faim, des cosaques et de la gangrène en me coupant 2 phalanges déjà noires. Par contre, ils ont guéri mes orteils qui suppuraient…

 

Longtemps, allongé sur une voile, j’ai déliré, tremblant de fièvre. Ils se relayaient à mon chevet pour me veiller, me forcer à boire et à manger… Peu à peu, j’ai repris des forces et j’ai pu aider à la manœuvre lors des escales, à remonter les filets et à hisser les voiles…

 

Cabotant de port en port, nous avons fait le tour de l’Afrique, doublé Madagascar, contourné les Indes Britanniques, pour, 17 mois après, débarquer à Amoy, petit port de contrebandiers en Chine du sud. C’est là que je les ai quittés, souhaitant revenir en Europe par la voie terrestre. J’ai voulu les remercier en leur donnant le seul bien qui me restait : ma montre. Ils ont refusé et sont vite repartis, la cale pleine d’opium. Je ne les ai jamais revus.

 

J’ai commencé à remonter vers le nord, à pied, me fondant dans la foule. Avec mes vêtements de marins, usés jusqu’à la corde, mon turban, mon visage cuit par le soleil du large et les quelques mots d’arabe que j’avais appris, on me prenait pour un musulman. Mon seul problème, c’était mes yeux bleus et ma taille : je mesure près d’un mètre quatre vingts dix. Je marchais souvent tête baissée.

 

Sur la route, j’ai rencontré Tchen Li, un vieux chinois qui rentrait chez lui pour y mourir. Il était faible et marchait avec peine. Alors, je l’ai fais monter dans la voiture à bras qu’il tirait et je me suis mis entre les brancards. C’est également moi qui mendiais notre nourriture.

 

Nous échangions par signes ou avec quelques mots d’arabe ou de chinois, l’essentiel de notre pensée. Li avait un métier fascinant qu’il n’avait plus la force d’exercer : il était polisseur de miroirs…

 

Il rendait le brillant et le reflet aux petites glaces d’acier que les belles conservaient dans leur manche et il ravivait l’éclat des rares psychés qui meublaient l’intérieur de quelques palais de la noblesse. Ainsi, il entrait dans les gynécées, dans les foyers et c’était le seul homme qu’épouses et concubines délaissées ou jeunes filles à marier pouvaient apercevoir. Il connaissait leur intimité, leurs secrets, leurs rêves. Il recevait leurs confidences et devinait le reste car si les miroirs reflètent la beauté ou la laideur, ils conservent aussi un peu de l’âme de celles qui se regardent.

 

Il savait aussi effacer les rayures sur le verre et sur le cristal. Il réparait les appareils d’optique des marins et des mires, les lunettes des astronomes. A leur contact, il avait apprit le secret de la marche des étoiles au firmament. Il savait régler de grosses loupes munies de tiges de bois pour permettre aux vieux lettrés de continuer à lire…

 

Peu à peu, le vieux chinois m’a appris à maîtriser le jeu de la lumière et de la transparence, les mystères du reflet des corps et des âmes. Je devins « polisseur de miroirs » et ce titre m’ouvrait, souvent, les portes et les cœurs des belles que nous rencontrions en chemin…

 

Car nous avancions, lentement mais nous avancions. Nous avons mis 7 mois pour faire le chemin qui sépare la mer de la ville de mon « Maître ». Les paysages que nous traversions, vallonnés, couverts d’arbres et de pâtures, étaient splendides et mystérieux. Les collines de cette région s’appelaient, si j’ai bien compris, « dents du dragon » à cause de leur forme acérée.

 

Le 26 décembre 1815, lendemain de la Noël, nous sommes entrés dans les faubourgs de « Guizhou », la ville du vieux Li.

 

Il était épuisé mais il rayonnait. Il m’a présenté à toute sa famille, à sa femme ridée comme une vieille pomme, à ses 2 filles, à son neveu et à sa nièce, à ses voisins en disant à tous que c’était grâce a moi s’il était revenu et qu’il fallait désormais m’appeler « oncle ».

 

Il est mort 3 jours après. Les obsèques passées, la famille a refusé que je parte. J’ai repris sa charge de polisseur et un an après j’épousais l’aînée des filles.

 

Pendant 10 ans, je fus heureux. En dépit de la couleur de mes yeux et de mon accent chinois déplorable, j’avais une bonne pratique et je gagnais bien ma vie. La seule ombre au tableau était qu’avec Song, mon épouse, nous n’arrivions pas à avoir d’enfant. Elle en souffrait, je le savais. Elle m’avait même demandé de prendre sa sœur cadette comme première concubine pour que la famille ne reste pas sans descendance. J’ai eu du mal à lui faire comprendre que cela m’était impossible, que dans mon pays, cela ne se faisait pas.

 

Et puis arriva l’année 1825 (selon le calendrier occidental), année funeste entre toutes. Dès le mois de février, une épidémie de typhus ravagea la région. Mon épouse, de santé fragile, fut parmi les premières victimes. Je n’ai rien pu faire pour la sauver. Dans Guizhou, les gens tombaient comme des mouches, des familles entières furent décimées et la famine s’installa.

 

Quelques semaines après, j’appris que des bandes de fanatiques approchaient de la ville. Ils s’en prenaient aux étrangers, aux catholiques surtout, dont ils pillaient les maisons avant de les massacrer. Avec mes yeux clairs, j’étais particulièrement menacé. La famille et les voisins me cachèrent mais un soir je les ai réunis pour leur dire que cela devenait trop dangereux pour eux. Les bandes étaient aux portes de la cité. Je devais partir. J’allais rentrer en Europe. Ils essayèrent de me retenir mais comme j’insistais, ils se sont inclinés. Je suis parti avec quelques vêtements, les outils et les produits nécessaires à mon art. Le neveu m’a accompagné jusqu’au port le plus proche où je me suis embarqué clandestinement tandis qu’en ville, les premières maisons brûlaient et qu’on crucifiait les chrétiens.

 

Ce n’était pas le même équipage qu’à l’arrivée. Ceux la étaient de véritables pirates qui n’auraient pas hésité à me tuer pour dérober mes pauvres richesses ou à me vendre sur un marché aux esclaves. Dès la première semaine, j’ai du en tuer deux un peu trop entreprenants. Ensuite, j’ai eu la paix mais je devais rester toujours sur mes gardes, la main sur mon poignard.

 

J’ai débarqué en Perse 4 mois après et j’ai encore mis 10 ans pour rentrer en France. Je suis resté 6 ans à Isfahan où un mathématicien m’a appris la science des calendriers et des horoscopes. Aujourd’hui encore, je sais prévoir, grâce à lui, les éclipses de lune et de soleil. Ensuite, j’ai visité l’Egypte en souvenir de l’Empereur, et la Grèce. Enfin, depuis la Sicile, où j’ai acheté ma roulotte de bohémien et surtout Eglantine, ma jument, j’ai remonté l’Italie jusqu’à Venise. Dans une île de la lagune, j’ai appris le soufflage du verre coloré. Trois ans après, j’ai commencé à remonter doucement vers Paris.

 

Mon feu n’était plus que braises. A la lune, haute sur l’horizon, il devait être un peu plus de minuit. Eglantine a henni deux fois, doucement, gentiment. Quelqu’un approchait mais il n’y avait pas de danger. J’ai tout de suite reconnu sa silhouette trapue. J’ai attendu qu’il soit à quelques pas pour appeler :

 

-       Brigadier ?

-       Oui, me voilà

-       Je t’attendais

 

Le vieux n’était plus en uniforme. Il avait accroché ses médailles au revers de son manteau.

Il s’est assis sur une souche d’arbre en face de moi et a sorti d’un sac, un saucisson, du pain et une bouteille et on a cassé la croûte comme 2 soldats de garde, au bivouac, à la veille d’une bataille. On a bu à même le goulot, la vieille prune. Puis il a allumé sa pipe à un brandon et on est resté là, cote à cote, à fumer…

 

Comment a-t-il deviné ? On n’a pas échangé un seul mot de la nuit. Ce n’était pas la peine de parler… Rien sur la roulotte n’indiquait mon activité, mon art… Pourtant, quand le soleil s’est levé, en se relevant de sa souche, il m’a dit :

 

-       j’ai vu qu’à Reims, ils cherchent des artistes pour réparer les vitraux de la cathédrale… Tu devrais y aller…

 

Puis, il est reparti vers sa caserne et moi, j’ai attelé Eglantine…

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

Partager cet article
Repost0
10 mai 2009 7 10 /05 /mai /2009 22:56

Il ne m’est pas possible d’imaginer Venise sans pluie.

 

Je ne sais pas pourquoi.

 

Le soleil, hormis entre deux averses pour une simple éclaircie, me semble sacrilège sur la façade des palais, à la surface des canaux… L’odeur de vase, de boue, d’humidité n’est acceptable que dans le froid. En été, avec la chaleur, cela sent l’égout… Et puis, Venise est une vieille femme dont les murs pourrissent et se fissurent de partout. Elle doit maquiller de brume toutes ses rides pour apparaître encore désirable.

 

C’est pour cela que je ne vais – je devrais plutôt dire que je n’allais – là- bas – pour mon plaisir ou pour mon travail- qu’en janvier ou février, au cœur de l’hiver, juste avant l’inhumaine marée du carnaval.

 

C’était il y a 5 ans.

 

Il pleuvait depuis 2 jours, depuis mon arrivée… pas une grosse pluie, non juste un crachin qui venait de la mer et qui donnait au ciel, les couleurs d’ardoise qu’on ne trouve que sur l’aile du goéland, qui habillaient les façades et les jardins, d’un soupçon de brume d’argent.

 

J’étais parti très tôt ce matin là.

 

La place Saint Marc était encore déserte et « Florian » ouvrait tout juste. Sur l’embarcadère, luisant de pluie, les gros navires et les frêles vaporettos tiraient sur leur ancre, encore endormis. Plus loin, les gondoles à l’amarre, troupeau de corneilles aux ailes repliées, se serraient frileusement les unes contre les autres.

 

Tout au bout du quai, crachant son gas-oil bleu, la navette du Lido m’attendait.

 

Je suis resté sur le pont malgré le vent, regarder la cité s’estomper, doucement, à l’horizon.

 

J’ai changé de bateau au Lido… immuable depuis « mort à Venise »… si l’on ignore l’injure du parking. J’allai à « Burano » prendre des photos. Je les avais promis à un ami pour décorer sa vitrine, dans le Marais, à Paris.

 

Burano est une toute petite île dans la lagune. Les offices de voyage et les bateliers font semblant de ne pas comprendre et tentent de vous vendre des billets (ils sont même prêts à les donner) pour Murano, ce temple du mauvais goût, ce piège de cristal factice pour touristes… tout le contraire de Burano, îlot de calme à l’image d’une Venise qui existait encore il y a un siècle ou deux. Là bas tout est minuscule, le quai du port sous le vent, la façade des maisons, bleue, terre de sienne, rouge brique ou ocre, les canaux avec leurs bateaux de pêche pour enfant et les boutiques.

 

Burano est un décor de « commedia dell’arte » où il fait bon vivre.

 

Le bateau, bien que de tonnage plus fort que celui du Lido, se mit à tanguer sur la crête blanche des vagues et il fit brusquement plus froid, un froid pur et piquant comme du vin d’Italie. J’étais presque déçu que l’on accostât déjà.

 

J’ai travaillé jusqu’à midi dans les ruelles vides et sur les canaux déserts avec pour seule compagnie, les oiseaux de mer qui m’accompagnaient en piaillant.

 

J’ai mangé un plat de pâtes avec un verre de « Lacrima Christie ». Derrière les vitres du restaurant, la pluie tombait doucement sur le canal. Vers 13 H 00, j’ai repris le bateau pour Venise en faisant comme à l’aller, escale au Lido.

 

L’arrivée sur la cité fut un enchantement… Clochers et campaniles, lentement accouchés de la brume, comme une toile de Turner, habillée de spectres…

 

Le bateau a longé l’Arsenal avant d’accoster. Il était 14 H 30. Trop tôt pour déjà rentrer à l’hôtel

 

Je suis parti à pied, au hasard, sous la pluie, fine, dans Venise silencieuse, comme anesthésiée.

 

J’ai passé le Rialto, seul endroit où j’ai vu des touristes se bousculer dans la galerie marchande. J’ai traversé la halle, juste derrière, là où Venise sent si bon l’eau. Je suis arrivé devant le théâtre de la « Fenice » qui était en reconstruction, à l’époque, après qu’un incendie l’eut détruit. J’ai fais un détour pour aller voir la statue de Goldoni, ce « Molière italien » que la Révolution Française a laissé mourir de faim, comme un chien, sur le pavé de Paris…

 

C’est mon dernier repère, mon dernier souvenir. Après, je ne sais plus…

 

La cité est un labyrinthe de ruelles tordues et de ponts incertains, d’arrière cours, d’impasses où l’on tombe brusquement sur une chapelle humble qui, on le jurerait, n’était pas là au dernier voyage ; on découvre, derrière une porte défendue par un diable grimaçant, un minuscule jardin de roses givrées…

 

Je me revois marcher comme on rêve… découvrant mille trésors, somnambule aux aguets me laissant seulement guider par l’instant, par l’instinct… je n’avais même plus conscience de la nuit qui tombait, de la pluie qui trempait mon manteau et du froid qui glaçait mon front et mes joues.

 

J’étais libre… comment décrire cela ?

 

Ce sont les cloches qui m’ont réveillé ; mille cloches de mille clochers. J’ai compté : 17 coups ; il était 17 heures et j’étais perdu au centre du labyrinthe…

 

Non, disons plutôt que j’ai eu le rare privilège, une fois dans ma vie, de m’égarer dans Venise.

 

J’étais sur un pont de bois, qui grinçait sous mon poids. Dessous, un bras d’eau morte se terminait en impasse, entre 2 rangées de palais rongés d’humidité. Tout au bout, amarrées sous les quais de bois vermoulu, une multitude de gondoles avaient été laissées là pour achever leur voyage, pour mourir…

 

Beaucoup, remplies d’eau, surnageaient avec peine, en gémissant dans la brume ; de certaines, on ne voyait plus que la proue qui sortait du marigot tel le bras d’un noyé qui va bientôt se laisser couler. La plupart, totalement immergées, dans la transparence douteuse de l’eau sombre, formaient un troupeau d’ombres, de spectres, d’animaux fabuleux…

 

Je suis allé m’asseoir sur la berge. L’endroit était désert même si, dans le silence, on percevait quelques notes d’accordéon, des accords de guitare, un rire de femme ou les pleurs d’un enfant.

 

Venise entourait de vie ces bateaux qui achevaient de mourir.

 

La nuit était presque tombée.

 

C’est alors que j’ai aperçu, plus loin, sur l’eau, le reflet d’un clocher dont l’horloge était éclairée par les dernières lueurs du jour. La pluie avait cessé. Elle ne rayait plus la surface du marigot. L’image était nette, tellement nette que je pouvais lire l’heure que marquait les aiguilles au cadran : 3 H 10

 

L’horloge était arrêtée.

 

Mais quand j’ai relevé la tête pour voir ce clocher, je ne l’ai pas trouvé. Aussi loin que portait mon regard, tout autour de moi, ce n’était que maisons basses et palais en ruine, sans clocher ni campanile.

 

Je suis passé sur l’autre rive : rien… ni horloge, ni clepsydre, ni même de cadran solaire comme il y en a tant dans la cité ;

 

Rien ici pour compter le temps…

 

Dans l’eau, la vision avait disparu. De quelque endroit que je cherche, plus rien, rien que la nécropole de gondole…

 

J’ai encore fait 2 ou 3 fois le tour du marigot et je me suis même éloigné dans les ruelles alentour. Je n’ai rien trouvé dans la nuit…

 

Quand je suis rentré à l’hôtel, il était plus de 20 heures. J’étais transi de froid. Je n’ai pas eu le courage de ressortir pour diner. J’ai commandé une infusion et je me suis couché. Quand je fermais les yeux, je revoyais le reflet du cadran : 3 H 10 : Je ne me suis endormi que vers minuit en dépit de ma fatigue.

 

Je suis reparti 3 jours après pour Paris sans réussir à retrouver le cimetière de gondoles. Le concierge de l’hôtel n’en avait jamais entendu parler. Même les gondoliers n’avaient pas l’air de trop savoir. Quand je parlais du clocher et de l’horloge, ils détournaient le regard, l’air gêné. J’ai compris qu’il y avait des choses dont il ne fallait pas trop parler ici. Un seul m’a emmené vers le quartier juif, sur un canal perdu, en me demandant un pourboire royal. Il y avait effectivement 3 ou 4 gondoles au rebut mais rien à voir avec ma nécropole flottante.

 

Depuis, je ne suis jamais retourné à Venise

 

Aujourd’hui encore, je me demande ce qu’a voulu me dire ce lieu magique et mystérieux ? De quoi voulait-il me prévenir ? D’un danger ? D’une menace ? Quelle était cette alarme ?

Quel était ce signe ?

 

3 heures 10 : J’ai peur de comprendre trop tard la signification de ce message …

 

Oui, je ne suis jamais retourné à Venise et je crois que je n’y retournerai jamais…

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

 

Partager cet article
Repost0
8 mai 2009 5 08 /05 /mai /2009 16:31

«A quoi a-t-il bien pu penser, quand il est resté assis, 3 heures, immobile, sans rien faire, à regarder le jardin, la veille de sa mort ? »

 

On vient de célébrer mes obsèques et, après la cérémonie, mon salon est plein de parents, d’amis et de voisins. Tout le monde, debout, bière ou café en main, se pose cette question.

 

« Lui, si actif, jamais en place, si… vivant…restant comme cela, les mains sur les genoux, les yeux dans le vague, juste 24 heures avant de s’écrouler et d’être emmené déjà mort, en réanimation, à l’hôpital…Impossible, incroyable… ou alors, il n’allait déjà pas bien ; c’était un… un symptôme … un malaise dont il n’a rien dit …il était déjà malade. »

 

Ma … femme (j’ai encore du mal à dire ma veuve), pense que j’ai senti que j’allais partir ; une prémonition en quelque sorte; alors pendant ces 3 heures, j’ai revu ma vie, j’ai fais mon bilan, j’ai mis les choses en ordre…

 

Pour une de mes 2 filles, très orientée « bouddhiste option zen écolo», j’ai regardé, stoïque, déjà détaché, la mort qui arrivait et j’ai parcouru du regard, mon karma…

 

Ils ont tort… tous ; Ils se trompent

 

Si cet après midi là, je ne suis pas monté, comme d’habitude, après manger, travailler sur la pile de dossiers qui m’attendaient dans mon bureau ; si je me suis assis tout simplement dans le jardin, ce n’étais ni à cause de la fatigue ou d’un malaise, ni les prémices du caillot qui allait me déchirer le cœur, le lendemain…

 

Je me sentais bien, en forme et l’idée de mourir si vite était loin, très loin de mon esprit…

 

Désolé, pas de bilan de ma vie passée non plus, pas d’examen de conscience, d’introspection ou d’autres bêtises comme ça… mon karma ne m’inquiétait pas…

 

Non mais c’était dimanche et il faisait beau. Le soleil jouait avec la carpe dans la mare et les bourdons se disputaient, un peu comiques, dans les lilas blancs…

 

Alors, j’ai regardé mon jardin, tout simplement…

 

Cela faisait si longtemps que cela ne m’était pas arrivé…

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS « 

Partager cet article
Repost0
19 avril 2009 7 19 /04 /avril /2009 16:56

Je me souviens. On attendait l’autobus devant un disquaire. En vitrine, la pochette d’un 33 tours m’a épaté. Un chanteur, microphone en main et mèche en bataille, était debout sur son piano.

 

C’était en juillet 63. J’avais 11 ans. C’était la première fois qu’on ne partait pas en vacances au bord de la mer et que j’avais un premier contact – visuel – avec le rock’n roll.

 

Comment décrire en quelques mots « Royat », station thermale proche de Clermont Ferrant et limitrophe de Chamalières.

 

Royat, c’est avant tout une avenue bordée d’hôtels « où le curiste est le bienvenu », de restaurants « avec des menus spécialement étudiés pour nos amis curistes», de cabinets médicaux « agrées par l’établissement thermal », de pharmacies où l’on trouve « tout pour le curiste », de salons de thé, de chocolatiers et de boutiques de souvenirs et de pierres « semi précieuses » (- 10 % sur présentation du forfait de cure).

 

L’avenue se love autour du parc thermal, vrai centre névralgique de la ville où, d’après une réclame de l’époque, on trouve :

 

- Un hôpital thermal conventionné par la Sécurité Sociale et les meilleures mutuelles

- un établissement thermal (pour les soins ambulatoires dans et hors forfait).

- 12 sources différentes abritées sous de petits chalets de bois où « vous viendrez prendre une eau adaptée à votre pathologie (servie par des infirmières souriantes et compétentes) ».

- un casino proposant des manifestations culturelles pendant la saison thermale… (Je suis injuste c’est là que pour la première fois j’ai vu Claude Nougaro)

- des ruines de thermes romains montrant que le curiste d’aujourd’hui est l’héritier d’une tradition multi séculaire.

 

En un mot, Royat vit de son eau putride remboursée par la Sécu à de vieux malades comme Lourdes vit de ses miracles et Amsterdam, de ses putains. Et comme, il ne faut rien faire pour effaroucher les vieux ou fatiguer les malades (qui ne sont pas forcement les mêmes), Royat est une ville où l’on s’ennuie profondément surtout quand on a 11 ans…

 

Mon père avait ses soins thermaux tous les matins et faisait sa sieste tout l’après midi. Ma mère devait s’occuper de mon père et de mes deux jeunes sœurs. Pour la première fois de ma vie, j’ai bénéficié d’une certaine liberté. On m’a laissé aller me promener, seul, à la découverte de la ville.

 

Ce fut vite fait.

 

Le matin, je partais, bravement, à pied, direction le Puy de Dôme qui barrait l’horizon. J’arrivais rapidement, à la sortie de la ville, en orée de forêt où naissait la «Voie Romaine », où plutôt ce qu’il en restait, quelques dalles moussues qui pourtant faisait galoper mon imagination car il parait qu’elle allait jusqu’à Rome.

 

L’après midi, je tournais en rond dans le parc. Aucun jeu, aucune distraction pour les enfants ; Certains, les pauvres, cloués sur des chariots d’hôpital ; les autres, sous la garde sévère ou débonnaire de leur grands parents qui avaient tous en bandouillère, l’incontournable insigne du curiste : le petit panier d’osier contenant le verre gradué indispensable « pour prendre les eaux ».

 

Et puis j’étais timide…

 

Heureusement, il y avait sous le casino, juste à coté du bureau « tiers payant » de la Sécurité Sociale, la bibliothèque thermale. Je m’ y suis inscrit le 2ème ou 3 ème jour et je me suis installé sur un banc, avec mon livre, tout au bout du parc, à coté des ruines romaines, dans l’humidité et l’odeur de l’eau qui était partout, juste en dessous du viaduc du chemin de fer où passait tous les jours à 17 h 15, le train thermal qui arrivait directement de Paris (seulement en saison).

 

C’est là que, grâce à Bond, James Bond, pris au hasard sur un rayonnage de la petite bibliothèque, je me suis fait un ami, le seul du séjour, un ami que je n’ai jamais oublié de ma vie.

 

Lui aussi lisait sur un banc, en face du mien, un gros livre relié de cuir noir. Costume clair (blanc ?), canotier et canne posés à coté de lui, c’était un vieux, un très vieux monsieur à la chevelure blanche, immaculée qui m’a impressionné.

 

Perdu dans mon livre, je n’ai plus fait attention à lui : j’étais dans un train international avec une espionne russe aux yeux verts (je viens de vérifier : dans « bons baisers de Russie », l’espionne n’a pas les yeux verts !)

 

C’est sa voix qui m’a tiré du récit, sa voix et son ombre. Il était debout à 3 ou 4 pas de mon banc, son vieux livre relié sous le bras.

 

-          Flemming… c’est un bon choix ; c’est très bien écrit. Cela vous plait ?

 

Je lui ai dit que c’était génial. Il a sourit :

 

-          Génial peut être pas…

 

Il a réfléchi :

 

-          Moi, je connais un livre génial qui parle d’aventures, de bagarres et… de femmes aussi.

 

Il me parlait comme à un adulte. Cela m’a plu.

 

-          C’est Cyrano, Cyrano de Bergerac. Ils l’ont à la bibliothèque. Vous verrez, ça c’est génial… Bonne soirée et bonne lecture.

 

Il porta sa canne à son canotier et se dirigea vers la sortie.

 

Il avait une belle voix grave. J’ai hésité entre homme politique ou acteur… à la retraite. En tout cas, il n’était pas curiste : il n’avait pas le petit panier d’osier.

 

J’ai filé à la bibliothèque. Il était temps : cela allait fermer.

 

J’ai dévoré « Cyrano » en une soirée.

 

C’est étrange : à la première lecture, la tirade des nez ne m’a pas marqué… mais la scène de la pâtisserie et celle du duel avec Christian m’ont fasciné ; les mots, l’humour étaient étourdissants.

 

Je l’ai relu une seconde fois, dès le lendemain matin, dans la forêt, assis sur un tronc d’arbre, près de ma voie romaine, me surprenant à lire à haute voix, certains passages :

 

« Pas bien haut peut être mais tout seul. »

 

Il était déjà sur son banc, l’après midi quand je suis arrivé au parc. Il m’a fait signe d’approcher.

 

-          Cela ne vous gène pas si nous parlons ici ? Comme cela, je peux surveiller la fenêtre en même temps…

 

me dit il en désignant le second étage d’un hôtel en face.

 

Agent secret… il était agent secret.

 

-          Vous comprenez, ma femme se repose ; mais si elle a besoin de moi, elle me fait signe et je remonte tout de suite…

 

Et il enchaîna en me demandant si cela m’avait plu…je lui ai dit que cela était génial. Il a rit

 

-          Décidemment, vous n’avez que ce mot là à la bouche… mais là, je suis d’accord avec vous… c’est vraiment génial.

 

Et il me parla de Cyrano comme plus jamais de ma vie, je n’en entendis parler : avec fougue, avec passion, avec amour. Il me faisait revivre chaque scène ; il était tour à tour De Guiche, Le Bret, Ragueneau, Cyrano lui-même et Roxane aussi…

 

Il me parla d’histoire ; il me parla de théâtre, il me parla de littérature, de cent auteurs, de cent livres que je devais absolument lire… Jules Vernes, Balzac, Hugo, Saint Exupéry et tant d’autres…

 

Mais, et c’est sûrement le plus important, il me parlait de tout cela avec humilité ; oui à moi qui n’était qu’un gamin, il demandait mon avis sur ce qu’il disait. Il y avait un véritable respect de sa part non pas parce qu’il me vouvoyait mais parce qu’il m’écoutait et qu’il prenait en compte mes remarques :

 

-          Oui vous avez raison… vous avez parfaitement raison… mais alors ne pensez vous pas que…

 

Quand il se leva pour regagner son hôtel, je n’en revenais pas, je n’avais pas vu le temps passer. Il porta sa canne à son canotier et me dit :

 

-          j’ai passé un très bon moment en votre compagnie ; je vous en remercie. Bonne soirée et… bonne lecture

 

Je me suis précipité à la bibliothèque qui allait fermer et j’ai pris « les 3 mousquetaires ».

 

Le lendemain après midi, encore attristé par la mort de Constance, assassinée par la perfide Milady (une espionne aux yeux verts ?), je suis arrivé au parc mais le vieux monsieur n’était pas là.

 

Tout l’après midi, j’ai guetté la porte du parc en relisant certain passages de Dumas. Il n’est pas venu. Le soir, je suis passé à la bibliothèque pour rendre le livre et en prendre un autre. La bibliothécaire m’a reconnu :

 

« Ah, c’est vous le jeune homme qui avez emprunté Cyrano avant-hier…

 

Sans me laisser le temps de répondre, elle a farfouillé sous son comptoir et en a ressorti le vieux livre relié de noir que j’avais déjà reconnu.

 

« Tenez, votre grand père est passé ce matin. Il a laissé cela pour vous. »

 

Dans le livre, il avait une lettre. Je suis revenu m’asseoir sur le banc pour la lire.

 

« Mon jeune ami,

 

Déjà, pardon de m’être fait passer pour votre grand-père. J’en ai l’age ce qui en m’en donne pas le droit… mais je crains fort que cette brave femme ne se serait pas chargé de ma commission sans ce petit subterfuge.

 

Je ne suis point venu au parc cet après midi bien que, j’en suis certain, vous avez emprunté et lu Dumas pour que nous en parlions ensemble. Vous voyez, je suis moins fidèle en amitié que Cyrano ne le fut en amour : Bien que blessé, il n’aurait manqué pour rien au monde son dernier rendez vous avec Roxane.

 

Malheureusement, ma pauvre épouse a fait un malaise très sévère cette nuit et nous avons du la rapatrier sur Paris en ambulance. Aussi, pour me faire pardonner ce faux bond, je me permets de vous faire passer ce livre qui ne m’a jamais quitté depuis que mon grand père me l’a donné. Il m’a même suivi jusqu’en Allemagne pendant la guerre. Je n’ai pas de descendance et je suis heureux de vous le transmettre en souvenir de notre conversation d’hier. Vous ne pourrez pas le lire tout de suite car il est en grec, en grec ancien.

 

Apprenez le grec, le grec antique, mon jeune ami,… cela ne vous rapportera pas un centime… j’en sais quelque chose mais, vous verrez, le grec ancien, c’est… « Génial »

 

Ce sont les tragédies d’Eschyle, les premiers textes de l’histoire de l’Humanité écrits alors que la terre, à l’échelle de l’univers, sortait à peine de la préhistoire…et pourtant, Eschyle avait déjà tout deviné, tout compris de la vie…et tout inventé du théâtre…

 

Je vous souhaite une bonne fin de séjour… et surtout, de bonnes lectures… »

 

Je n’ai pas pu déchiffrer la signature.

 

Je n’ai jamais revu ce vieux monsieur et je n’ai jamais su qui il était vraiment mais il n’y a eu, grâce à lui, dans ma vie, plus aucune journée, sans livre…

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

Partager cet article
Repost0
13 avril 2009 1 13 /04 /avril /2009 18:56

 

Le paquet a été monté, chez moi, un matin, vers 10 heures, par la concierge.

 

C’était entouré d’un gros papier kraft, marron. Mon nom et mon adresse étaient inscrits en grandes lettres « bâton » tracées à l’encre noire. Ecriture inconnue. Pas de nom d’expéditeur. 4 timbres non oblitérés.

 

J’ai déchiré l’emballage. C’était une boite à chaussures, grise et anonyme.

 

J’ai ouvert le couvercle. A l’intérieur, entouré d’un papier de soie, 10 boules noires, 10 sphères parfaites d’un diamètre, d’une matière et d’une brillance de bille de billard. On aurait dit de l’ivoire noir.

 

J’en ai pris une en main. Elle était tiède, d’une tiédeur presque animale.

 

C’était plutôt joli… des presse-papiers peut être,… comme on en met sur les bureaux.

 

J’ai tout remis dans la boite, j’ai refermé le couvercle et je suis sorti.

 

Dans l’ascenseur, il y avait Paméla, la fille du 5ème. Je l’ai laissé sortir devant pour lui caresser les fesses. Pas eu le temps de voir si elle portait quelque chose sous sa jupe.

 

J’ai passé tout l’après midi à la plage. Avec la bande, on a fait un peu de ski nautique. Vers 19 heures, on a repris les bagnoles pour aller chez Steve. On a bu et on a fumé toute la soirée au bord de la piscine. Il avait ramené 3 filles qu’il avait draguées, la veille, au casino et qui ont passées la soirée à poil dans l’eau.

 

Je suis rentré chez moi, il était 3 heures.

 

Dès le palier, j’ai entendu des pleurs et des gémissements. Cela venait du salon. J’ai allumé la lumière. Cela venait de la boite grise.

 

J’ai enlevé le couvercle. Les pleurs ont cessé. 2 sphères étaient devenues grises et ternes. Je les ai prises en main. Elle était froides et se sont pulvérisées me laissant comme du talc sur les doigts. Une 3ème boule commençait à se tacher de gris.

 

J’ai sorti de la boite une autre sphère bien noire et bien brillante, celle là. Je l’ai secoué contre mon oreille. Rien, aucun bruit. C’était de la matière pleine, pleine et tiède.

 

Il était tard. J’ai tout remis dans la boite et j’ai refermé le couvercle.

 

Les pleurs ont repris, presque humains.

 

3 ou 4 fois, j’ai retenté l’expérience. Dès que je fermais le couvercle ou la lumière, elles pleuraient…

 

J’ai laissé le carton ouvert et la lumière allumée et je suis allé me coucher.

 

Je me suis endormi tout de suite.

 

Le lendemain, j’ai ouvert un œil à 11 heures passées. J’ai pris une douche et je me suis fait un thé. Pendant qu’il infusait, je suis revenu au salon.

 

2 nouvelles sphères étaient mortes, grises et froides.

 

J’en ai pris une, intacte et j’ai essayé de la rayer avec mon ouvre lettres : impossible. Alors, je me suis décidé : j’ai avalé mon thé et je suis sorti avec les boules survivantes dans leur carton.

 

L’Alfa était garée un peu plus haut sur l’avenue. Les rues étaient vides ce matin. Il ne m’a fallu que quelques minutes pour traverser la ville. Je me suis rangé sur le parking de la clinique, en bordure de mer. Il faisait déjà chaud et la mer était étincelante.

 

A l’accueil, c’était toujours Barbara. Elle était déjà là, du temps de mon père. Elle m’a dit que Paul était dans son cabinet.

 

A plus de 50 ans, sous son bronzage, elle était magnifique. Paul, que je n’avais pas revu depuis la mort de mon père, n’avait pas vieilli, lui non plus.

 

Les banalités d’usage échangées, je lui ai expliqué pourquoi j’étais venu en ouvrant la boite.

 

Amusé, puis étonné, il a eu l’air inquiet quand il en a pris une en main. La tiédeur de la sphère, surtout, a semblé le contrarier.

 

Brusquement, il s’est décidé. Il m’a demandé de lui en laisser une. Il voulait la radiographier, la scanner dans l’après midi. Il souhaitait vérifier quelque chose. Je devais passer la récupérer vers 17 heures.

 

Je lui ai laissé celle qu’il avait en main et j’ai emporté les autres dans leur boite.

 

Je suis revenu vers le centre. Je n’avais rien avalé depuis hier. Je suis allé chez Fred, manger une pizza. J’avais laissé les sphères sur le siège avant.

 

Fred a voulu m’associer à une histoire de cartouches de cigarettes avec l’Italie. Cela ne m’intéressait pas. Après manger, on a joué au flipper avec sa copine. Il m’a proposé de monter avec elle, dans une chambre mais j’ai refusé car la fille, un peu grasse, m’écoeurait.

 

Vers 16 heures 30, j’ai repris ma caisse. Avant de démarrer, j’ai regardé dans la boite. 2 autres sphères avaient des tâches grises. Elles mouraient. La promenade était complètement bouchée ; j’ai mis du temps, plus que le matin.

 

Barbara ne m’a pas vu passer. Elle draguait un vieux. Je suis monté directement chez Paul. C’était désert. J’ai appelé. Pas de réponse. Je suis passé derrière, dans le local d’examen.

 

J’ai tout de suite vu qu’il n’y avait plus rien faire.

 

Il était par terre, devant le scanner qui puait le brûlé à plein nez. Il baignait dans son sang, la moitié de la tête enlevée.

 

En ressortant, j’ai écrasé les restes grisâtres de la sphère qui avait roulée jusqu’au bureau.

 

Barbara n’était plus à son poste. Je n’ai prévenu personne.

 

J’ai redémarré sans oser soulever le couvercle. Cela me faisait peur maintenant. Je suis allé au promontoire à la sortie de la ville. La mer est très profonde à cet endroit là. Il y avait quelques touristes. J’ai pris la boite et je me suis éloigné. Je me suis approché du vide et j’ai lancé le tout le plus loin possible du bord. Cela a coulé tout de suite. Personne n’a rien vu.

 

J’ai fini la journée dans un bar, à coté de l’aéroport, devant de la vodka.

 

Il était une heure quand je suis rentré chez moi et les flics m’attendaient.

 

Pas pour Paul mais pour Steve qui venait de se tuer en voiture sur l’autoroute avec les 3 filles d’hier soir. Sa Jaguar s’était, sans aucune raison apparente, encastrée dans une pile de pont et s’était embrasée. Il fallait que je vienne, le lendemain, reconnaître le corps ou du moins ce qu’il en restait.

 

Je n’ai pas bien dormi cette nuit là.

 

Je suis parti pour la morgue vers 10 heures. En chemin, j’ai acheté « Nice matin ». La mort de Paul et celle de Steve étaient dedans.

 

Pas à la même page.

 

Celle de Paul, radiologue éminent, victime de l’explosion, inexplicable, de son scanner, était à la une, avec une nécro sur 2 colonnes. Celle de Steve, en page 4, dans les faits divers, faisait 5 lignes et un titre : « l’alcool a encore tué sur l’autoroute de l’Esterel »

 

Je les ai enterré le même jour, 48 heures après, dans le même cimetière. Paul, à 10 heures, en présence du Préfet ; Steve, vers 15 heures, avec toute la bande.

 

Je n’ai jamais su qui m’avait envoyé ce paquet.

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

Partager cet article
Repost0
11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 18:50

 

Cette fois-ci, la scène avait été horrible ; plus que d’habitude. L’un comme l’autre, nous cherchions du fond de notre colère les mots les plus durs et les plus laids. Il ne s’en est fallu d’un rien que je ne la gifle et qu’elle ne me griffe le visage.

 

Alors, elle a pris nos 2 enfants, en pleurs, par la main, elle les a fait monter en voiture et elle est partie en faisant hurler la boite de vitesses.

 

Quand j’ai été un peu calmé, j’ai essayé de la joindre sur son portable. Elle n’a pas répondu. Je n’ai pas laissé de message. J’ai sonné le poste de garde. Elle était bel et bien sortie du camp, une heure auparavant. J’ai hésité à appeler sa mère… et puis j’ai renoncé.

 

Il était 20 heures et la nuit tombait sur le désert, autour de la base. Je décollais vers minuit, pour une mission de 4 jours sur Mercure. Je me suis allongé sur le canapé du salon.

 

4 jours, peut être que d’ici là, tout s’arrangerai, qu’elle serait là, à mon retour… je n’y croyais pas trop. On avait été trop loin cette fois ci…

 

3 heures du matin, heure terrienne :

 

Je suis seul à bord du vaisseau qui cingle vers Mercure. C’est un gros cargo de transport. Avant, il y a encore 1 an, on était 2 membres d’équipage sur ce type de bâtiment, mais avec la crise…

 

Cette nuit, en fait, je préfère être seul dans la phosphorescence des cadrans du poste de pilotage.

 

Dehors, c’est le néant, l’immense, l’éternel néant sidéral. Très loin, à tribord, une aurore boréale joue sur la harpe de la voie lactée.

 

D’habitude, ici, dans le cosmos, en regardant l’étonnante chorégraphie des planètes, j’oublie mes ennuis terrestres.

 

Mais, aujourd’hui, impossible : Je vois et je revois, je revis en boucle ce cauchemar, j’ai toujours dans les oreilles, ces mots, ces mots horribles que nous nous sommes jetés, aussi douloureux à recevoir que des pierres.

 

Et pourtant, je sais qu’elle a raison. Ce n’est pas une vie pour elle que d’habiter au milieu du désert, sur cette base militaire, loin de la ville et des boutiques, loin de sa mère, loin de tout. Avec mon métier, je ne suis jamais là, jamais plus de 2 jours par semaine, toujours parti aux frontières du système solaire un peu comme mon grand père, routier dans le grand nord canadien ou comme mon père, pilote de ligne. L’un comme l’autre ont divorcé 3 fois et ont fini leur vie, seul. Moi, je suis marié avec elle depuis 25 ans… et je ne veux pas la quitter.

 

Elle s’ennuie.

 

J’ai un sentiment confus de gâchis, d’inutilité… je suis fatigué, fatigué de cette vie, de ces disputes… fatigué comme le vieux vaisseau que je pilote.

 

3 fois déjà, depuis le début du voyage, le voyant rouge d’alarme générale s’est allumé.

 

Fausse alerte. Ce n’est rien ; sûrement un faux contact.

C’est réellement vieux et dangereux là-dedans. La porte de la soute tient, bricolée, avec une chaîne et un cadenas. Sur un hublot, à bâbord, du givre ; ce n’est plus étanche : une petite fuite… sans importance.

 

10 heures que je pilote.

 

Piloter : quel grand mot. Tout ou presque est automatique. Je ne fais qu’appliquer une suite de processus. Je suis un guetteur de cadrans. A 42 ans, je suis resté tout en bas de la hiérarchie militaire et de l’échelle sociale. On ne me demande aucune initiative, aucun jugement, aucune décision… tout est préformaté.

 

Ainsi, dans 10 minutes, je vais entrer en orbite d’approche. Le protocole d’arrivée sur Mercure, l’un des plus difficiles à cause de la proximité du soleil, prévoit le moment exact où je dois basculer le levier du gyroscope. C’est la seule action qui n’a pu être automatisée du fait des orages magnétiques si fréquents dans la région. C’est, en théorie, le seul vrai danger de la traversée. Si je désobéis à l’ordinateur de vol et que je n’abaisse pas le levier en question à la seconde dite, c’est la catastrophe : trop tôt, je vais m’écraser sur le sol de la planète, trop tard, je serai aspiré par l’attraction solaire. A ma connaissance, il n’y a jamais eu d’accident sur cette ligne

 

D’un autre coté, si tout se passe bien, dans 12 heures, je repars vers la terre où m’attendent un appartement vide, une procédure de divorce que je n’accepte pas et au moins encore 15 années d’un travail idiot et stérile.

 

Le vaisseau se met à vibrer comme s’il avait compris mon hésitation. Déjà 2 voyants sont passés à l’orange et le signal sonore stridule…

 

Sans que je le veuille vraiment, ma main s’éloigne du levier. Je coupe toutes les alarmes et la radio car, en bas, ils ne vont pas tarder à voir que quelque chose cloche et ils vont m’appeler. Je n’ai pas envie de leur parler, de leur expliquer.

 

Le poste de pilotage est devenu sourd et aveugle et le vaisseau, ignorant la planète qui l’attendait, pointe son nez vers l’incandescence de l’étoile qui calcine le zénith.

 

2 heures sont passées. Mercure est loin derrière moi. Il fait de plus en plus chaud. La lumière derrière les hublots est insoutenable. Mes yeux me brûlent. Je dois les fermer et sous mes paupières, je garde, gravée sur ma rétine, une image : elle, à 16 ans… c’était la première fois que je la voyais, dans la cour du collège…

 

Je sais que c’est bientôt la fin. Même si je le voulais, impossible de faire demi-tour. J’ai chaud, je suis brûlant et dans cette fièvre, comme un délire, j’ai dans la tête, cette musique que mon grand père écoutait dans la cabine de son camion… un truc qui disait : « Set the control… ». Je ne sais plus la suite mais ça parlait du soleil.

 

J’espère qu’elle croira à un accident et que personne ne la détrompera. Je ne veux pas qu’elle vive avec cela sur la conscience, toute sa vie.

 

Que fait-elle ? Que fait elle, là maintenant ?

 

Je l’imagine dans le jardin de sa mère, se reposant, dans une chaise longue, au soleil.

 

Elle ne sait pas… elle ne sait pas que bientôt, dans cette lumière, dans cette chaleur, sur sa peau, un peu de moi viendra, du fond de l’univers, l’enlacer et l’embrasser, une dernière fois…

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

Partager cet article
Repost0
11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 00:08

 

Celui qui me manque le plus depuis que je suis là, c’est « La Moustache ».

 

C’est lui qui venait me garder quand elle sortait.

 

Je l’aimais bien car il ne disait rien. Il me faisait manger avec des gestes lents et calmes. Il ne criait pas quand je bavais ou que je recrachais tout.

 

Il me couchait dans mon lit à barreau mais lui, il ne m’attachait pas. Il n’éteignait pas la lampe. Il ne me laissait jamais seul, dans le noir. Je crois que, quand il était là, il ne dormait pas de la nuit. Il restait à coté de mon lit et quand j’étais énervé, quand je m’agitais, il posait sa grosse main sur mon front. Je m’endormais.

 

Un jour, il n’est plus venu. Je ne sais pas pourquoi. Alors, quand elle sortait, c’était des gens, jamais les mêmes, qui venaient me garder.

 

Ils étaient moins gentils que « La Moustache », ce vieux monsieur que je n’ai jamais revu.

 

Elle – je ne sais  pas qui elle est – elle était souvent… bizarre.

 

Des fois, elle me serrait fort, trop fort contre elle en me disant… des mots que je ne comprenais pas, que je n’ai jamais compris.

 

Elle m’appelait… son … « amour »… son …« tout petit… »

 

J’aimais pas quand elle était comme ça car sa bouche sentait mauvais et ses yeux me faisaient peur. Et puis, elle riait et elle pleurait en même temps.

 

Mais, le plus souvent, elle criait après moi en me secouant….elle s’énervait tout de suite et elle m’appelait « son golien ».

 

J’étais son « golien » ; je n’ai jamais su ce que cela voulait dire mais c’était méchant.

 

De plus en plus, elle me laissait seul, dans le noir, attaché aux barreaux. Je ne dormais pas ; j’étais malade de peur. Cela me donnait mal au ventre ; alors je me soulageais dans les draps.

 

Elle ne rentrait que lorsqu’il faisait clair derrière la fenêtre. Elle venait se pencher sur mon lit. Elle puait, elle puait de partout et comme moi aussi je puais de tout ce que j’avais fait durant la nuit, elle s’écartait très vite, l’air écœuré.

 

Je crois que si on ne s’aimait pas, c’était à cause de nos odeurs.

 

Un jour, elle a ramené quelqu’un à la maison, un homme, au poil tout noir, plus jeune mais moins beau que « La Moustache ».

 

Moins gentil aussi. Quand il m’a vu, il a eu l’air étonné, contrarié.

 

Il lui a reproché de ne pas lui avoir dit que j’étais « son golien ».

 

Il a crié ; elle a pleuré.

 

Ce soir là, je n’ai pas mangé ; elle ne m’a pas changé.

 

Juste elle a fermé la lumière et la porte.

 

Dans sa chambre, ça a encore crié un peu et après il y a eu plein de bruits, des bruits qui m’ont donné envie de me soulager, moi aussi. C’est parti très vite, dans les draps.

 

J’étais énervé ; je n’ai pas pu dormir.

 

Il est resté. Il ne m’aimait pas. Il me regardait de loin, l’air dégoûté. Il ne m’a jamais touché ; heureusement.

 

Ils criaient souvent ; à cause de moi je pense. Souvent il disait que « c’est lui ou moi, il faut choisir ».

 

Elle l’a fait.

 

Un jour, il n’était pas là. Elle m’a habillé ; elle m’a mis dans ma poussette.

 

On est allé derrière la porte ; là ou j’avais peur, ou il fait froid et ou il y en plein qui me regardent « mal »

 

Elle m’a emmené ici ; à l’hôpital, on m’a dit.

 

Elle m’a serré fort, trop fort contre elle en me disant qu’elle viendrait, qu’elle viendrait souvent.

 

Elle puait, elle n’avait jamais tant pué de la bouche.

 

Elle est venue 2... Peut être 3 fois ; je sais plus car j’ai du mal à me souvenir maintenant.

 

Ici, ce sont des gens en blanc ou en vert qui s’occupent de moi. Certains sont gentils ; d’autres me font mal en me faisant ma toilette ; la plupart sont indifférents.

 

Mais je suis au chaud, je suis dans mon lit ; on me donne à boire et à manger ; on me change… mais je suis tout le temps attaché.

 

Alors je ne vois plus que le plafond et une grosse fissure dedans. Je ne vois pas d’où elle part ni ou elle va… je n’en vois qu’une petite partie.

 

Quand je m’ennuie trop, je me soulage en pensant aux bruits que j’entendais avant.

 

Je m’ennuie souvent. Je n’ai presque plus de souvenirs.

 

Les visages passent. Le seul dont je me rappelle un peu, c’est celui de la « Moustache ».

 

Il me manque. Mais peu à peu je l’oublie lui aussi.

 

J’oublie les mots car presque personne me parle.

 

J’oublie les choses ou plutôt le nom des choses.

 

Mais c’est pareil.

 

L’autre jour, de la chaleur et de la lumière sont venues sur mon visage.

 

J’ai mis longtemps, longtemps à me souvenir que cette lumière et cette chaleur c’était « du soleil… » ou plutôt que cela s’appelait « du soleil ».

 

Je ne suis plus le « golien » de personne.

 

Je ne suis plus rien.

 

Et je me demande combien de temps cela va durer…

  

Le « temps »… je ne sais même plus ce que c’est… le « temps »

 

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

 

Partager cet article
Repost0
29 mars 2009 7 29 /03 /mars /2009 14:53

C’était un 3 ou 4 Août, je ne sais plus, un lundi matin en tout cas. J’étais entre Royan et Saintes. J’allais rejoindre l’autoroute. Je devais être à Paris avant 14 heures pour une réunion. La route était déserte et le soleil brillait déjà haut dans le ciel. L’air vif et frais pétillait comme une coupe de champagne.

 

Et puis, « France info » a annoncé que les pompistes étant en grève depuis le début du week end, presque toutes les stations services étaient à sec ce matin. Le problème, c’est que je n’avais pas eu le temps de refaire le plein samedi ou dimanche et que mon ordinateur de bord indiquait 135 Km d’autonomie ; ce qui est notoirement insuffisant pour rejoindre la Capitale à 500 Km.

 

Effectivement, toutes les pompes sur ma route, à Médis, à Saujon et même dans la banlieue de Saintes étaient fermées. J’ai tout de même pris l’A 10 en me disant qu’une grève n’est jamais suivie à 100% et que sur l’autoroute, tout de même…

 

Là aussi il n’y avait presque personne ; quelques camions espagnols ou portugais encore scintillant de l’humidité de la nuit… et aucune station ouverte.

 

Le voyant s’est allumé ; j’ai encore fait 30 Km et je suis sorti à Niort.

 

Personne au péage ; rien que des automates à carte bleue.

 

Niort est certainement une très belle ville… quand on la trouve. Je n’ai pas vu de panneau et je me suis retrouvé en rase campagne, sur une route très certainement départementale, traversant des villages déserts et sans garage.

 

Cela devenait sérieux ; la jauge était définitivement sur 0.

 

Je suis entré dans un bourg un peu plus important et 200 mètres après, au sortir d’un virage, 2 motards m’ont fait signe de me ranger sur le bas côté.

 

Il y a des matins comme cela où tout part en quenouille. Et en plus, je ne pouvais même pas protester, j’étais au moins à 80…

 

Ils se sont dirigés vers moi. J’ai baissé ma fenêtre. Ils m’ont salué :

 

-       Bonjour Monsieur. Nous vous attendions. Suivez nous, nous allons vous ouvrir le chemin…

 

Et toutes sirènes hurlantes, ils m’ont fait traverser le village. 500 mètres après, nous nous sommes arrêtés sur un parking, devant un cimetière.

 

L’un des motards est venu ouvrir ma portière et au garde à vous :

 

-       vous êtes arrivé, monsieur. Ils sont à l’intérieur.

 

Je suis entré, un peu stressé, dans l’enceinte du cimetière, m’attendant à trouver des officiels installés sur des tréteaux, suspendant, sur le champ, le permis de conduire des contrevenants

 

Mais non, ni tréteau, ni préfet, rien qu’un groupe de personnes, certaines en deuil, qui attendaient en parlant à voix basse dans le silence recueilli des tombes doucement réchauffées par le soleil. Au loin, on entendait un coq et le grincement d’une poulie.

 

Il y avait là le maire, rubicond, ceint de son écharpe, une représentation d’anciens combattants avec drapeaux et médailles et un homme, jeune, la trentaine, en costume sombre, l’air triste, qui s’est approché de moi, la main tendue :

 

-       Vous êtes le représentant du Quai ?

 

C’était plus une affirmation qu’une question. Je l’ai regardé… je devais avoir l’air… l’air…enfin… étonné mais en fidèle lecteur de Simenon et compte tenu de la situation, je lui ai répondu :

 

-       Si vous parlez du Quai des Orfèvres, la réponse est non.

 

Il a souri tristement

 

-       Mais non, du quai d’Orsay, du ministère.

 

Lui aussi venait de comprendre que seul un quiproquo m’avait conduit jusqu’à là.

 

-       Non, je ne suis pas des affaires étrangères ; tout au plus de celui de la Santé et encore par délégation.

 

Il fit une grimace.

 

-       Je suis désolé ; nous enterrons mon oncle Georges. Nous attendons le convoi qui arrive de Paris et j’avais prévenu la préfecture qu’un émissaire du ministre viendrait probablement aux obsèques.

-       Probablement ?

-       En fait, ce serait plutôt « probablement pas ».

 

Il me désigna le centre du groupe qui attendait toujours :

 

-       vous voyez la dame toute en noir, très âgée, toute menue. Elle a 90 ans, c’est ma grand-mère, la maman d’oncle Georges. La pauvre, elle est complètement perdue. Mes parents sont morts. Je me suis occupé de tout…

 

Là, il laissa passer un long, très long silence. Il se bagarrait avec des larmes qu’il ne voulait pas montrer.

 

-       Oncle Georges est mort brusquement, il y a 4 jours, d’une crise cardiaque, dans la rue, boulevard saint Michel…

-       Mon oncle aussi est mort comme cela

-       Il travaillait comme huissier au ministère des affaires étrangères depuis 35 ans… vous savez ces employés, en habit noir, avec une chaîne d’argent au gousset qui, assis à un bureau, sur les paliers, renseignent les visiteurs. Dans 6 mois, il partait à la retraite

 

Il s’arrêta à nouveau et me prit le bras pour faire demi-tour dans l’allée.

 

-       mais je vous fais perdre votre temps…

-       Non, non, je vous assure…

-       Oncle Georges vivait à Paris, seul, un 2 pièces, près de l’Opéra. Mais dès qu’il avait quelques jours de vacances, il venait ici, voir sa mère qui est du village. Vous êtes passé devant sa maison en venant. Il connaissait tout le monde et tout le monde le connaissait. Pour tous c’était le « Monsieur » du ministère… même le maire, dès qu’il y avait des élections en vue, venait lui demander son avis.

 

Il eut un sourire, un véritable sourire d’enfant, d’enfant qu’il était quand il venait, sûrement, passer ses vacances d’adolescent ici…

 

-        Il fallait le voir au bord de la rivière, entouré de pécheurs ou au café, à l’heure de l’apéritif, commentant les infos de la télé. Pour chacun, même pour sa mère, c’était un proche du pouvoir, un conseiller, un familier, un ami presque des ministres et des secrétaires d’état qui se sont succédés et qu’il appelait tous par leur prénom. Pour les affaires graves… la guerre en Irak ou le « 11 septembre » par exemple… il prenait un air mystérieux et disait que c’était trop grave pour qu’il en parle comme cela… vous êtes certain que je ne vous ennuie pas, au moins ?

-       Non, je vous assure, continuez.

-       Dès qu’il a été question des obsèques, ma grand-mère a souhaité respecter ce qu’elle pensait être ses volontés. Pas d’église et un enterrement ici dans le caveau familial. Mais elle m’a demandé de prévenir le Quai, persuadée que quelqu’un (elle n’osait pas penser au ministre… quoique…) viendrait dire quelques mots

 

Il laissa passer un long silence. J’avais compris mais je le laissais terminer

 

-       J’ai appelé le ministère. On m’a baladé de bureau en bureau. Je suis enfin tombé sur un chef de service. Il m’a dit qu’il transmettrait la nouvelle à la DRH. Manifestement, il s’en foutait. Ce n’était pas son problème.

 

Encore un silence, pesant celui-ci

 

-       J’ai été lâche. J’ai dis à ma grand-mère qu’un émissaire du ministre viendrait et j’ai commandé un gros coussin de fleurs où j’ai fait inscrire : « A Georges ; ses amis et collègues du quai d’Orsay »

 

Il passa une main dans ses cheveux, l’air soudain très las :

 

-       Voila, vous savez tout. Le convoi ne va pas tarder maintenant. L’enterrement est prévu pour 9 h 30 et il n’y aura pas de représentant du ministre. Je mentirai à ma grand-mère le mieux possible.

 

Au loin, il y avait la vieille dame qui n’arrêtait pas de regarder vers nous. Il avait l’air bouleversé, à bout de force…

 

Alors j’ai dit:

 

-       Vous ne croyez pas, cher ami, qu’il serait temps que j’aille présenter mes hommages à madame votre grand-mère en l’assurant de la sympathie de Monsieur le Ministre en mission depuis hier en Afghanistan ?

 

Il a rougi comme le gamin qu’il était et on est revenu à pas rapides vers le groupe qui attendait.

 

2 minutes après, le convoi est entré dans le cimetière. La cérémonie a duré 25 minutes environ. J’ai parlé près de 15 minutes et je crois que Georges aurait été très fier du portrait que j’ai fait de lui.

 

Je leur ai décrit le « Georges » qu’ils attendaient, tel qu’ils l’imaginaient, tels qu’ils le voyaient au ministère, discret bien que connaissant les secrets de la République, respectueux bien que dans l’intimité des ministres qui, eux, passent et se succèdent.

 

Prétextant des engagements parisiens (bien réels ceux là), j’ai refusé le verre de pineau que le maire offrait à l’hôtel de ville mais j’ai assuré sa réélection en affirmant à haute voix que la haute administration appréciait à son juste prix son action et son engagement au service de tous.

 

Le jeune homme m’a raccompagné à ma voiture. Il m’a longuement serré la main :

 

-       je crois que dans ce genre de situation on dit : « Je ne sais pas comment vous remercier, non ? »

-       moi je sais : dites-moi où je puis trouver de l’essence

 

Il a réfléchi 2 secondes et est parti parler aux motards

 

J’ai retraversé le village derrière eux, qui, pour bien marquer l’importance de leur mission et de l’émissaire qu’ils escortaient, ont poussé à fond leurs sirènes.

 

J’ai fait le plein à une pompe qu’ils ont réquisitionné et ils m’ont accompagné jusqu’au péage dans le même équipage.

 

A 13 h 45, je garai ma voiture au parking de mon boulot.

 

J’étais à l’heure pour ma réunion.

 

Sacré Georges.

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

Partager cet article
Repost0
15 mars 2009 7 15 /03 /mars /2009 23:06

L’avion s’est stabilisé et l’hôtesse est passée avec des coupes de champagne. En détachant ma ceinture, j’ai pensé que rien n’est plus facile pour une meurtrière, même recherchée, de passer une frontière.

 

Car je suis une criminelle et mon crime est le plus abominable de tous, celui que personne ne comprend ni ne pardonne : j’ai tué mes 2 enfants.

 

Je l’ai fait calmement, sans haine et sans hâte. Je l’ai fait car je savais que c’étais la seule chose qui ferait réellement, épouvantablement souffrir leur père, mon mari, l’homme qui m’avait trahi et que malgré tout, en dépit de tout, j’aimais toujours.

 

J’ai également tué la petite dinde qu’il avait engrossée, paraît-il, et qu’il voulait épouser…

 

Oui, pour lui, j’ai tué 3 fois, puis j’ai pris la petite valise que j’avais préparée avant, j’ai vérifié que mon passeport et mon billet d’avion étaient bien dans mon sac et j’ai appelé un taxi pour Roissy.

 

Soyons clair. La prison ne m’effrayait pas mais je devais rester libre pour avoir une chance de le reconquérir, de le ramener vers moi. Je m’éloignais pour mieux revenir.

 

J’ai passé sans encombre les contrôles d’embarquement et de police. Pourtant, je suis certaine qu’à ce moment là, ma photo était déjà diffusée partout. Mais, ce n’est pas mon visage que le flic regardait en tamponnant mon visa : Je suis une belle, une très belle femme. Je le sais.

 

En passant au dessus des côtes normandes, j’ai incliné mon fauteuil et dans le silence j’ai fermé les yeux.

 

La première fois que nos regard se sont croisés, j’avais 19 ans et lui 22, à peine, mais instantanément, j’ai su que c’était lui et qu’il n’y aurait que lui pour toute ma vie.

 

Il était beau, un vrai mannequin de mode ; blond, grand, large d’épaules et les yeux aussi bleus que l’eau des piscines où il s’entraînait. Il venait pour un stage de natation en Grèce où j’habitais avec mes parents à l’époque.

 

Sans un mot, il ne parlait qu’anglais et moi que le grec, il m’a séduit. C’était mon premier amant mais avec lui, dès la première fois, celle qui m’a fait devenir femme, j’ai connu ce que souvent les autres mettent plusieurs années à découvrir, quand elles le découvrent.

 

Ceux qui parlent d’amour fusionnel ne savent pas de quoi ils parlent. La fusion, ce n’est pas entre 2 êtres qu’elle se passe... plus égoïstement, c’est à l’intérieur de chacun que cela s’embrase. C’était vraiment de la lave en fusion qui coulait dans mes veines et explosait dans mon ventre dès qu’il m’approchait, dès qu’il me touchait.

 

Je ne sais pas pourquoi je parle au passé. Dès que je pense à lui, la même fièvre qu’il y a 5 ans me saisit… je l’aime je l’aime comme une damnée dont il serait à la fois l’enfer et le paradis.

 

Le soleil se couchait et venait m’éblouir à travers le hublot. J’ai tiré le rideau et me suis replongée dans mes souvenirs.

 

Mes parents se sont tout de suite et très violemment opposés à notre liaison. Dès qu’il l’a appris, mon père m’a convoqué dans son bureau et hors de lui, il hurlait en me traitant de la pire des façons. Il a tellement hurlé que brusquement, il s’est effondré en tenant son cœur à 2 mains. Je le revois gisant sur le tapis, râlant déjà et je m’aperçois que tout à l’heure je n’ai pas dis la vérité ; ce ne sont pas 3 personnes que j’ai tué pour mon homme, mais 4 même si pour mon père, je n’ai pas agi directement, je ne l’ai pas frappé… je n’ai rien fais, tout simplement. Je savais qu’en glissant une pilule entre ses lèvres, la crise se passerait mais je n’ai pas allongé la main pour prendre le tube de médicaments qui étaient sous mon nez sur son bureau ; j’ai attendu … tout simplement.

 

3 mois après, j’ai touché ma part d’héritage. Je suis devenue une jeune fille très riche, l’un des plus beau partis d’Europe. J’ai filé à Las Vegas et je suis devenu officiellement madame J.Junior. Smith…

 

Nous nous sommes installés en France, à Paris. Nous aurions pu vivre sans rien faire mais avec l’héritage, il a voulu ouvrir une galerie d’art. J’ai vécu avec lui les 5 plus belles années de ma vie. Il avait un goût affirmé ; il savait ce qui allait marcher et très vite sa galerie est devenue un lieu de rendez vous du tout Paris. Des artistes, des hommes politiques, tous les people venaient à ses vernissages. Nous faisions souvent la une des journaux. Nos journées comme nos nuits se passaient dans une sorte de fièvre torride et délicieuse.

 

Il m’a fait deux beaux enfants, des garçons aussi blonds que lui, qu’il adorait. Il les appelait mes trésors… et il m’appelait sa princesse.

 

Je ne suis pas dupe ; il a sûrement donné des coups de canifs à notre contrat de mariage. Il était si beau, si cultivé. Il recevait très souvent dans son bureau, de jeunes femmes, peintres ou sculpteuses qui pour exposer dans sa galerie étaient prêtes à tout…

 

Non je suis injuste, il n’avait même pas besoin de cela… c’était le charme même et rares étaient celles qui auraient pu résister.

 

Mais je m’en moquais, cela ne prêtait pas à conséquence… dans le milieu que nous fréquentions, coucher, c’était normal ; cela faisait parti des usages… moi même…rien que pour me prouver qu’avec 2 grossesses je pouvais encore séduire… mais soyons franche. Jamais je n’ai éprouvé avec un autre ce que je ressentais avec lui…

 

Et puis un jour, il y eu la dinde. Dès le premier moment, j’ai senti le danger, j’ai senti qu’il n’était pas avec elle comme avec les autres. Cela faisait 2 mois que cela durait. Elle venait à la galerie tous les jours. Un matin, il m’a dit qu’il l’avait embauchée comme secrétaire ; elle dont le père était un industriel renommé, riche à millions si ce n’est à milliards…, secrétaire… il se foutait de moi et j’étais malheureuse comme jamais je ne l’avais été…

 

Ce fut un soir, qu’il m’annonça qu’il voulait divorcer, qu’elle était enceinte et qu’il voulait l’épouser.

 

Je n’ai rien dit, je l’ai laissé parler ; il a cru que j’étais d’accord ; il avait déjà contacté un avocat. Mais, moi dès la première seconde, j’ai cherché et trouvé comment lui faire aussi mal qu’il me faisait mal. En tuant ses 2 fils; Et la dinde aussi, surtout à cause du mioche qui poussait dans son ventre.

 

Voilà comment à 25 ans à peine, je suis devenue une criminelle, recherchée par toutes les polices du monde mais qui comptait sur sa fortune et sur sa beauté pour échapper à la justice et reconquérir son amour, son éternel amour.

 

La nuit était tombée et loin, très loin en dessous, il y avait le gouffre insondable de l’océan. C’est alors que dans le silence feutré de ces premières classes, j’ai pris conscience de la présence d’un homme, un asiatique énorme qui avait la prestance d’un maharadja et la sagesse d’un bouddha. Il me regardait et m’a souri. J’ai incliné la tête pour lui répondre. Je ne savais pas qui il était mais j’étais certaine que je l’avais déjà vu dans les journaux.

 

Pour me dégourdir les jambes, je me suis dirigé vers les lavabos. Dans le mess, deux hôtesses préparaient les plateaux repas. J’ai fais signe à l’une d’entre elle et à voix basse je lui ai demandé qui était cet homme. Immédiatement elle a pris un air déférent comme si elle parlait d’un dieu vivant. Je n’ai pas compris grand-chose avec le bruit si ce n’est que c’était le souverain d’un royaume au coeur de l’Himalaya, ami des grands de ce monde et certainement dans les 5 premières richesses du monde. Il avait du prendre un vol régulier car son jet privé avait rencontré des problèmes techniques en Suisse. Tout son staff, 7 personnes, l’accompagnaient en classe « affaire ».

 

En sortant des lavabos, je suis allé au bar et j’ai commandé un bourbon. J’ai senti une présence derrière moi. C’était lui. Il me demandait l’autorisation de boire avec moi.

 

En arrivant à San Francisco, je n’ai eu aucun problème à la douane. Son altesse Suong Li 1er (ami personnel du président Obama m’avait il confié dans l’avion), m’a fait passer avec lui par la porte des « VIP ». Il m’avait demandé de l'accompagner à une party que donnait un acteur, chez lui, à Beverly

 

L’agent de l’immigration américaine est venu en personne saluer son altesse en lui disant que tout était en ordre.

 

C’est lui qui, en refermant la portière de la limousine, m’a dit en s’inclinant :

 

-       Bon séjour Lady Mayday

 

Alors, avec un grand sourire, je lui ai répondu :

 

-       Non, pas Mayday, Lady Médée, Lady Helena Médée…

 

Et Suong à ajouté :

 

-       Et pourquoi pas,  peut être, bientôt, son Altesse Helena Medée ?

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

Partager cet article
Repost0
7 mars 2009 6 07 /03 /mars /2009 19:01

 

Marie, en sortant de sa douche, sans même se sécher, s’examina dans le miroir, au dessus de la vasque du lavabo. Elle se trouvait mauvaise mine. Elle se regardait rarement ; elle s’était toujours regardée rarement, trouvant son visage…quelconque, ni beau, ni laid. Mais là, elle était pâle et ses yeux étaient soulignés de cernes, de rides qui n’étaient pas là, elle en était certaine, il y a quelques semaines. Oui, ce matin là, elle s’était trouvée… vieille. Vieille ? Est-on vieille à 59 ans ?

 

Elle se retourna et se regarda, en pied cette fois là, dans le miroir long et étroit de la porte. Il y avait bien longtemps qu’elle ne s’était pas regardée ainsi, entièrement nue… et ce qu’elle vit ne lui plaisait pas. Sa silhouette s’était… comment dire…affadie. Elle n’était ni grosse, ni maigre ; elle n’avait pas bougé de poids depuis sa grossesse, il y a … combien ? Mon dieu, 35 ans déjà… elle n’était ni laide ni difforme mais ce corps blanchâtre, aux formes molles, sans tonus, lui semblait … obscène.

 

Elle passa très vite un peignoir d’éponge orange en se demandant, presque anxieusement, si un homme pourrait encore avoir envie d’elle…

 

Décidemment, elle n’allait pas très bien.

 

Pourtant, c’était un matin comme les autres. Levée à 7 heures, elle était tout de suite entrée dans la salle de bain, avait allumé la radio pour écouter les infos. Aucune nouvelle particulièrement alarmante, aucun fait divers sordide qui vous marque pour la matinée voire pour la journée entière. C’était le journaliste habituel dont la voix chaude et rassurante peuplait le silence qui régnait dans le 3 pièces. Rien pour expliquer ces idées tristes, moroses.

 

Elle passa dans la chambre pour s’habiller puis dans la cuisine pour faire chauffer l’eau du thé et griller ses tartines. Par habitude, elle alluma la télé pour regarder la météo et l’horoscope du jour. C’était la petite présentatrice brune, celle qui avait failli être renvoyée car elle avait été surprise, par des policiers, très occupée dans sa voiture avec un producteur …

 

Marie s’assit à sa table de cuisine pour beurrer ses tartines en se demandant depuis combien de temps elle n’avait pas fait l’amour. Son fils avait 10 ans quand elle avait divorcé et en 25 ans, elle n’avait connu que deux aventures; la première, d’une nuit, juste après sa séparation, un peu par vengeance ; la seconde qui avait duré un peu plus longtemps, un mois environ. Et puis elle s’était désintéressée de la chose. Cela ne lui avait pas manqué et de toute façon aucun homme ne s’était intéressé à elle.

 

A 8 heures pile, elle était dans l’ascenseur qui l’amena d’une seule traite au – 2. Quand les portes s’ouvrirent, la machine l’informa qu’elle était au niveau « parking » et lui souhaita une bonne journée.

 

Cela commençait mal. Elle du attendre plusieurs minutes avant de pouvoir sortir de sa rue à cause des éboueurs qui s’arrêtaient devant chaque porche.

 

En arrivant sur le périphérique, le GPS l’informa que Porte de Levallois, 5 km plus loin, un accident occasionnait un bouchon de 2500 mètres. Il lui proposa un itinéraire de remplacement qu’elle accepta. D’une voix métallique, il la guida durant les 20 minutes que dura son trajet.

 

Elle arriva à 8 heures 35. Sa place de parking était au niveau – 5. C’était sombre et presque désert. Seules les prises électriques pour recharger les véhicules hybrides, luisaient faiblement.

 

Comme tous les matins, l’ascenseur la conduisit, sans escale, au 18e étage et tandis que les portes s’ouvraient dans un soupir, une voix de synthèse lui souhaita une bonne journée comme ce soir, au départ, elle lui souhaiterait une bonne soirée.

 

Elle travaillait dans un open space de 25 ou 30 postes de travail. Elle avait connu, il y avait longtemps, ce bureau bourdonnant comme une ruche et puis, avec la crise, la société américaine qui l’employait, basée en Floride, n’avait conservé que 2 salariés en France : elle et un vieux type un peu sale qui s’installait le plus loin possible d’elle. Ils ne se parlaient jamais même pour se dire bonjour et elle n’avait aucune idée des fonctions qu’il occupait. Tous les autres, au fur et à mesure du temps, avaient été licenciés. Chaque lundi, 2 ou 3 d’entre eux trouvaient dans leur boite électronique, un message leur signifiant leur congé et le montant du cheque qu’ils recevraient. 5 minutes après, leur micro était désactivé : ils n’avaient plus qu’à partir. Elle n’avait pas compris pourquoi elle et le vieux avaient échappé aux charrettes.

 

Elle ouvrit son micro et prit immédiatement connaissance de ses mails. Ce jour là, elle avait 3 notes de synthèse à rédiger et à envoyer avant 17 heures sur des articles relatifs au commerce de la graine de couscous en Océanie et une recherche à effectuer sur les droits de douanes entre l’Irlande et la Mongolie.

 

Elle se mit au travail et vers 10 heures, elle avait déjà terminé la première note qu’elle envoya. On ne lui répondait jamais, jamais on ne lui demandait de précisions. Son travail devait être apprécié car tous les 6 mois elle recevait de la DRH un mail la remerciant de sa contribution aux résultats de l’entreprise et l’informant du montant de la prime qui lui était allouée.

 

Elle alla à la machine à café devant les ascenseurs. L’« automat » lui demanda si elle souhaitait un café long ou court, avec ou sans lait, avec ou sans sucre. Exceptionnellement, ce matin là, il ne lui demanda pas de faire l’appoint et lui rendit sa monnaie.

 

A midi, elle avait déjà largement entamé la 3ème note et elle s’arrêta pour grignoter la bricole qu’elle avait amenée de chez elle. Il y a bien longtemps qu’elle ne sortait plus le midi pour aller manger. Il y avait trop de monde dans les « Fast food » et elle détestait la déco et la musique de ces endroits. Alors, elle mangeait rapidement devant son micro en lisant les nouvelles sur « Yahoo ».

 

L’après midi ne passa ni lentement, ni rapidement. Le travail était facile et il n’y avait rien qui pouvait distraire son attention. Elle était loin des fenêtres qui, de toutes les façons, ne pouvaient pas s’ouvrir, climatisation oblige et l’horizon était bouché par la façade d’une tour qui, à moins de 10 mètres, en face, offrait au regard un mur lisse, sans ouverture. Cela mangeait la lumière et le ciel dont elle n’apercevait, en s’approchant de la fenêtre, qu’un minuscule triangle tout là haut. Souvent, les variateurs électriques s’enclenchaient pour allumer les néons dès 14 heures en hiver.

 

Le seul événement notable, cet après midi là, se déroula vers 16 heures. Le vieux type sale éteignit son micro, se leva, passa sa veste et alla prendre l’ascenseur à l’autre extrémité du bureau. Pourquoi partait il si tôt ? Elle imagina qu’il avait une maladie quelconque et qu’il avait rendez vous chez son médecin.

 

Pendant 2 heures, elle resta seule dans le grand bureau et termina sa recherche sur les droits de douane. Puis, elle prit l’ascenseur, regagna sa voiture et démarra.

 

Avant de lever la barrière, le portail électronique lui signala, en français puis en anglais, que les piles de son « bip » commençaient à faiblir et qu’il convenait de les changer. Il lui précisa qu’il s’agissait de pile de type « R 69 » et qu’elles étaient disponibles au magasin « Auchan » proche de son domicile au prix de 15 euros 75.

 

Son retour se passa sans encombre. Elle longea la Seine en écoutant la suite pour violoncelle de Bach.

 

Elle s’arrêta chez « Auchan », trouva les piles qu’elle régla à une caisse automatique ouverte qui scanna le code barre sans problème. Elle en profita pour faire le plein à la station libre service juste après la sortie du centre commercial.

 

A 18 H 15, elle était chez elle et alluma tout de suite la télé plus par habitude qu’autre chose car il n y avait rien qui l’intéressait à cette heure là. Puis elle alluma son micro pour lire ses mails, espérant un courriel de son fils qui travaillait à Dubaï. Mais non, il n’y avait rien d’autres que des spams. Son fils lui écrivait une fois par an pour Noël. Elle n’avait jamais vu son petit fils qui était né 2 ans auparavant.

 

La soirée se déroula longue et courte à la fois. Elle dîna devant les informations. Elle reçu un appel d’un répondeur téléphonique qui lui proposait de lui envoyer un technicien pour un diagnostique d’ondes électro acoustiques. Elle raccrocha sans écouter les arguments scientifiques que la machine débitait.

 

Enfin, elle se programma un film. C’était un navet quelconque qu’elle regarda en mangeant un paquet de caramels.

 

A 22 H 30, elle alla se coucher avec un livre qu’elle traînait depuis plus d’un mois. Elle lut 3 pages, vérifia que son radio réveil était bien réglé sur 7 H 00 puis prit son comprimé pour dormir et enfin, éteignit la lumière.

 

Une heure après, elle ne dormait toujours pas. Les questions, l7es angoisses du matin étaient revenues, plus fortes, plus aigues encore. Tout cela tournait dans sa tête comme un écureuil tourne dans sa roue.

 

Elle ralluma la lumière et son radio réveil lui signala d’une voix nasillarde qu’il n’était pas encore 7 H 00 du matin. Cela accru encore un peu plus son malaise. Elle avait même du mal à respirer. Elle étouffait, elle était en nage. Elle se leva pour aller boire un verre d’eau dans la salle de bain. Elle se regarda dans le miroir du lavabo. Elle avait une plus sale mine encore que le matin. Elle retourna s’asseoir dans son lit et là, brusquement, elle fut prise d’un violent malaise. Elle avait envie de vomir…Sa tête tournait et son cœur battait à lui faire mal. Au comble de l’angoisse, elle se sentait partir, elle se sentait mourir.

 

Elle décrocha le téléphone et hésita un petit peu : qui appeler ? Son fils ? Il était si loin ; sa nièce en Bretagne ? Elle ne se souvenait peut être même pas d’elle… pas d’ami, aucune relation, personne, personne à appeler…. Son vertige s’accélérait. Elle voyait « noir »; tout s’obscurcissait.

 

Il y avait sous le combiné une plaque de métal qui rappelait les n° d’urgence. Elle composa d’une main mal assurée le 15, les urgences médicales.

 

Cela sonna longuement puis cela décrocha et elle entendit : « Par suite d’un nombre important d’appels , tous nos urgentistes sont en ligne. Veuillez réitérer votre appel ultérieurement. »

 

Et la machine raccrocha.

 

LAST IROKOI © 2009 in « HISTOIRES DE LA VIE DE TOUS LES JOURS »

Partager cet article
Repost0